De la pêche à la fraude

mardi 28 Mar 2023

Par Yann Kurzen, étudiant BsC in Business Law

De nombreux aliments non cultivables en Suisse font partie intégrante du large choix proposé dans nos rayons. Il arrive que ces produits d’origine étrangère présentent des lacunes dans la transparence de leurs traitements. C’est le cas du thon frais. Nécessairement importé, il fait l’objet d’une préoccupation sur l’origine parfois douteuse de sa coloration rouge. La marque indélébile de sa qualité subit une interrogation face l’ingéniosité des fraudeurs capables de développer des techniques afin de tromper les consommateurs. Des analyses effectuées par le laboratoire cantonal de Bâle-Ville[1] révèlent l’utilisation de produits chimiques tels que le monoxyde de carbone, des nitrites ou encore de la vitamine C afin d’obtenir un résultat visuel factice plus attrayant au détriment de sa qualité. Outre l’aspect visuel, des répercussions médicales et éthiques engendrent un intérêt particulier à approfondir cette thématique.

Une analyse des faits permettra de connaître les conséquences d’une coloration artificielle de la viande de thon destinée à la consommation. La déconstruction de cette problématique est nécessaire pour en saisir les éléments impliqués et établir un parallèle juridique.

En premier lieu, il est important de comprendre les raisons d’une coloration artificielle. Lorsqu’elle est fraîche, la viande de thon est rouge. Cependant, les tissus de cette viande s’oxydent très rapidement si elle n’est pas préparée et stockée d’une façon conforme. Si c’est le cas, sa couleur vire au marron ce qui traduit le début de l’oxydation. En conséquence, il est évident que son attrait esthétique devient repoussant et la qualité propre à la consommation est remise en question.

Pour garantir une grande compétitivité malgré la gestion d’un produit aussi exigeant, certains producteurs/intermédiaires souhaitent conserver  des thons qui ne répondent pas/plus aux exigences sanitaires comme relève un article de Europol[2] : « The main risks for consumer health were due to the unsanitary conditions in which the fish was transported and stored ». Après une intervention chimique, ils falsifient le produit au détriment de sa fraîcheur tout en gardant un prix haut de gamme. Cela va même plus loin dans l’aberration sanitaire, car certains thons sont totalement impropres à la consommation, mais sont restaurés artificiellement par l’injection de monoxyde de carbone ou de nitrites. Un prix de vente supérieur peut ainsi être maintenu alors que ce dernier n’est plus corrélé avec sa qualité.

Cette mascarade n’est pas sans conséquence. Les produits utilisés pour « piquer » le thon peuvent varier. Dans les années 2000, le monoxyde de carbone était utilisé pour pallier l’oxydation de la viande[3]. En revanche, après des contrôles sanitaires, les fraudeurs ont adapté leurs méthodes en utilisant des nitrites. Cette composante présente certains risques puisqu’elle serait largement responsable de diverses maladies comme le cancer colorectal[4]. De plus, l’utilisation de l’acide ascorbique (vitamine C) après l’injection de nitrites permet de masquer cette dernière lors d’analyse en laboratoire[5]. Cela complique inévitablement sa détection et donc son contrôle. Le laboratoire de Bâle relève donc que les techniques de dissimulation de ces produits se complexifient. Néanmoins, ces efforts semblent être payants, car d’après Europol, le marché illégal de viande de thon est deux fois supérieur à celui du thon légal[6].

En résumé, une viande apparemment pas ou plus en mesure d’être consommée est artificiellement teintée à l’aide de produit controversé. Cette manipulation permet une vente d’un produit de qualité trompée. Cela offre de multiples points d’appui d’infractions en droit suisse. Bien que les noms de ces sociétés probablement basées à l’étranger restent inconnus, il est intéressant d’étudier la question juridique des entreprises suisses qui en font commerce.

De manière globale, sur la base de l’art. 2 al. 1 let. c. de la Loi sur les denrées alimentaires[7], cette dernière est applicable dans le cas de la vente de thon illégale. Certes, des parties situées à l’étranger sont invoquées ; néanmoins, l’importation de la viande de thon dans nos supermarchés vient témoigner de l’applicabilité de la LDAI.

L’art. 7 al. 1 LDAI délimite que seules les denrées alimentaires sûres peuvent être mises sur le marché suisse. L’art. 2 LDAI apporte des précisions supplémentaires en exigeant que les denrées ne soient pas préjudiciables pour la santé (art. 7 al. 2 let. a LDAI) et qu’elles ne soient pas impropres à la consommation humaine (art. 7 al. 2 let. b LDAI). Or, dans le cas de la viande de thon, celle-ci fait souvent objet de contestations dû à la teneur non autorisée de produits comme le monoxyde de carbone ou de vitamine C (dissimulant une utilisation de nitrites) à la suite d’une oxydation prématurée. La viande combine à la fois l’aspect impropre à la consommation et aussi le côté préjudiciable pour la santé.

De plus, l’art. 18 LDAI vise à protéger le consommateur contre la tromperie en garantissant notamment une transparence vis-à-vis de la composition réelle des produits. En connaissance des examens effectués par le laboratoire cantonal de Bâle-Ville[8] pour détecter l’usage volontairement masqué de nitrites, il est possible d’attester de la volonté réelle de tromperie de certains producteurs de viande de thon.

