Les trusts

mardi 28 Avr 2020

Par Emilie Cudré-Mauroux

Les origines du trust

Le trust, qui se traduit en français par « la confiance », trouve ses origines en Angleterre au 12ème siècle lors des croisades. Les chevaliers anglais qui partaient à la bataille laissaient derrière eux leurs terres pour une durée indéterminée. Il fallait donc trouver un moyen de gérer leurs domaines dans le respect de leurs volontés. Dès lors, les chevaliers qui n’étaient pas sûrs de revenir désignaient des administrateurs de leurs biens. C’est ainsi que cet instrument juridique, qui distingue le propriétaire juridique d’un bien et le bénéficiaire de ce bien, à vu le jour.[i]

Définition

Selon l’art. 2 de la Convention de La Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance (RS 0.221.371), le trust se définit ainsi : « Le trust vise les relations juridiques créées par une personne, le constituant – par acte entre vifs ou à cause de mort – lorsque des biens ont été placés sous le contrôle d’un trustee dans l’intérêt d’un bénéficiaire ou dans un but déterminé ».

Les parties d’un trust

Le constituant du trust est appelé settlor. La personne ou la société qui est choisie pour la gestion des actifs du trust est le trustee. Le trustee contrôle et gère les actifs mais ce sont les bénéficiaires qui ont droit à tous les avantages liés aux actifs et aux bénéfices de tous les biens détenus par le trust. Le settlor peut désigner quiconque pour être le bénéficiaire du trust. Il peut s’agir de lui-même, de son époux(se), de ses enfants, mais aussi de fondations ou d’associations.

Un protecteur peut également être nommé pour vérifier que le trustee utilise de manière adéquate les fonds. Le settlor informe le trustee de ses souhaits en termes de gestion du trust dans un document intitulé « Lettre de souhaits ». [ii]

Types de trust

La Convention de la Haye ne vise que les trusts créés de manière volontaire, soit les express trusts.[iii]

Un trust peut avoir plusieurs fonctions, notamment commerciale, financière, d’utilité publique ou viser un but spécifique et à caractère non caritatif.[iv]

Dans le cadre d’un trust privé créé pour la gestion d’une succession, le settlor peut influencer le sort de ses biens de manière plus durable que lors d’une donation, car il n’y a pas de remise immédiate des biens aux bénéficiaires[v]. Il existe deux grandes distinctions de trust. Les trusts révocables et les trusts irrévocables. Dans le premier cas, le constituant à la possibilité de mettre fin au trust à tout moment et peut dès lors retrouver la propriété de ses biens. Dans le deuxième cas, le transfert des biens est définitif et ne peut être annulé.

Le settlor peut également décider de définir clairement le mode de distribution des actifs du trust, mais il peut aussi laisser le trustee décider du montant à distribuer (trust discrétionnaire). Comme cité plus haut, le settlor peut cependant indiquer une ligne conductrice au trustee par le biais de la lettre de souhaits.

Caractéristiques d’un trust

Les caractéristiques d’un trust sont les suivantes (notamment selon RS 0.221.371) :

  • Le trust n’est ni une personne physique, ni une personne morale. Le trust est une forme juridique à part entière ;
  • Les biens du trust constituent une masse distincte et ne font pas partie du patrimoine du trustee ;
  • Le titre relatif aux biens du trust est établi au nom du trustee ou d’une autre personne pour le compte du trustee ;
  • Le trustee est investi du pouvoir et chargé de l’obligation, dont il doit rendre compte, d’administrer, de gérer ou de disposer des biens selon les termes du trust et les règles particulières imposées au trustee par la loi.

Conséquences d’un trust pour les créanciers

La constitution d’un trust amène à une réorganisation du patrimoine de tous les intervenants qui se répercute sur les créanciers des parties prenantes. En effet, les actifs mis dans le trust ne sont plus accessibles aux créanciers du settlor puisqu’il s’en est dessaisi en faveur du trustee. Comme indiqué plus haut, les avoirs du trust ne font pas non plus partie du patrimoine du trustee. Par conséquent, les créanciers personnels du trustee et du settlor n’ont aucun droit sur les actifs formant le trust. De plus, les créanciers des bénéficiaires ne peuvent saisir directement les biens du trust puisque les bénéficiaires ne possèdent que des prérogatives à la remise d’avantages patrimoniaux.[vi]

Cadre juridique suisse

Jusqu’à la ratification de la Convention de la Haye intervenue le 1er juillet 2007, le terme de trust était totalement inconnu au droit suisse. En adhérant à la Convention, la Suisse a décidé de reconnaître l’existence et les effets juridiques des trusts. Néanmoins, il ne s’agit que d’une reconnaissance du trust, puisqu’il n’existe pas à proprement parler un trust de droit suisse. A l’heure actuelle, si un Suisse souhaite placer ses avoirs dans un trust, il doit se référer à un droit étranger.[vii] Toutefois, cette ratification permet à la place financière suisse de gérer des trusts étrangers depuis le territoire helvétique.

