Whistleblowing et signalements anonymes

mardi 25 Fév 2020

Par Céline Neuhaus

Situation en Suisse

Malgré deux interventions parlementaires en 2003[i] et un projet du Conseil fédéral 10 ans plus tard[ii], la Suisse n’a toujours pas adopté de loi en matière de whistleblowing. En effet, la version modifiée de ce projet, que le Parlement avait jugé trop compliqué, a été rejetée par le Conseil national le 3 juin 2019. Le projet n’est toutefois pas définitivement enterré puisque le Conseil des Etats lui a encore donné une chance en l’adoptant sans modification le 16 décembre 2019. A noter que l’Union européenne s’est dotée en octobre 2019 d’une Directive imposant aux Etats membres de prévoir d’ici deux ans dans leur législation notamment une obligation pour les entreprises de plus de 50 employés de mettre en place des canaux de signalement[iii].

Les parlementaires avancent pour certains que, malgré la modification apportée par le Conseil fédéral[iv], le système est trop compliqué[v] et pour d’autres qu’il ne protège pas suffisamment l’employé qui signale une irrégularité. Certains estiment finalement que les principes généraux du droit suffisent et qu’il appartient aux tribunaux de juger si un signalement est admissible ou non[vi].

Certes, le projet n’est pas parfait. L’argument selon lequel il ne protège pas suffisamment le whistleblower peut être entendu, mais affirmer que la situation actuelle est satisfaisante n’est pas défendable. Le travailleur qui constate des irrégularités doit savoir comment se comporter et bénéficier d’une sécurité juridique quant aux conséquences de son signalement et non espérer qu’un tribunal, le cas échéant, lui donnera raison[vii].

Le projet propose une marche à suivre claire, privilégiant le signalement interne, et incite les entreprises à mettre en place un dispositif de signalement adéquat. Un bon dispositif d’alerte est la meilleure garantie pour des signalements efficaces, utiles et dans l’intérêt de l’entreprise, ainsi que pour une meilleure protection des whistleblowers. Une étude menée par la Haute Ecole Spécialisée de Coire en collaboration avec EQS Group[viii] montre que, même si près de deux entreprises sur trois en Suisse (71% des grandes entreprises) proposent déjà un dispositif d’alerte, plus de deux entreprises sur trois (58% des grandes entreprises) qui n’ont pas de dispositif ne prévoient pas d’en mettre un en place. La raison principale invoquée est par ailleurs l’absence d’obligation[ix]. En outre, il n’est pas certain que les dispositifs d’alerte proposés par les entreprises sont tous conformes aux exigences fixées dans le projet[x], et la communication relative à ces dispositifs est insuffisante[xi].

Irrégularité au travail : que feriez-vous ?

Prenons l’exemple de Daniel, cadre moyen dans une grande entreprise. Daniel soupçonne fortement son chef d’obtenir des avantages indus d’un fournisseur. Mais il n’a pas de preuve, il ne se prend pas pour un justicier et finalement c’est le problème de l’entreprise et pas le sien. De plus, les relations avec son chef sont tendues et, pour ne rien arranger, celui-ci est très apprécié par le management. Toutefois, il découvre un jour par hasard que certaines prestations facturées par ce fournisseur sont inexistantes. Bien qu’il ne se prenne pas pour un héros, sa conscience et son devoir de loyauté envers son employeur lui imposent de signaler ces faits. Encouragé par la possibilité de s’adresser en toute confidentialité à un service indépendant dans l’entreprise, il annonce le cas. La suite ne s’est toutefois pas passée comme il l’imaginait : son identité a été révélée, des plaintes pénales ont été déposées contre lui, il a subi des pressions et s’est finalement retrouvé en incapacité de travail de longue durée alors que son chef travaille toujours dans l’entreprise.

Il s’agit malheureusement de risques réels pour un whistleblower[xii]. Le collaborateur bien avisé qui ne souhaite ni être connu, ni prétériter sa santé et son avenir professionnel, sait qu’il n’a aucun avantage personnel et donc également aucune raison de signaler des irrégularités. Mais il existe une solution : le signalement anonyme.