De ce comportement découlent différentes peines conformément à l’art. 63 al. 1 LDAI, notamment une peine privative de liberté de trois ans au plus. Dans le cas d’espèce, une utilisation non conforme de produits pour teinter la viande de thon est flagrante. Néanmoins, ces derniers ne sont pas formellement interdits dans l’usage alimentaire bien que des répercussions sur la santé soient démontrées. La frontière qui sépare la légalité de l’illégalité reste fine. C’est pour cela que les peines liées à l’entreposage ou la mise sur le marché de denrées dangereuses pour la santé par des acteurs suisses restent discutables.

Un élément qui reste central, mais également discutable est l’analyse sous le point de vue de l’escroquerie (art. 146 CP[9]). Pour les faussaires étrangers qui traitent la viande de thon frauduleusement afin de gonfler le prix, cela ne fait pas de doute. En effet, ils regroupent à la fois l’astuce sur la base d’un traitement artificiel ainsi que la dissimulation de faits vrais sur la fraîcheur de la viande.

En revanche, la chaîne d’approvisionnement est longue avant qu’un produit ne se retrouve sur nos étalages. Il est donc difficile de savoir si les revendeurs suisses de ces viandes savent ou devraient savoir que ces produits présentent des caractéristiques graves dans leurs compositions. Dans le cas où les magasins suisses ont conscience de la nature frauduleuse de la viande, ils pourraient être jugés sous le joug de l’escroquerie (art. 146 CP).

Toujours sous une logique d’un cas de conscience supposé des revendeurs suisses, la falsification de marchandises est présumable : (art. 155 CP) « Celui qui […] notamment en contrefaisant ou en falsifiant ces marchandises, aura importé, pris en dépôt ou mis en circulation de telles marchandises  sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus […] ». La viande est falsifiée, car les producteurs laissent croire, par une transformation chimique, à une valeur supérieure à celle qu’elle est en réalité. Elle est vendue sous un label de thon frais ce qui est manifestement erroné à la suite des traitements utilisés. Par conséquent, bien qu’un revendeur suisse ne soit pas l’auteur de la transformation, il reste néanmoins responsable de ses produits stockés et vendus. Cependant, cet article a une portée subsidiaire et n’est applicable que si aucune autre mesure plus sévère n’a été imposée.

En conclusion, l’opacité du marché de la viande de thon reste complexe dans l’identification des diverses parties et de leurs implications dans le processus alimentaire. Cependant, un revendeur suisse engage sa responsabilité sur ce qu’il importe, stocke et vend. Il est donc de son devoir de s’assurer que les produits sont conformes aux normes sanitaires et que l’étiquetage offre une transparence complète. Dans le cas contraire, ils se heurtent à des comportements illégaux et condamnables.

Sur la base de cet exposé, cet article révèle le risque de la mondialisation sur un des besoins les plus importants : l’alimentation. Ce document expose la teneur grave du manque de transparence dans ce que la population consomme. Cependant, il est difficile de trouver le responsable. Le consommateur veut continuellement des produits frais qui viennent de l’autre bout du monde et le producteur s’acharne à fournir l’impossible pour rester compétitif, même si cela se fait au détriment de la qualité.

Heureusement, des organisations à travers l’Europe se mobilisent pour enquêter et dénoncer ces activités. De l’Europol en passant par divers Instituts comme le laboratoire Cantonale de Bâle ou encore des associations nationales de sécurité alimentaire, tous s’efforcent de déceler ces business de l’ombre qui mettent en danger la santé et la confiance des consommateurs.


[1] KANTON BASEL-STADT, KANTONALES LABORATORIUM, Illegale Färbung von Thunfisch nachgewiesen [en ligne]. 22.12.2021. [Consulté le 15.12.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.kantonslabor.bs.ch/nm/2021-illegale-faerbung-von-thunfisch-nachgewiesen-gd.html

[2] EUROPOL, 2018. Europol.europa [en ligne]. 16.10.2018 [Consulté le 15.12.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.europol.europa.eu/media-press/newsroom/news/how-illegal-bluefin-tuna-market-made-over-eur-12-million-year-selling-fish-in-spain

[3] CHARRIERE, Roland, 2006. Lettre d’information n° 115 : contestation concernant le poisson traité au monoxyde de carbone, notamment le thon [support]. Bern : OFSP, 09.03.2006.

[4] ANSES, 2022. www.anses.fr [en ligne]. 12.07.2022. [Consulté le 16.12.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.anses.fr/fr/content/r%C3%A9duire-l%E2%80%99exposition-aux-nitrites-et-aux-nitrates-dans-l%E2%80%99alimentation

[5] Réf. 1

[6] Réf. 2

[7] Loi fédérale du 20 juin 2014 sur les denrées alimentaires et objets usuels (Loi sur les denrées alimentaires, LDAI ; RS 817.0)

[8] Réf. 1

[9] Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (Code pénal, CP ; 311.0) 

Vous reprendriez bien un peu de viande de cheval ?

mardi 21 Mar 2023

Par Johan Métrailler, étudiant BsC in Business Law

La Commission Européenne (CE) définit la fraude alimentaire comme la tromperie intentionnelle des consommateurs, dans le but d’obtenir un avantage indu et qui viole la législation sur la chaîne agroalimentaire[1].