Bien que le droit suisse ne possède pas une législation propre au trust, la Suisse a introduit diverses normes afin de réglementer son statut. Entrée en vigueur le 1er janvier 2020, la loi fédérale du 15 juin 2018 sur les établissements financiers (LEFin, RS 954.1) prévoit notamment que les gestionnaires de fortune ainsi que les trustees mentionnés à l’art. 2, al.1, let. a et b soient soumis à la loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LBA, RS 955.0)

  • « Le trustee qui gère des trusts en Suisse ou depuis la Suisse est soumis à la LBA, quel que soit le lieu où se situent les biens du trust et l’ordre juridique dans lequel le trust a été constitué ;
  • Le protecteur est qualifié d’intermédiaire financier et donc soumis à la LBA s’il peut prendre des décisions en matière financière en lieu et place du trustee ou conjointement avec ce dernier. En revanche, si ses prérogatives se limitent à changer ou à surveiller le trustee ou encore à disposer d’un droit de veto lui permettant uniquement de s’opposer à des décisions de placement et d’allocation prises par le trustee, alors le protecteur n’est pas un intermédiaire financier au sens de la LBA ».[viii]

A noter encore qu’en mars 2019, le Conseil national a approuvé une motion afin d’introduire le trust dans le droit helvétique. Le Conseil fédéral est donc chargé de créer les bases légales permettant d’introduire un trust suisse.[ix]


[i] Neue Zürcher Zeitung (NZZ). Michael Ferber, 01.03.2019. « Braucht es einen Schweizer Trust ? ».Disponible à l’adresse : https://www.nzz.ch/finanzen/trusts-ld.1458203

[ii] FOSS Family Office Advisory. Disponible à l’adresse : https://www.family-office-advisory.com/fr/family-office-services/structures/trusts.html#close

[iii] Philippe Kenel. « Le trust : quelle utilité en droit suisse ? » Disponible à l’adresse : https://www.philippekenel.ch/fr/publications/articles/Le-trust–quelle-utilite-en-droit-suisse–1-53-17

[iv] Support de cours, G. Wuest – ILCE, 04.10.2019. Cours « Structures offshore et Trust ».

[v] Ibidem

[vi] Aude Peyrot, 2011. « Le trust de common law et l’exécution forcée en Suisse ». Université de Genève. Disponible à l’adresse : https://archive-ouverte.unige.ch/unige:17339

[vii] Parlement.ch, 13.03.2019 « Le trust devrait apparaître dans le droit suisse ». Disponible à l’adresse : https://www.parlament.ch/fr/services/news/Pages/2019/20190313125527885194158159041_bsf084.aspx

[viii] Confédération Suisse. Administration fédérale des finances AFF, 29.10.2008. « Pratique de l’Autorité de contrôle en matière de lutte contre le blanchiment d’argent relative à l’art. 2, al. 3, LBA ». Pages 17-18. Disponible à l’adresse : http://www.polyreg.ch/f/informationen/unterstellungskommentar.pdf  

[ix] Parlement.ch, 13.03.2019 « Motion CAJ-CE. Introduction du trust dans l’ordre juridique suisse ». Disponible à l’adresse : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=45567#votum11

Les néobanques et le blanchiment d’argent provenant de cyber-escroqueries

mercredi 22 Avr 2020

Par un étudiant du MAS à l’ILCE, inspecteur de police dans une division luttant contre la cybercriminalité

Une néobanque, qu’est-ce que c’est ?

Une néobanque, couramment également appelée banque mobile ou digitale, est une entreprise fournissant des services financiers uniquement via une application mobile, et ne disposant de ce fait d’aucun bureau physique pouvant accueillir des clients. Offrant divers avantages tels que des taux de conversion en devise étrangère très bas (taux interbancaire), les néobanques sont prisées des voyageurs. Elles connaissent aujourd’hui une évolution fulgurante, avec notamment en tête les deux gros mastodontes européens que sont Revolut et N26.  Au cours du premier trimestre 2018, les ouvertures de compte bancaire auprès de néobanques en France représentaient même 34% de toutes les ouvertures de compte, soit plus d’un tiers.[1] En Suisse, la néobanque anglaise Revolut posséderait 250’000 clients fin 2019, avec pas moins de 180’000 nouvelles relations bancaires durant cette année -là.[2]