Signalement anonyme : le meilleur canal de signalement pour l’entreprise et le whistleblower

La première erreur de Daniel, c’est d’avoir pensé que la confidentialité qu’on lui avait garantie le protégerait. Or, confidentialité ne veut pas dire anonymat. Même si l’employeur respecte la confidentialité, une plainte pénale[xiii] de la personne soupçonnée mettra fin à la confidentialité. Et cela n’est pas critiquable ; la personne soupçonnée a aussi des droits, dont celui d’accéder au dossier. Les dispositions relatives à la protection de la personnalité et à la protection des données du travailleur (art. 328 et 328b CO) imposent déjà à l’employeur d’informer la personne soupçonnée et de lui donner l’accès au dossier dès que le secret de l’enquête interne ne l’exige plus[xiv]. L’autre erreur de Daniel, c’est d’avoir pensé que l’existence d’un système d’annonce sur le papier lui garantirait un traitement professionnel de son signalement par l’entreprise. Or, la réalité peut être bien différente.

Ainsi, seul l’anonymat permet au whistleblower, pour autant qu’il ne fournisse pas des informations permettant de l’identifier de manière absolue, d’éviter tous les « effets pervers » d’un signalement[xv]. L’anonymat ne peut être garanti qu’au moyen d’une plateforme informatique conçue à cet effet, dans le sens où l’anonymat est protégé par des moyens techniques[xvi]. C’est ce que propose notamment le Contrôle fédéral des finances depuis juin 2017[xvii]. Tout en garantissant l’anonymat, ce type de plateforme permet également de dialoguer avec le whistleblower. Il s’agit d’une fonctionnalité essentielle pour que le service en charge du traitement puisse établir correctement les faits et récolter les preuves suffisantes.

Certains estiment que les alertes anonymes ne devraient pas être proposées ou autorisées, notamment en raison d’un risque accru d’abus[xviii]. Mais ce risque n’est pas vérifié[xix]. Au contraire, l’étude précitée et l’expérience montrent non seulement qu’il n’y a pas plus d’abus, mais également que le nombre et la qualité des signalements augmentent avec ce type de canal d’alerte spécialisé. Ce mode de signalement est par ailleurs privilégié par rapport à d’autres lorsqu’il est proposé[xx]. Et cela n’a rien d’étonnant. Il n’est pas dans notre culture de dénoncer. Les whistleblowers sont considérés comme des délateurs, avec des motivations forcément suspectes[xxi]. Une bonne communication, notamment sur les droits et obligations du whistleblower, est certainement la meilleure arme contre les abus[xxii].

Avec un système de signalement anonyme tel que décrit ci-dessus, les témoins de dysfonctionnements souhaitant rester discrets, mais pas forcément silencieux, seront encouragés à effectuer un signalement. L’anonymat permet également d’éviter un détournement de l’attention vers le whistleblower et ses motivations. Le temps et les ressources peuvent ainsi être consacrés au sujet pertinent : les irrégularités. De plus, en investissant dans un tel système, l’entreprise donne un signal clair à ses collaborateurs sur sa volonté d’agir contre les comportements contraires à la loi ou à l’éthique. Rappelons que le whistleblowing est l’arme la plus efficace contre les actes qui ne causent pas de victimes directes, tels que notamment la fraude et la corruption[xxiii].


[i] Motion Gysin 03.3212 « Protection juridique pour les personnes qui découvrent des cas de corruption » du 7 mai 2003 et Motion Marty 03.334 « Mesures de protection des whistleblowers » du 19 juin 2003.

[ii] Message du 20 novembre 2013 sur la révision partielle du code des obligations (Protection en cas de signalement d’irrégularités par le travailleur) (FF 2013 [50] p. 8547). Documentation relative au projet : https://www.bj.admin.ch/bj/fr/home/wirtschaft/gesetzgebung/whistleblowing.html

[iii] Directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, JO L 305 du 26 novembre 2019, p. 17-56.