La lutte contre la fraude alimentaire est une préoccupation majeure des gouvernements. Dès avril 2020, Process Alimentaire, un mensuel de référence pour les industriels de l’agroalimentaire, déclarait que l’épidémie de COVID-19 serait propice à une augmentation du risque de fraudes[2]. Les chaînes d’approvisionnement ont été fortement perturbées par les restrictions aux frontières[3], des contrôles sanitaires ont été reportés sine die. La combinaison parfaite pour les organisations criminelles[4].

Si des scandales sont parfois relatés par la presse, aucun n’a eu le retentissement de celui de 2013 relatif à la viande de cheval retrouvée dans des plats censés contenir du bœuf[5].

Cet article traitera de la position de la Suisse dans la lutte contre les fraudes alimentaires relatives à la viande de cheval. Tout d’abord, deux types de tromperies seront développées, puis un tour de situation de la lutte contre les fraudes en Suisse sera abordé, ainsi que la marge de manœuvre des autorités suisses tout en évoquant les bases légales applicables.

Exemples de fraudes alimentaires relatives à la viande chevaline

Entre l’éleveur et le consommateur, de nombreux acteurs entrent en jeu, notamment marchands de bestiaux, abatteurs, vendeurs de viande en gros, transformateurs, supermarchés ou restaurateurs, bouchers, complexifiant contrôles et traçabilité[6]. Les marges opérées à chaque étape de la chaîne permettent les bénéfices financiers[7].

Par son prix élevé et sa consommation importante, la viande est un produit de choix pour les fraudeurs. Le risque de manipulation est élevé[8] : remplacer la viande de bœuf par du cheval, introduire des équidés sous antibiotiques, donc impropres à la consommation, dans la chaîne de production, viande gonflée à l’eau sont autant de fraudes possibles.

En matière de fraudes alimentaires liées à la viande de cheval, il est possible de distinguer deux types de fraudes avérées : la substitution d’une viande par une autre et la falsification de documents d’identification.

Substitution d’une viande par une autre

Le scandale de 2013 est la meilleure illustration de substitution d’une viande par une autre. La société française Findus commandait ses plats de lasagnes à la viande de bœuf chez un sous-traitant français qui faisait confectionner ses plats auprès de sa filiale au Luxembourg. Cette dernière se fournissait de viande fraiche transformée auprès de Spanghero en France, denrée livrée par un producteur roumain de viande de cheval. A cette chaîne de distribution s’ajoutent un trader au Pays-Bas et un intermédiaire basé à Chypre[9]. Toutes ces étapes rendaient le processus de fabrication plus opaque

Jugés par le Tribunal de Grande Instance de Paris, les accusés ont été reconnus coupables de tromperie. Si le Juge d’instruction avait retenu la tromperie (protège l’intérêt public et social) et l’escroquerie en bande organisée (protège l’intérêt financier du co-contractant), il n’a pas été suivi par la Cour. Le chef d’accusation d’escroquerie en bande organisée a été abandonné [10].

Le trader néerlandais a écopé de deux ans d’emprisonnement avec mandat d’arrêt et une interdiction définitive d’exercer dans la filière de la viande. Le directeur général de Spanghero a été condamné à deux ans de prison dont 18 mois avec sursis. Deux autres coaccusés ont eux écopés d’un an de prison avec sursis.[11]

Si les peines sont relativement clémentes, cela s’explique par le fait qu’au moment de la commission des infractions la loi ne sanctionnait la tromperie « que » par deux ans de prison et/ou de 37’500 euros d’amende.

Documents d’identification et puces falsifiés

Afin d’éviter des fraudes, la CE a introduit l’obligation de munir les chevaux de documents d’identification. Une puce placée dans l’encolure de l’animal permet de l’identifier à des fins de contrôles sanitaires[12]. Ce système assure la traçabilité de l’équidé, séparant ceux élevés pour leur viande et ceux « exclus de la chaîne alimentaire ».

Pour tromper les services vétérinaires, les fraudeurs ont à plusieurs reprises placé des puces contenant les données d’un autre cheval, autour des puces d’origine. Dès lors en cas de contrôle, seules les puces reprogrammées étaient détectées. Les données des documents d’identification étaient modifiées, avec l’appui de vétérinaires complices, pour correspondre à celles contenues dans les puces falsifiées[13].

Grâce à ces puces, des sociétés irlandaises ont exporté de la viande de cheval impropre à la consommation[14]. Les données biométriques étaient celles de chevaux morts depuis longtemps.

Le 9 août 2021, l’AFSCA[15] communique que la dixième édition de l’opération OPSON coordonnée avec EUROPOL[16] et INTERPOL[17] avait visé notamment les fraudes au niveau de la viande chevaline[18]. Les inspecteurs ont relevé que 20% des passeports étrangers étaient au moins partiellement falsifiés. En outre plus de 50% des chevaux ne disposaient pas d’information concernant les traitements médicamenteux qui auraient pu leur être administrés.

Situation de la lutte contre les fraudes alimentaires en Suisse

Par son avis du 25 août 2021 relatif à une motion déposée, le Conseil fédéral (CF) confirmait que « la fraude alimentaire augmente et elle ne peut être combattue à l’heure actuelle de manière optimale » [19]. Il rappelait l’existence d’une plateforme de coordination mais dont le cadre légal actuellement en vigueur limite étroitement sa marge de manœuvre.

