Bahamas Leaks: Les sociétés offshores, une fois de plus sur la sellette

jeudi 06 Oct 2016

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La recette est assez simple. Une fuite de données internes, assaisonnée d’une poignée de personnalités politiques et/ou célèbres, un soupçon d’évasion ou de fraude fiscale sur fond de paradis de fiscal et on se retrouve avec un scandale, parfois médiatiquement orchestré, clouant une fois de plus les sociétés offshores au pilori.

Ces dernières années ont été témoins d’une série de révélations médiatiques relatives à l’utilisation de sociétés offshores à des fins illicites. De l’Offshore Leaks[1], au Panama Papers[2] en passant par le LuxLeaks[3] et le Swiss Leaks[4], différentes affaires ont mis en lumière l’industrie tentaculaire et secrète de l’offshore qui – selon les journalistes en charge de ces affaires – est utilisée par les riches et puissants du monde utilisent pour cacher leurs avoirs et contourner les règles en créant des sociétés-écrans dans des juridictions éloignées[5]. Les Bahamas Leaks s’inscrivent dans cette ligne de diabolisation des entités offshores, si bien qu’il nous a paru utile d’apporter quelques précisions.

Société offshore, qu’est-ce que c’est?

On peut définir la société offshore dans le contexte qui est le nôtre comme une entité passive, voire une société de domicile, dotée de la personnalité juridique et d’un patrimoine propre, qui est établie sur un territoire, différent de celui de son ayant droit économique, singularisé généralement par des politiques d’incitation aux investissements étrangers.

Société offshore, c’est tout à fait légitime

Si l’économie d’impôts, l’évasion et la fraude fiscales restent les principales raisons évoquées dans les affaires susmentionnées, diverses raisons légitimes peuvent justifier le recours à une telle entité. La société offshore peut être utilisée pour centraliser les activités étrangères d’un individu ou d’une personne morale sur les plans administratif et financier[6].

En tant que partie d’Holding, elle peut accorder des prêts – assortis d’intérêts – aux autres entités du groupe, percevoir des loyers pour les immeubles et autres infrastructures mis à la disposition de celles-ci, ainsi que des redevances (royalties) sur les licences qu’elle leur accorde en lien avec ses brevets et autres titres relevant du droit de propriété intellectuelle, mener des activités de courtage à l’étranger ou encore superviser la conclusion de contrats. Ces différentes prestations engendrent des charges pour les autres sociétés du groupe et sont déduites dès lors du bénéfice imposable de la holding, permettant ainsi un gain d’impôts. Ces structures permettent également une meilleure gestion des risques inhérents à l’exercice d’une activité économique. En effet, dotées de patrimoine et de personnalité juridique propres, ces entités permettent, par des mécanismes juridiques généraux du droit de sociétés et spécifiques à la juridiction de leur siège, de soustraire leurs ayants droits économique aux prétentions de créanciers relatives à l’activé économique. Elles s’avèrent être également d’excellents outils permettant aux personnes physiques fortunées de réaliser des transferts juridiques de biens, titres ou capitaux dans un but qu’elles auront préalablement déterminé. Ainsi, il serait injuste de les confiner que dans le contexte de la criminalité économique, bien qu’on ne saurait réfuter cette caractéristique qui commence à leur coller à la peau.

Société offshore, son lien avec la criminalité économique

L’implication des sociétés offshores dans des schémas de crimes économiques revient de façon très récurrente. Des spécialistes soulignent qu’« une grande partie des dossiers de délinquance économique et financière actuels comporte à un moment ou un autre des recours aux avantages des places offshores utilisées comme instrument de dissimulation des actions délictueuses »[7]. Des travaux de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime on peut constater non seulement que presque tous les délits économiques supposent le recours aux sociétés offshores, mais surtout que celles-ci sont impliquées dans le blanchiment des capitaux noirs du monde entier[8]. Cela est dû au fait que le recours à aux sociétés offshores « diminuent la transparence de l’arrière-plan économique des flux de capitaux associés à une relation d’affaires donnée et réduisent ainsi la probabilité de pouvoir identifier les ADE réels des valeurs patrimoniales impliquées »[9]. Ce caractère opaque à qui elles doivent leur succès est accusée de faire le jeu des criminels de tout genre, en leur permettant d’agir dissimulés « behind the corporate veil, selon la formule consacrée de l’OCDE[10]. C’est à cette caractéristique particulière que les sociétés offshores doivent un nombre toujours plus grand de détracteurs et les Bahamas Leaks ne sont qu’une nouvelle manifestation de la guerre ouverte contre ces entités.

Mariame Krauer-Diaby, ILCE

[1] Pour plus de détails, voir [https://offshoreleaks.icij.org], (21.09.2016)
[2] Pour plus de détails, voir [https://panamapapers.icij.org/], (27.09.2016).
[3] Pour plus de détails, voir [https://www.icij.org/project/luxembourg-leaks], (02.08.2016)
[4] Pour plus de détails, voir [https://projects.icij.org/swiss-leaks/], (27.09.2016).
[5] ICIJ Staff, The Panama Papers : An Introduction, [En ligne], Avril 2016, [https://panamapapers.icij.org/video/] (consulté le 11.08.2016).
[6]Cf. TF 6B_37/2013, Arrêt du Tribunal fédéral du 15 avril 2013 ; Marc Bauen /Robert Bernet /Nicolas Rouiller, La société anonyme suisse, Droit commercial – Loi sur la fusion – Droit boursier – Droit fiscal, Zurich, Schulthess, 2007, § 1 n° 44 p. 40.
[7] Thierry Godefroy / Pierre Lascoumes, Le capitalisme clandestin – l’illusoire régulation des places offshore, Paris, La Découverte, 2004, p. 9.
[8] Jack BLUM/ Michael LEVI/ Thomas NAYLOR/ Phil WILLIAMS, Paradis financières, secret bancaire et blanchiment d’argent, Office de contrôle des drogues et prévention du crime, Prévention du crime et justice pénale: Bulletin d’information, (2008) numéro double 34-35; Technical Series du PNUCID, n° 8 [en ligne] [https://www.imolin.org/imolin/finhafre.html] (consulté le 10.08.2016)
[9] GCBF, Rapport sur l’évaluation nationale des risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme en Suisse, [en ligne] Juin 2015, [https://www.fedpol.admin.ch/dam/data/fedpol/kriminalitaet/geldwaescherei/ber-f.pdf]
[10] OCDE, Au-delà des apparences : l’utilisation des entités juridiques à des fins illicites, Rapport du Groupe de direction de l’OCDE sur le gouvernement d’entreprise, Paris, novembre 2001.