Fonctionnement et réglementation

En Suisse, nous relevons deux néobanques :

  • Zak, appartenant à la Banque Cler (ancienne Banque Coop). Il s’agit d’une application mobile créée par la Banque Cler, laquelle propose une ouverture de compte et une gestion de son compte à 100% via une application mobile.
  • Neon, une fintech zurichoise appuyée par la Hypothekarbank Lenzburg (HBL). Neon utilise l’Open API (Application Programming Interface) de la HBL afin d’avoir accès à un système bancaire. La conséquence est que lorsque l’on veut ouvrir un compte grâce à Neon, nous devenons aussitôt clients de la HBL. [3]

Ces néobanques sont donc soutenues par des banques traditionnelles et sont soumises aux mêmes lois. Elles sont notamment soumises à la Loi sur les Banques (LB), assujetties à la surveillance de la FINMA et tenues à respecter les obligations de diligences bancaires de l’ASB.

Intéressons-nous plus particulièrement à l’ouverture des comptes. En effet, s’agissant de services financiers présents uniquement sur une application mobile, l’ouverture du compte doit s’effectuer à distance. En Suisse, la convention de diligence des banques (CDB20) oblige la banque à « vérifier l’identité du cocontractant lors de l’établissement d’affaires ». L’article 10 CDB20 précise quant à lui que « L’identification en ligne conformément aux prescriptions en vigueur de la FINMA vaut vérification de l’identité lorsque la relation d’affaires est établie par correspondance. ». [4]

Les prescriptions de la FINMA sont établies dans la circulaire 2016/7, qui traite des « obligations de diligence lors de l’établissement de relations d’affaires par le biais de canaux numériques ».  Cette dernière donne des directives claires aux banques concernant l’identification par vidéo. En résumé, elles doivent notamment respecter les critères suivants :

  • Communication audiovisuelle en temps réel
  • La qualité de l’image et du son doit être appropriée pour permettre une identification parfaite.
  • Le cocontractant est identifié par des collaborateurs de l’intermédiaire financier ayant suivi une formation correspondante.
  • L’intermédiaire financier contrôle l’authenticité des documents d’identification, d’une part au moyen de la lecture et du déchiffrage des informations contenues dans la MRZ et, d’autre part, à l’aide d’un élément de sécurité optique variable du document d’identification et d’un autre élément choisi de manière aléatoire.
  • En amont de l’entretien audiovisuel, le cocontractant doit pouvoir saisir les données selon les art. 44 et 60 OBA-FINMA et les transmettre à l’intermédiaire financier. Celui-ci les vérifie pendant l’entretien d’identification en utilisant des supports techniques appropriés ou en posant des questions ciblées.
  • Pendant la transmission vidéo, l’intermédiaire financier prend des photographies du cocontractant ainsi que de toutes les pages importantes du document d’identification et vérifie que les photographies du cocontractant concordent avec celle du document d’identification.[5]

La circulaire 2016/7 différencie l’identification par vidéo de l’identification en ligne. Cette dernière demande des mesures de contrôle supplémentaires, comme un virement d’argent en provenance d’un compte bancaire libellé au nom du cocontractant et une vérification de l’adresse de domicile du cocontractant. Cette méthode n’est aujourd’hui pas utilisée par les néobanques suisses.

Concernant la législation européenne, celle-ci se montre plus souple. En effet, pour ouvrir un compte bancaire auprès de grandes néobanques comme Revolut ou N26, de simples photos du visage ainsi que d’une pièce d’identité suffisent.[6],[7] Ces méthodes de vérification moins strictes ont par ailleurs déjà alerté des régulateurs, comme le Bafin en Allemagne. En effet, il était reproché à N26, au mois de mai 2019, de ne pas prendre toutes les mesures nécessaires afin de s’assurer que ses comptes sont en règle par rapport au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme.[8]

Le blanchiment d’argent 2.0

L’émergence des néobanques a offert de nouvelles perspectives en termes de blanchiment d’argent, notamment pour les escroqueries commises sur Internet. Comme vu précédemment, il n’est pas impossible d’ouvrir un compte auprès de néobanques européennes sous une fausse identité. Il n’est donc pas rare que des comptes soient ouverts avec des documents d’identité et des « selfies » dérobés à des victimes d’escroqueries sentimentales par exemple. L’existence des money-mules, dont la Prévention suisse de la criminalité a largement communiqué à ce sujet en 2019[9], est également facilitée par les néobanques. En effet, les money-mules n’ont plus besoin de mettre leur propre compte à contribution des escrocs, mais peuvent simplement en créer un facilement depuis chez elles. Elles peuvent dès lors soit effectuer les transactions frauduleuses elles-mêmes, transférer l’usage de l’application aux escrocs, ou encore leur transmettre la carte bancaire reliée au compte afin que les escrocs l’utilisent directement.