La Commission fédérale de la consommation (CFC) publiait le 29 avril 2021 des recommandations permettant de renforcer les efforts visant à lutter contre la fraude alimentaire. Elle demandait au CF de constituer un groupe d’experts et de créer des bases légales, permettant notamment l’échange de données entre les autorités concernant les soupçons de fraude alimentaire. Actuellement, la Suisse ne dispose pas de bases juridiques permettant l’échange d’informations[20].

La Suisse ne peut pas décider seule d’interrompre l’importation de viande, cette mesure ne pouvant se prendre qu’au niveau européen. En effet, en vertu de l’annexe 11 de l’accord entre la Confédération suisse et la Communauté européenne relatif aux échanges de produits agricoles (RS 0.916.026.81), la CE a le pouvoir de délivrer ou de retirer les autorisations d’importation de viande.

L’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) a soumis à consultation la révision de 23 ordonnances relatives à la Loi sur les denrées alimentaires (projet Stretto IV). Selon l’Alliance des organisations des consommateurs cette révision amènera davantage de transparence par l’ajout d’indications dans l’étiquetage des produits (pays de fabrication, teneurs des apports, …)[21].

La confédération a créé la plateforme « Coordination Food Fraud » (COFF) qui regroupe plusieurs office fédéraux (OSAV[22], OFAG[23], DGD[24], Fedpol[25], …) et certaines autorités compétentes dans le domaine alimentaires au niveau cantonal[26].

Bases légales

La Loi fédérale du 20 juin 2014 sur les denrées alimentaires et les objets usuels (Loi sur les denrées alimentaires, LDAl ; RS 817.0) régit l’importation de la viande chevaline, en coordination avec la Loi fédérale du 29 avril 1998 sur l’agriculture (Loi sur l’agriculture, LAgr ; RS 910.1) et la Loi du 18 mars 2005 sur les douanes (LD ; RS 631.0). La LDAl a pour but de protéger la santé du consommateur, le protéger contre les tromperies relatives aux denrées alimentaires et mettre à sa disposition les informations nécessaires à l’acquisition de denrées (art. 1 let. d LDAl). Elle s’applique à l’importation des denrées alimentaires (art. 2 let. c LDAl).

La Confédération, par le biais de l’Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières (OFDF) a la charge du contrôle des importations des denrées alimentaires (art. 38 LDAl). Pour les denrées produites en Suisse, c’est aux cantons qu’incombe cette tâche (art. 47 al. 2 LDAl).

La LDAl punit d’une amende de 40’000 francs au plus quiconque qui, intentionnellement, enfreint les prescriptions concernant la protection contre la tromperie relative aux denrées alimentaires (art. 64 al. 1 let. i LDAl). Le montant de l’amende est élevé à 80’000 francs au plus si l’auteur des faits agit à titre professionnel ou avec l’intention de s’enrichir (art. 64 al. 2 LDAl).

La LDAl dispose que les cantons poursuivent et jugent les infractions à son encontre (art. 66 LDAl).

Dans le cas de fraudes avérées, les dispositions du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP ; RS 311.0) sanctionnant l’escroquerie (art. 146 CP) et la falsification de marchandises (art. 155 CP) sont invocables. Ces deux infractions sont sanctionnées par des peines privatives de liberté ou des peines pécuniaires.

Note critique

Comme tout un chacun, le scandale de la viande chevaline en 2013 a été suivi avec attention par tout un chacun. Cette affaire a été extrêmement médiatisée. Beaucoup de personnes pensaient que les actions avaient été prises pour que de telles tricheries ne puissent plus avoir cours. Lors d’un débat sur Public Sénat[27], une chaîne de télévision française a annoncé avec stupeur que le crime organisé a continué de manipuler la chaîne alimentaire de la viande de cheval, et ce malgré les modifications imposées par la CE.

Le scandale de 2013 ne portait pas atteinte à la santé des consommateurs, sauf en cas d’allergie à la viande de cheval. Il relevait de la substitution des produits et d’étiquetage mensonger. Il s’agissait donc d’un scandale alimentaire et non pas sanitaire. Contrairement à la fraude de 2013, l’introduction dans le circuit alimentaire de viande impropre à la consommation par la modification des puces et la falsification des documents d’identification pose, quant à lui, un réel problème sanitaire. Elle permet de générer des profits importants au mépris de la santé des consommateurs.

D’un point de vue personnel, la fraude alimentaire doit être combattue de manière intensive. Afin de décourager les fraudeurs, il est important que les peines privatives de liberté ainsi que les amendes soient durcies et que des interdictions d’exercer dans le domaine alimentaire soient prononcées plus fréquemment.

Conclusion

La fraude alimentaire relative à la viande chevaline n’a pas disparu en 2013. Les fraudeurs usent de nouvelles méthodes (viandes étrangères présentées comme suisses, méthodes de production interdites, …), contournant les mesures prises par les autorités. Si la Suisse semble être peu concernée par ce type de fraudes, cela est certainement dû à l’absence de base légale qui lui permettrait de poursuivre et de sanctionner plus durement leurs auteurs.