[iv] Message additionnel du 21 septembre 2018 sur la révision partielle du code des obligations (Protection en cas de signalement d’irrégularités par le travailleur) (FF 2018 [41] p. 6163) et Projet (FF 2019 [7] p. 1423).

[v] Système de signalement en cascade : pour autant que l’employeur ait mis en place un dispositif d’alerte indépendant et avec des règles claires (art. n321aquater al. 2 CO), le signalement doit en principe d’abord être adressé à l’employeur (art. n321abis CO) puis, s’il demeure sans effet, le whistleblower peut s’adresser aux autorités compétentes (art. n321ater CO) et en dernier lieu, à des conditions très strictes, au public (art. n321aquinquies CO).

[vi] Cf. débats parlementaires BO 2019 N 805. Projet du Conseil fédéral 13.094 « CO. Protection en cas de signalement d’irrégularités par le travailleur » du 20 novembre 2013, https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20130094

[vii] Le projet prévoit également le droit pour l’employé de prendre conseil auprès d’une personne soumise à un devoir légal de confidentialité (art. n321asexies CO). L’employé ne risque ainsi pas d’être poursuivi pour la violation d’un secret (Carranza/Micotti, Whistleblowing/Perspectives en droit suisse, Zurich 2014 p. 67 s.). Le whistleblower se verrait d’ailleurs bien inspiré de prendre conseil auprès d’un avocat s’il pense adresser son signalement à l’extérieur de l’entreprise.

[viii] Hauser/Hergovits/Blumer, Rapport 2019 sur les alertes professionnelles, Coire 2019, www.htwchur.ch/whistleblowingreport, ci-après : Rapport 2019.

[ix] Rapport 2019, pp. 18, 25, 28 et 31.

[x] Art. n321aquater al. 2 CO, cf. note 7. Le dispositif d’alerte est souvent rattaché à la direction et aux ressources humaines (aussi pour les grandes entreprises), mais moins souvent à l’audit interne ou au conseil d’administration (Rapport 2019, p. 43).

[xi] Près d’une grande entreprise sur trois ne communique jamais ou une seule fois (Rapport 2019, pp.50 et 52).

[xii] Carranza/Micotti, pp. 52 et 64 ss.

[xiii] Pour diffamation, calomnie, dénonciation calomnieuse ou même violation de la loi sur la protection des données contre l’employeur

[xiv] Carranza/Micotti, p. 85; D. Raedler, L’employé comme partie faible dans l’enquête interne, in : O. Hari (édit.), Protection de certains groupements de personnes ou de parties faibles versus libéralisme économique : quo vadis ?, Zurich 2016, p. 345 ss.

[xv] Carranza/Micotti, p. 52 ss.

[xvi] Il n’est pas possible de tracer l’adresse IP du whistleblower.

[xvii] Un anonymat total pour les lanceurs d’alerte, 24 heures, le 17 novembre 2017, https://www.24heures.ch/suisse/anonymat-total-lanceurs-alerte/story/12815435; Contrôle fédéral des finances: https://www.bkms-system.ch/CDF-fr; également proposé par la Poste https://post.integrityplatform.org et la Cour des comptes de la République et canton de Genève https://www.bkms-system.ch/cdc

[xviii] Avis notamment de Shelby du Pasquier, Le Temps, 30 août 2015, https://www.letemps.ch/economie/whistleblowing-derive-responsabilite-democratique

[xix] Les alertes abusives sont plutôt rares de manière générale et pour celles qui sont anonymes, la proportion est identique (Rapport 2019, p. 9 s.). Les alertes anonymes sont proposées par 2/3 des entreprises suisses dotées d’un dispositif et seules 5% sont abusives (Rapport 2019, pp. 39 s. et 58).