Différents facteurs facilitent le blanchiment d’argent via les néobanques :

  • Facilité et rapidité à ouvrir un compte
  • Transfert d’argent instantané
  • Compte bancaire souvent gratuit, aucuns frais à avancer
  • Peu de suivi lors de transactions internationales car personnel restreint[10]

L’usage des néobanques est donc prisé des cyber-escrocs, qui utilisent une fois de plus les nouveaux services offerts grâce à Internet pour servir leurs propres intérêts. Il fait nul doute que des mesures doivent être prises afin de limiter le blanchiment d’argent via ces nouvelles banques en ligne.

Mesure d’amélioration

Tout d’abord, des mesures pourraient être prises lors de l’ouverture du compte même. En effet, il faudrait s’assurer que le compte soit bien ouvert par le client lui-même, et pour son usage. La législation suisse, en forçant l’entretien vidéo, est déjà un bon exemple dont pourraient s’inspirer différents autres pays européens. Des questions plus ciblées sur l’usage du compte pourraient aussi être posées, afin de garantir un cadre et de bloquer le compte s’il en venait à en sortir.

Une fois le compte ouvert, des mesures techniques peuvent être prises. En effet, profitant de l’utilisation de ces comptes bancaires via une application mobile, la banque est en mesure d’obtenir l’adresse IP du client, leur géolocalisation et d’autres éléments techniques comme l’user-agent.  Les algorithmes de sécurité pourraient être dès lors être améliorés, en bloquant le compte lorsqu’une connexion, un retrait par carte bancaire au distributeur, ou tout autre usage dans un pays ou l’utilisateur n’a pas raison d’y être seraient effectués. En effet, il a déjà été constaté des logs de connexion en Côte d’Ivoire ou au Bénin par exemple, alors qu’il s’agit de comptes bancaires ouverts au nom d’Européens. Une vérification devrait automatiquement être faite dans ces cas-là pour éviter le blanchiment d’argent venant de cyber-escroqueries.

Différentes autres mesures techniques pourraient également être prises, comme forcer la double authentification. En effet, un test mené personnellement le 14 mars 2020 démontre qu’il est possible, avec une néobanque suisse, de se connecter simultanément sur le même compte bancaire avec deux smartphones différents, avec simplement une adresse email et un mot de passe comme login. Il est surprenant qu’en 2020, pour une banque suisse, que de tels manquements de sécurité soient encore possibles.

Photo prise le 14.03.2020 lors de l’accès à mon propre compte bancaire sur deux smartphones différents, équipés de cartes SIM différentes.

[1] KPMG, « Panorama des néobanques en France, Point sur l’essor de ces nouveaux acteurs bancaires », novembre 2018

[2] Heim, M., « Revolut hat plötzlich massiv mehr Kunden in der Schweiz», in Handelszeitung, 14.10.2019

[3] Charles Foucault-Dumas, https://www.ictjournal.ch/news/2018-05-24/neon-et-la-hypothekarbank-lenzburg-lancent-une-banque-100-mobile, consulté le 29.03.2020

[4] Convention relative à l’obligation de diligence des banques (CDB 20) du 13 juin 2018, récupérée de https://www.swissbanking.org/fr/services/bibliotheque/directives, le 01.03.2020.

[5] Circ.-FINMA 16/7 « Identification par vidéo et en ligne » du 3 mars 2016, récupéré de https://www.finma.ch/fr/documentation/circulaires/ le 01.03.2020

[6] https://support.n26.com/fr-fr/vos-debuts/compte/quels-sont-les-documents-demandes-pour-la-verification-de-mon-identite consulté le 01.03.2020

[7] https://www.revolut.com/fr-FR/help/commencer/verification-de-l-identite/comment-puis-je-confirmer-mon-identite

[8] https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/la-neobanque-n26-dans-le-collimateur-du-regulateur-allemand-818049.html, consulté le 01.03.3030

[9] https://www.skppsc.ch/fr/sujets/internet/money-mules/, consulté le 14.03.2020

[10]  Christelle Bernhard, https://www.moneyvox.fr/banque-en-ligne/actualites/72937/essor-des-neobanques-une-porte-ouverte-au-blanchiment-argent, consulté le 14.03.2020