Il en va de la crédibilité de ces institutions et du respect des consommateurs. Si les normes sanitaires ne sont pas respectées par une partie des entreprises, celles qui appliquent les normes pourraient ne plus le faire en raison d’une distorsion de concurrence. Protégeons les entreprises qui respectent les règles, et ne laissons pas les fraudeurs poussés par l’appât du gain mettre en danger notre santé en faisant fi des lois impunément.


[1] European Commission. s.d. Agri-Food fraud: What does it mean?. https://food.ec.europa.eu/safety/eu-agri-food-fraud-network/what-does-it-mean_en [Consulté le 10.12.2022].

[2] Process Alimentaire. 2020. Covid-19 : Le risque de fraude alimentaire s’accroit. https://www.processalimentaire.com/qualite/covid-19-le-risque-de-fraude-alimentaire-s-accroit [Consulté le 18.12.2022].

[3] Novethic. 2021. Thon maquillé, faux miel… L’opacité règne sur notre alimentation. https://www.novethic.fr/actualite/infographies/isr-rse/infographie-thon-maquille-faux-miel-l-opacite-regne-sur-notre-alimentation-149678.html [Consulté le 12.12.2022].

[4] ibidem

[5] The Guardian. 2013. Horse DNA found in beefburgers from four major supermarkets. https://www.theguardian.com/world/2013/jan/15/horse-dna-found-supermarket-beefburgers [Consulté le 22.12.2022].

[6] L’Humanité. 2013. Le grand business de la mal-bouffe. https://www.humanite.fr/planete/agriculture/le-grand-business-de-la-mal-bouffe-494115 [Consulté le 11.12.2022].

[7] ibidem

[8] Food Safety Experts. 2019. Comment mettre en œuvre un programme de prévention de la fraude alimentaire et pourquoi c’est important. https://www.foodsafety-experts.com/fr/food-fraud/food-fraud-prevention/ [Consulté le 11.12.2022].

[9] Le Figaro. 2013. Findus : soupçons d’une fraude à plus grande échelle. https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/02/10/01016-20130210ARTFIG00238-findus-soupcons-d-une-fraude-a-plus-grande-echelle.php [Consulté le 14.12.2022].

[10] Doctrine. 2023. Tribunal correctionnel de Paris, 16 avril 2019, n° 13045070091. https://www.doctrine.fr/d/TCORR/Paris/2019/U1CAF987DF669FC6CAE94#decision-table-of-contents-9 [Consulté le 15.03.2023].

[11] UFC-Que Choisir. 2019. Fraude à la viande de cheval : des peines de prison ferme à l’issue du procès Spanghero. https://www.quechoisir.org/actualite-fraude-a-la-viande-de-cheval-des-peines-de-prison-ferme-a-l-issue-du-proces-spanghero-n65959/ [Consulté le 15.03.2023].

[12] Règlement d’exécution (UE) 2015/262 de la Commission du 17 février 2015 établissant des règles conformément aux directives du Conseil 90/427/CEE et 2009/156/CE en ce qui concerne les méthodes d’identification des équidés (règlement sur le passeport équin) Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE, JO L 59 du 3.3.2015, p. 1–51. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/?uri=CELEX%3A32015R0262 [Consulté le 03.12.2022].

[13] Le Journal de Saône et Loire. 2022. Trafic de viande de cheval : le procès de 18 professionnels de la filière s’ouvre ce mardi. https://www.lejsl.com/faits-divers-justice/2022/06/07/trafic-de-viande-de-cheval-le-proces-de-18-professionnels-de-la-filiere-s-ouvre-ce-mardi [Consulté le 14.12.2022].

[14] Agriland. 2019. Multiple microchips’ in horses mooted as cause of Garda investigation. https://www.agriland.ie/farming-news/multiple-microchips-in-horses-mooted-as-cause-of-garda-investigation/ [Consulté le 10.12.2022].

[15] L’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire belge.

[16] Organisation intergouvernementale favorisant la collaboration entre les autorités de police à l’échelle européenne.

[17] Organisation intergouvernementale favorisant la collaboration entre les autorités de police à l’échelle mondiale.

[18] Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire. 2021. Communiqué de presse du 9 août 2021. https://www.favv-afsca.be/professionnels/publications/presse/2021/2021-08-09.asp [Consulté le 16.12.2022].

[19] Motion 21.3903. Egger. Renforcer la lutte contre la fraude alimentaire pour protéger la production alimentaire nationale et les consommateurs suisses. https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20213903 [Consulté le 10.12.2022].

[20] ibidem

[21] Fédération romande des consommateurs. Droit alimentaire: La révision amène davantage de transparence, mais aussi des bémols. https://www.frc.ch/postpratique/la-revision-amene-davantage-de-transparence-mais-aussi-des-bemols/ [Consulté le 20.03.2023].

[22] Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires.

[23] Office fédéral de l’agriculture.

[24] Direction générale des douanes.

[25] Office fédéral de la police.

[26] Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires. Programmes de contrôle nationaux. https://www.blv.admin.ch/blv/fr/home/lebensmittel-und-ernaehrung/lebensmittelsicherheit/verantwortlichkeiten/nationale-kontrollprogramme.html [Consulté le 20.03.2023].