[xx] Les canaux d’alertes spécialisés, comprenant les plateformes digitales, font augmenter le nombre d’alertes et leur pertinence (Rapport 2019, p. 57 s.). Le Rapport annuel 2018 du Contrôle fédéral des finances relève également le succès et la pertinence de la plateforme d’alerte sécurisée (Rapport annuel 2018, p. 74, https://www.efk.admin.ch/fr/publications/communication-institutionnelle/rapports-annuels.html).

[xxi] Également avis du professeur Luc Thévenoz, Le Temps, 19 septembre 2012, https://www.letemps.ch/economie/lanceurs-dalerte-faut-faciliter-tache-suisse. Eviter une culture de la délation est la troisième raison invoquée par les entreprises suisses qui n’ont pas de dispositif d’alerte (Rapport 2019, p. 25).

[xxii] Rapport 2019, pp. 9, 48 et 59.

[xxiii] Carranza/Micotti, p. 8.

La taxation des GAFA

mardi 11 Fév 2020

Par Nathalie Peignon

La problématique de la taxation des GAFA

Les GAFA – acronyme de Google, Amazon, Facebook, Apple – sont les représentants les plus célèbres des entreprises de l’économie numérique qui compte en son sein nombre d’institutions telles que Meetic, Airbnb, Linkedin, Instagram, Critéo, etc.

Le principe de l’économie digitale consiste à fournir une gamme de services sur le web, via des plateformes numériques. Par conséquent, ces sociétés n’ont pas besoin d’établir une présence physique dans les Etats dans lesquels elles opèrent. Elles peuvent donc établir leur siège social et être taxées sur leur bénéfice dans le pays de leur choix, de préférence le plus « accueillant ».

La fiscalité européenne

Au sein de l’UE, les règles actuelles d’imposition des bénéfices sont fondées sur le principe de l’établissement stable à savoir une présence physique, matérialisée par des employés et/ou des actifs.

En matière de fiscalité, l’avis du Parlement européen est purement consultatif et les ministres de l’Economie des Etats membres peuvent s’accorder directement sur une proposition. Par contre, l’unanimité des membres du Conseil est requise pour adopter un texte.

L’absence d’harmonisation autorise la concurrence fiscale entre certains Etats et les GAFA ont implanté leurs filiales et leur présence physique, dans les pays qui proposent les taux d’imposition les plus faibles. Ainsi, l’Irlande accueille les sièges de Facebook et de Google et le Luxembourg accueille Amazon.

La Commission estime que, dans l’Union européenne, le taux moyen d’imposition des bénéfices des GAFA est compris dans une fourchette de 8.5% à 10% alors que celle des entreprises dotées de sièges sociaux physiques se situe en moyenne entre 20% et 23%.[1]

Le cas d’Amazon

Selon les comptes déposés au Luxembourg pour 2016, Amazon Europe a réalisé 21.6 milliards d’euros de chiffre d’affaires (ce montant n’intègrerait pas les revenus du cloud ni de la publicité). Le bénéfice déclaré est de 60 millions d’euros et l’impôt final de 16.5 millions d’euros.

Comment cela est-il possible ? En 2003, Amazon a signé un accord fiscal avec le Luxembourg aux termes duquel Amazon Europe paie des droits de propriété intellectuelle à une autre société qui, elle, est non taxable. Via celle-ci, les profits réalisés en Europe partent vers l’état du Delaware. Bruxelles estime que sur la période 2006-2014, Amazon a ainsi économisé 250 millions d’euros.

Depuis 2015, en signe de bonne volonté, Amazon a créé de vraies filiales par pays. Mais si en 2015, la succursale française a déclaré un milliard d’euros de chiffre d’affaires (loin des 4,4 milliards estimés), elle n’a payé que 1,7 million d’euros d’impôts sur les bénéfices en raison d’une déduction de 250 millions d’euros au titre de services extérieurs.

Les questions relatives à la taxation

La taxation des activités numériques envisagée par les pays européens, notamment la France, remet en cause une règle fondamentale de l’imposition des entreprises : la taxation des chiffres d’affaires et non plus des bénéfices.