[27] Public Sénat. 2022. Fraude alimentaire : des contrôles insuffisants ?. https://www.publicsenat.fr/emission/un-monde-en-docs/fraude-alimentaire-des-controles-insuffisants-199792 [Consulté le 03.12.2022].

Protection de l’authenticité des produits

jeudi 16 Mar 2023

Par Simon Morabia, étudiant BsC in Business Law

Les fraudes dans le domaine alimentaire sont courantes et prennent différentes formes, que ce soit lors de la conception ou de la vente des produits. Afin de protéger les revendeurs et les consommateurs, il est nécessaire de contrôler le marché et d’instaurer des bases légales solides dans ce domaine. En Suisse, trois types d’appellations et d’indications pour les produits alimentaires sont prévus par la loi : l’appellation d’origine protégée (AOP), l’indication géographique protégée (IGP) et l’appellation d’origine contrôlée (AOC). Les différences entre l’AOP et l’IGP sont particulièrement fines et les conditions pour les obtenir très strictes. L’AOP est utilisée pour des « produits très étroitement associés à la région dont ils proviennent »[1]. Ils doivent répondre à des conditions humaines (savoir-faire) et naturelles venant spécifiquement d’une zone géographique déterminée. Ces facteurs spécifiques donnent le caractère unique des produits protégés par une AOP. Les conditions d’obtention d’une IGP sont, quant à elle, plus souples. Celle-ci protège des « produits attachés à la région dont ils tirent leur origine, mais dont le lien est moins fort ou d’une autre nature que pour l’AOP »[2]. Afin d’obtenir cette protection, il faut qu’au moins une des opérations de production ait lieu dans la région déterminée. Ceci laisse une marge de manœuvre plus large au producteur quant à ses techniques de fabrication. L’appellation est donc plus liée à la réputation, car contrairement à l’AOP, le savoir-faire local suffit à faire reconnaître un produit comme IGP, il n’y a pas besoin que des facteurs géographiques soit pris en compte. Finalement, l’AOC protège les vins. Une AOC désigne un canton ou une zone géographique d’un canton dans lequel le raisin doit être récolté, voire vinifié.

En Suisse, il y a 25 produits AOP, 17 IGP et 62 AOC.[3] Ces chiffres montrent bien que peu de produits sont protégés et que ces derniers doivent respecter un grand nombre de critères. Il est aussi important de mentionner que ces appellations et indications protègent un lieu, une région, une dénomination traditionnelle, mais pas des noms génériques. Ainsi, il n’est pas possible d’enregistrer un nom qui pourrait décrire un large panel de produits, par exemple « Pain AOP ». Pour que le nom soit protégé, plus de précisions quant au type du produit et à la région sont demandées, par exemple : « Pain de seigle valaisan AOP ».[4]

Étant difficiles et contraignantes à obtenir, ces appellations assurent aux consommateurs que les produits sont locaux et issus d’un savoir-faire ancré à une région déterminée, démontrant un gage de qualité. Il peut donc être tentant pour les producteurs ou les distributeurs de vendre certains produits avec une appellation AOP, IGP ou AOC alors que les étapes de production ne remplissent pas les conditions d’obtention.

Afin de protéger les consommateurs et les producteurs de la fraude, plusieurs bases légales ont été édictées. Les grands principes des labels de protection AOP et IGP (définitions, procédure d’enregistrement et effets de la protection) sont régis par l’Ordonnance du 28 mai 1997 concernant la protection des appellations et des indications géographiques des produits agricoles, des produits agricoles transformés, des produits sylvicoles et des produits sylvicoles transformés (Ordonnance sur les AOP et IGP ; RS 910.12). L’article 16 de cette ordonnance mentionne les cas dans lesquels il n’est pas autorisé d’utiliser les mentions AOP et IGP. Selon les al. 1 et 2 de cette disposition, tel est le cas pour les produits non-enregistrés selon les conditions décrites par l’ordonnance et pour les dénominations qui pourraient porter à confusion sur ce sujet.

L’AOC, quant à elle, tire ses principes de l’article 21 de l’Ordonnance du 14 novembre 2007 sur la viticulture et l’importation de vin (Ordonnance sur le vin ; RS 916.140). En Valais notamment, plusieurs cas de fraudes AOC ont porté sur la vente de vins à l’appellation AOC Valais, alors que ces derniers provenaient de l’étranger ou d’un coupage excessif avec des vins ne venant pas du Valais. L’un de ceux-ci est l’affaire de Monsieur Dominique Giroud, qui par sa société Giroud vins SA avait été soupçonné d’avoir vendu plusieurs dizaines de milliers de litres de vin sous l’appellation AOC Valais, alors qu’un coupage excessif avait été effectué avec du vin étranger montre bien que ce genre de cas existe[5]. Ce cas n’est pas isolé, car actuellement, une autre affaire est en cours contre l’entreprise Château Constellation SA qui est accusée d’avoir vendu plus de 30’000 litres de vins AOC Valais à l’entreprise Caves Orsat SA, alors que ce dernier proviendrait de l’étranger.[6] L’art. 21 al. 2 de l’Ordonnance sur le vin prévoit que chaque canton fixe les exigences d’obtention de l’AOC, mais que celles-ci doivent prévoir certaines conditions prédéfinies comme « une délimitation de l’aire géographique dans laquelle le raisin au minimum est produit ». Aux alinéas 3 et 3bis de ladite ordonnance, il est mentionné que dans certains cas, il est possible d’étendre l’AOC à des cantons, voire des pays limitrophes. Il faut tout de même que la zone géographique soit bien définie et que les contrôles soient garantis par les organes de contrôles agréés. Selon l’art. 36 al. 1 de l’Ordonnance sur le vin, l’organe de contrôle qui s’occupe du territoire helvétique est la Fondation « Contrôle suisse du commerce des vins ». Il est aussi nécessaire qu’un accord international prévoie le fait d’étendre la zone d’obtention de l’AOC, que le vignoble forme une zone géographique bien définie et que le ou les cantons concernés fixent les exigences spécifiques avec l’Office fédéral de l’agriculture. Il est donc obligatoire de vendre un vin sous l’appellation AOC lorsque celui-ci vient réellement de territoires agréés.

En parallèle, la Loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la concurrence déloyale (LCD ; RS 241) peut également s’appliquer dans les fraudes aux appellations protégées. En effet, il est indiqué à l’art. 3 al. 1 let. b LCD que « celui qui donne des indications inexactes ou fallacieuses sur […], ses marchandises, […] » et à la l’art. 3 al. 1 let. d LCD, que « celui qui prend des mesures qui sont de nature à faire naître une confusion avec les marchandises, les œuvres, les prestations ou les affaires d’autrui. » agit de façon déloyale. Ces deux exemples de bases légales sont applicables dans le cas précité, car en employant les labels AOP, IGP ou AOC tout en ne remplissant pas les conditions requises, le producteur ou le vendeur donne des indications fallacieuses sur ses produits et de ce fait trompe la clientèle. Le producteur ou le vendeur aura accès à une renommée et une illusion de gage de qualité de ses produits qu’il n’a légitimement pas acquis. Il en va de même pour l’utilisation de procédés qui sont de nature à faire naître la confusion décrite à la lettre d. Par exemple, utiliser un terme qui ressemble à « Appellation d’origine contrôlée » crée une confusion chez le consommateur et donne aussi accès à tous les avantages conférés par l’obtention d’une AOC. Le fait d’utiliser les termes AOP, IGP ou AOC sans en avoir le droit tombe aussi sous l’effet de la LCD, car cela donne un avantage par rapport à d’autres entreprises. Il n’est pas juste qu’un producteur vende ses produits sous une appellation dont il ne remplit pas les conditions et ne fait pas les efforts pour les remplir, alors que d’autres font leur maximum pour être en règle. Selon l’article 23 al. 1 LCD, une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire est prévue pour celui qui se rend coupable de concurrence déloyale. Il est important de noter que cette infraction est poursuivie sur plainte uniquement et que la poursuite pénale incombe aux cantons, aux termes de l’art 26a al. 1 LCD.

Le thème de l’utilisation frauduleuse des appellations et d’indications protégées défie les chroniques ces dernières années, particulièrement dans le domaine viticole. Ces appellations donnent certains avantages aux producteurs qui suivent les règles d’obtention de ces labels. Il est donc profitable de vendre ses produits avec une AOP, AOC ou IGP et il est tentant d’utiliser cela abusivement. Afin de lutter contre cela plusieurs acteurs tels que l’Office fédéral de l’agriculture, le Contrôle suisse du commerce des vins, les services cantonaux de l’agriculture ou encore l’Interprofession de la vigne et du vins suisse. Deux types de contrôles sont opérés : le contrôle de la vendange et le contrôle du commerce des vins. Dans le premier cas, ce sont les art. 28 et suivants de l’Ordonnance sur le vin qui s’appliquent. Tous les encaveurs sont soumis à un autocontrôle des règles prévues par l’Ordonnance précitée et les lois cantonales concernant les vendanges. Ils sont contrôlés par le canton au moins une fois tous les six ans. Le contrôle du commerce des vins est effectué par le Contrôle suisse du commerce des vins pour le compte de la Confédération et est régit aux art. 33 et suivants de l’Ordonnance sur le vin. Ils procèdent à des inspections chez chaque entreprise qui effectue du commerce de vins au moins tous les six ans. Ces examens peuvent être effectués plus fréquemment si l’organe de contrôle les estimes nécessaires selon les conditions de l’article 35 al. 2 de l’Ordonnance sur le vin. L’organe de contrôle tient compte par exemple : « de la fiabilité des autocontrôles déjà effectués par l’entreprise », « des risques identifiés en matière d’assemblage, de coupage, de respect des dénominations et désignations » ou encore « des antécédents de l’entreprise au regard du respect de la législation ». Ceci donne une certaine liberté à l’organe de contrôle d’effectuer fréquemment ou non des vérifications chez les entreprises. C’est par exemple cet organe de contrôle qui a porté plainte contre l’entreprise Château Constellation SA dans le cas cité précédemment.[7] Aussi, l’Interprofession de la vigne et du vin suisse agit contre les fraudes en la matière. Cette association faîtière aide et promeut les viticulteurs de tout le pays. En sa qualité de représentante des producteurs, l’association se doit de lutter contre les fraudes. Elle avait par exemple porté plainte, par sa section valaisanne, contre Monsieur Dominique Giroud en 2015 pour concurrence déloyale entre autres.[8] Ces moyens de lutte sont relativement efficaces. Dans certains cas, des analyses isotopiques sont effectuées pour retracer l’origine des vins. Cette dernière consiste à examiner l’oxygène présent dans les molécules d’eau du vin. Malgré l’utilité et la fiabilité de ces tests, ces derniers sont rares. Entre 2017 et 2021, 324 vins ont été analysés en laboratoire. Ces analyses seront renforcées dans le futur afin de mieux contrôler le marché.[9] Aussi, l’affaire de Château Constellation SA fait part d’une filature organisée de la part du Contrôle suisse du commerce des vins lors de la livraison litigieuse de vin en 2022 afin d’obtenir des informations sur la provenance de ce dernier. Par la suite, les vins ont fait l’objet d’une analyse isotopique.[10] Ceci démontre la réactivité de l’organe de contrôle et son activité concrète sur le terrain.