Pour Robert Danon, directeur du centre de politique fiscale de l’Université de Lausanne : « le problème avec la taxe sur les chiffres d’affaires c’est que la compatibilité de cette taxe avec les standards internationaux est douteuse. Elle crée des distorsions parce qu’elle vise certaines entreprises uniquement ».

La position de la Commission européenne

La Commission européenne avait dévoilé en mars 2018 le projet de taxer les multinationales du numérique non plus en fonction de la présence physique, mais là où elles enregistrent leurs revenus.

L’idée était de taxer dans chaque Etat membre de l’UE – en proportion de l’utilisation des services numériques offerts – le chiffre d’affaires généré par certaines activités numériques : vente de données personnelles, vente d’espaces publicitaires en ligne, les services qui permettent les interactions entre utilisateurs et facilitent la vente de biens et de services. Cette taxe devait frapper les très grandes entreprises de l’économie numérique qui réalisent un chiffre d’affaires mondial supérieur à 750 millions d’euros, dont 50 millions dans l’UE. Cela concernerait 120 à 150 entreprises, pour des recettes fiscales de l’ordre de 5 milliards d’euros par an. Par contre, les start-ups et les entreprises numériques de l’économie solidaire étaient exclues du champ d’application.[2]

En l’absence d’unanimité des 28 Etats, le 11 juillet 2019 le parlement français promulgue sa propre taxe GAFA. Les groupes dont les activités numériques rapportent plus de 750 millions d’euros dans le monde dont 25 millions pouvant être rattachés à des utilisateurs localisés en France seront imposés à 3% en France.

Le chef du Département fédéral des finances a prévenu : « on ne peut faire autrement que de taxer les recettes provenant d’activités digitales ». Le modèle préconisé vise un taux d’imposition des ventes proche de 2% : dans ce cas, la taxation des seules recettes publicitaires de Google en Suisse rapporterait environ 20 millions de francs au fisc helvétique.

La Suisse privilégie les approches multilatérales, élaborées au sein de l’OCDE, qui prévoient une taxation des bénéfices dans l’Etat où a lieu la création de valeur. Tant qu’une solution n’a pas été trouvée au niveau de l’OCDE le Conseil fédéral estime qu’il n’y a pas lieu d’agir.[3]

Conclusion

Faute de consensus européen, l’OCDE s’est saisie du dossier et a annoncé en janvier 2019 l’accord de principe de 127 pays pour une réforme au niveau mondial avec l’objectif de parvenir à un accord final d’ici 2020. Mais pour Washington, cette refonte devrait concerner tous les groupes ayant une activité de distribution transfrontalière.

La solution à long terme privilégiée par la Commission est un système où les bénéfices seraient taxés en fonction du lieu où se trouve l’utilisateur au moment de la consommation.

La taxation des chiffres d’affaires serait transitoire faisant place à une fiscalité plus adaptée aux règles numériques : le nombre d’utilisateurs de services en ligne déterminerait aussi le domicile fiscal de l’entreprise permettant alors de taxer les bénéfices.

Les représentants des GAFA se sont élevés collectivement récemment contre la taxation française des groupes numériques, dénonçant rétroactivité, discrimination et double imposition dans le cadre d’une enquête ouverte par les services du représentant américain au Commerce4. Une étude d’impact estime que la taxe augmentera le prix des services et sera intégralement payée par les consommateurs (Amazon a déjà répercuté la taxe de 3% sur ses clients en France).

Un consensus existe parmi les autorités et les industriels pour reconnaître le besoin d’une réforme du système d’imposition des transactions numériques, sous l’égide de l’OCDE, d’autant que tous les secteurs deviennent progressivement numériques. Des solutions alternatives sont à l’étude comme revoir les règles de répartition du bénéfice entre les états de résidence des entreprises et les états de marché pour donner une part plus importante à l’état de marché.


[1] P. Rodrik, tdg/economie/taxation 23.03.2018

[2] M-H Revaz, La fiscalité face au défi de l’économie digitale Mazars Suisse 2019

[3] A. Seydtaghia, le temps.ch/economie/imposition gafa 30.11.2018

La fraude à la douane, un phénomène fréquent

mercredi 05 Fév 2020

De Gérald Jenni

Pour les habitants de la Suisse, les prix pratiqués en France, en Allemagne, en Autriche ou en Italie restent très attractifs pour un grand nombre de produits et services. Dès qu’une opportunité se présente, les tentations restent très fortes d’aller faire ses achats personnels voire des investissements de l’autre côté de la frontière. Les économies peuvent être substantielles… Mais attention …

… que risque-t-on lorsqu’on a « oublié » de déclarer quelque chose à l’importation ?

Notre focus principal restera le touriste (sans considérer spécialement les sociétés commerciales)

A. Pourquoi est-ce (si) intéressant pour un Suisse ?

Le niveau des prix des principales catégories de bien et de services valables pour les pays limitrophes de la Suisse est particulièrement bas (voir le graphique ci-dessous publié le 17.12.18 [i]). Il est rare, voire impossible, de trouver une catégorie de produits ou de services moins chère en Suisse que dans ses pays limitrophes :

N.B. Il existe une différence de coûts d’un canton à l’autre, notamment sur les dépenses d’impôts, de logement ou encore pour la santé qui pourraient influencer l’indice dans certaines régions. Nous ne considérerons ici que le niveau des prix pour la Suisse dans son ensemble.

B. Quelles sont les principales règles en vigueur ?

Pour savoir si un produit ou un service doit être soumis à une taxe, une redevance ou tout autre impôt, il faut se référer aux principales lois suivantes (liste non exhaustive) :

1. L’obligation de payer la TVA et/ou les droits de douane est fonction des seuils suivants :

Vous remarquerez que pour des achats de par ex. CHF 400.- (1 ou 2 pers.), la totalité du montant est soumise à TVA et non la différence entre le total des achats soustrait de la franchise … !

2. Les autres importations en franchise de redevances (Source : [iv] et [v])

Lorsque vous revenez de l’étranger ou que vous effectuez un voyage en Suisse, vous pouvez importer en franchise les marchandises suivantes :

C. Quelques cas particuliers auxquels on ne pense souvent pas (Source : [vi])

1. Emprunter un véhicule étranger et entrer en Suisse

Emprunter un véhicule étranger et entrer en Suisse peut coûter cher, très cher !

La démarche d’une personne domiciliée en Suisse qui entre sur le territoire suisse avec un véhicule emprunté à des proches mais immatriculé à l’étranger peut coûter cher.

L’inverse est également valable pour les ressortissants européens qui entrent dans l’UE. Franchir la frontière avec un véhicule immatriculé à l’étranger est considéré comme une importation de marchandises soumises à des taxes.

S’il est contrôlé avant l’entrée sur le territoire, le conducteur est sensibilisé à la situation juridique s’il souhaite poursuivre son trajet. Le véhicule sera alors dédouané et taxé. Le contrevenant devra s’acquitter de la TVA à 7.7% et de droits de douane qui varient entre 12 et 15 francs par 100 kilos pour une automobile, supérieurs pour les motos.

S’il est contrôlé sur le territoire suisse, les taxes d’importation seront estimées et une procédure pénale lancée. Selon l’Administration fédérale des douanes (AFD), ces taxes correspondent environ à 13% de la valeur du véhicule. Une amende peut alors aussi être décidée et varie en fonction de l’importance des taxes non perçues et de celle de l’infraction. Selon la pratique, elle peut atteindre jusqu’au total de ces taxes. Mais en cas de première infraction, elle n’est que de 20%.

2. Depuis le 1er mai 2015, l’utilisation transfrontalière des véhicules d’entreprise est restreinte.

a. Utilisation du véhicule uniquement pour les trajets domicile/travail :

En cas de contrôle à la douane, vous devez pouvoir présenter une copie de votre contrat de travail, dans lequel sera mentionnée l’autorisation d’utiliser un véhicule de fonction. En cas de non-respect, le trajet pourra être considéré comme une importation de véhicules dans l’Union européenne. Ceci occasionnerait alors le dédouanement du véhicule et le paiement de la TVA, en sus d’une amende et du dépôt d’une plainte pénale.

b. Utilisation du véhicule à des fins privées, autres que pour le trajet domicile/travail :

Pour pouvoir faire des trajets privés et professionnels sans limites, il reste une seule solution : la double immatriculation. Pour ce faire, le véhicule doit être taxé simultanément dans le pays européen concerné et en Suisse. Ces taxes d’importation sont constituées de la TVA au taux de 20 % et des droits de douane au taux de 10 %. Les droits de douane sont calculés à partir de la valeur actuelle (Eurotax) du véhicule. La TVA est calculée à partir de la valeur Eurotax + les droits de douane.
Les démarches sont à effectuer par l’employeur ou le salarié auprès d’un poste de douane situé à la frontière.

c. Utilisation à des fins professionnelles d’un véhicule étranger sur territoire suisse :

Il y a lieu de prendre garde à l’utilisation transfrontalière des véhicules du côté étranger, mais également du côté suisse, puisque l’utilisation d’un véhicule immatriculé à l’étranger n’est pas autorisée pour des courses professionnelles sur le territoire suisse. Des mesures devront certainement se présenter dans un avenant au contrat de travail ou, pour les nouveaux collaborateurs, directement dans le contrat de travail.

3. Lors de la participation à une exposition en Suisse (en tant qu’exposant)

Tenant compte du fait que les ventes ne peuvent pas être définies à l’avance, les formalités douanières d’importation et de réexportation doivent obligatoirement être faites (directement sur site ou via un transitaire) :

Source : [vii]

4. Importation ou passage en douane de produits contrefaits (Source :[viii])

Rappelons rapidement que la contrefaçon consiste à reproduire des produits protégés par des marques, des designs, des indications de provenance ou des brevets et à imiter le nom ou l’apparence du produit original.

L’importation (tout comme le transit et l’exportation) de produits contrefaits à des fins commerciales est interdite. Mais même effectuée à des fins privées, l’importation de marchandises enfreignant des droits de design ou de marque est également prohibée (art. 13, al. 2bis de la loi sur la protection des marques et art. 9, al. 1bis de la loi sur les designs). Le titulaire d’un droit à la marque, de brevet ou de design peut exiger la saisie et la destruction à la douane de produits contrefaits portant atteinte à ses droits de propriété intellectuelle (art. 70 ss. de la loi sur la protection des marques; art. 46 ss. de la loi sur les designs; art. 86a ss. de la loi sur les brevets et art. 75 ss. de la loi sur le droit d’auteur).

Les douaniers effectuent un contrôle des importations et des envois afin de détecter les produits suspects. S’ils identifient ou soupçonnent une contrefaçon, la marchandise est retenue.

Les contrefaçons peuvent, en plus de la destruction des marchandises et de l’obligation de réparer le préjudice, donner lieu à des sanctions pénales (outre une amende d’un maximum de 1 080 000 francs) en une peine privative de liberté allant jusqu’à cinq ans.

D. Comment dédouaner vos marchandises ? (Source : [ix])

Il y a trois moyens de déclarer des marchandises :

  • App QuickZoll
    L’application de l’Administration fédérale des douanes vous renseigne sur les principales formalités. Les marchandises ainsi déclarées peuvent être importées en Suisse par n’importe quel poste-frontière.
  • Déclaration en douane orale
    Si le poste-frontière suisse est occupé, vous devez déclarer spontanément toutes les marchandises (voir la liste des offices de douane les adresses et heures d’ouverture).
  • Autodéclaration écrite au moyen de la boîte à déclarations aux passages non occupés
    Dans les endroits moins fréquentés, il existe un nombre croissant de passages frontières qui ne sont occupés que de façon sporadique ou qui ne le sont pas du tout. Vous pouvez déclarer vous-même vos marchandises par écrit au moyen d’une boîte à déclarations. Des formulaires sont disponibles dans les boîtes. Veillez à importer uniquement des marchandises qui ne sont pas destinées à être commercialisées et qui ne sont pas interdites.

N.B. Remboursement de la TVA étrangère

L’AFC ne peut rembourser la TVA d’un pays étranger. Les démarches doivent être entreprises directement avec le vendeur concerné et les autorités fiscales du pays concerné.

Vous êtes en règle … ?

Vous êtes parfaitement en règle, alors vous avez droit à apposer un tel sigle et emprunter les voies vertes et ainsi accélérer votre passage en douane. Mais attention ! Les sanctions sont plus lourdes si vous aviez tout de même omis certaines déclarations… vous vous rendez coupable d’une fausse déclaration (ce sigle présenté a valeur légale) !

E. Que risque-t-on plus (amendes, peines, etc. et les lois qui s’y rapportent) ?

Petits extraits (se référer aux textes complets) :

Loi sur les douanes

  • Infractions douanières
    Art. 117 LD : soustraction, mise en péril, trafic, recel, détournement
  • Soustraction douanière
    Art. 118 LD : est puni d’une amende pouvant atteindre cinq fois voire plus des droits de douane
  • Mise en péril douanière
    Art. 119 LD : ne déclarant pas ou en dissimulant les marchandises (peine prison d’un an au plus)
  • Trafic prohibé
    Art. 120 LD : enfreint une interdiction ou restriction d’introduction (peine prison d’un an au plus)
  • Recel douanier
    Art. 121 LD : encourt la peine applicable à l’auteur de l’infraction préalable
  • Détournement du gage douanier
    Art. 122 LD : détruit une marchandise saisie par l’AFD à titre de gage sera puni (amende)
  • Tentative
    Art. 123 LD : la tentative est punissable
  • Circonstances aggravantes
    Art. 124 LD : le fait d’embaucher des personnes pour commettre des infractions douanières
  • Infractions commises dans une entreprise
    Art. 125 LD : selon les circonstances et si l’amende ne dépasse pas 100kCHF, peut renoncer
  • Poursuites pénales
    Art. 127 LD : Le renvoi devant le juge de l’auteur d’une infraction à l’art. 285 ou 286 CP est réservé

Loi sur la TVA

La LTVA prévoit trois infractions principales :

  • La soustraction de l’impôt (art. 96 LTVA) y.c. par négligence
  • La violation d’obligation de procédure (art. 98 LTVA) y.c. par négligence
  • Le recel (art. 99 LTVA)

L’état de fait constitutif de l’infraction concernant la soustraction de l’impôt est différencié ainsi : fausse déclaration, qualification erronée, soustraction dans la procédure de taxation et soustraction qualifiée. Les dispositions pénales s’appliquent aussi bien à l’impôt grevant les opérations réalisées sur le territoire suisse qu’à l’impôt sur les acquisitions et à celui sur les importations.


[i] OFS 2018 Indices des niveaux de prix en comparaison internationale en 2017 (provisoire), UE28 = 100  https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/prix/parites-pouvoir-achat.assetdetail.6986866.html

[ii] https://www.ezv.admin.ch/ezv/fr/home/infos-pour-particuliers/voyages-et-achats–franchises-quantitatives-et-franchise-valeur/importation-en-suisse.html

[iii] https://www.ezv.admin.ch/ezv/fr/home/infos-pour-particuliers/voyages-et-achats–franchises-quantitatives-et-franchise-valeur/importation-en-suisse/marchandises-dont-la-valeur-ne-depasse-pas-300-francs–en-franch.html

[iv] https://www.ezv.admin.ch/ezv/fr/home/infos-pour-particuliers/voyages-et-achats–franchises-quantitatives-et-franchise-valeur/importation-en-suisse.html

[v] Ordonnance sur les douanes (OD)

[vi] www.ezw.admin.ch et TCS Genève

[vii] mch-group-lausanne-douane-guide-fr.pdf

[viii] FH, service juridique

[ix] www.ezw.admin.ch