[1] OFAG, Office fédéral de l’agriculture, 2020. Guide pour le dépôt d’une demande d’enregistrement ou d’une modification de cahier des charges (Guide AOP-IGP) [fichier PDF]. [Consulté le 26 décembre 2022].

[2] Réf. 1

[3] OFAG, Office fédéral de l’agriculture. Appellations d’origine et indications géographiques.https://www.blw.admin.ch/blw/fr/home/instrumente/kennzeichnung/ursprungsbezeichungen-und-geografische-angaben.html [Consulté le 26 décembre 2022].

[4] Réf. 1

[5] Plus de 350’000 litres de vin coupés illicitement chez Giroud Vins, 2014, rts.ch. https://www.rts.ch/info/regions/valais/5634371-plus-de-350000-litres-de-vin-coupes-illicitement-chez-giroud-vins.htm l[Consulté le 12 mars 2023].

[6] Le Contrôle suisse du commerce des vins porte plainte contre Château Constellation, 2022. rts.ch. https://www.rts.ch/info/regions/valais/13094671-le-controle-suisse-du-commerce-des-vins-porte-plainte-contre-chateau-constellation.html [Consulté le 28 décembre 2022].

[7] Réf. 6

[8] Affaire Giroud : l’IVV déboutée par le Tribunal fédéral, 2023, Le Nouvelliste, https://www.lenouvelliste.ch/valais/affaire-giroud-livv-deboutee-par-le-tribunal-federal-1269084 [Consulté le 12 mars 2023].

[9] Fraude suspectée à l’AOC Valais : l’analyse de provenance des vins reste très rare, 2022, Le Nouvelliste, https://www.lenouvelliste.ch/valais/fraude-suspectee-a-l-aoc-valais-lanalyse-de-provenance-des-vins-reste-tres-rare-1185503 [Consulté le 13 mars 2023].

[10] Réf. 6

Lutte contre le blanchiment d’argent : quid du négoce de matières premières ?

mardi 06 Déc 2022

Par une étudiante du MAS en Lutte contre la criminalité économique

Introduction

Le 24 mai dernier, le groupe Glencore, géant actif dans le négoce, le courtage et l’extraction de matières premières basé à Zoug, a annoncé avoir conclu des accords avec les autorités des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et du Brésil, plaidant coupable de faits de corruption et de manipulation de marché. Le montant de ces accords s’élève à plus d’un milliard de dollars US concernant les Etats-Unis et le Brésil, alors que les pénalités restent à définir avec les autorités britanniques. Des procédures sont encore en cours en Suisse et aux Pays-Bas.[1]

Souvent critiqué pour ses manquements notamment dans le domaine de la responsabilité sociale et environnementale, le secteur du commerce de matières premières est très exposé aux risques de corruption. Premièrement, parce que les contrats et octrois de licences d’exploitation interviennent souvent dans un domaine impliquant une entreprise étatique, ce qui augmente le risque que des pots-de-vin soient versés ; deuxièmement, parce que les matières premières sont souvent acquises dans des pays en voie de développement plus exposés à la corruption ; enfin, en raison de l’importance des montants et unités de vente échangés, qui facilitent la dissimulation de pots-de-vin.[2] Or, d’après un rapport du groupe interdépartemental de coordination sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (GCBF), la corruption constitue la principale menace de blanchiment d’argent en Suisse.[3] Les activités de négoce de matières premières sont-elles soumises à la loi suisse sur le blanchiment d’argent (LBA)?[4] Petit état des lieux.

Le négoce de matières premières en Suisse

La Suisse est l’une des plus importantes plateformes de négoce de matières premières au monde. On estime qu’un tiers de la demande globale de pétrole est négocié en Suisse, 60% des métaux et entre 35% et 60% des soft commodities.[5] Le secteur contribue de manière significative à l’économie du pays. Les recettes issues du commerce de transit correspondent à 4% du PIB[6] et l’activité représenterait respectivement 22% et 10% des recettes fiscales de Genève et Zoug.[7]

Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), la Suisse comptait en 2018 quelque 900 négociants employant environ 9’800 personnes, dont 44% dans le canton de Genève.[8] Il est à noter que ces chiffres varient en fonction des sources. En effet, dans un rapport publié en 2017, le lobby des matières premières avançait que le secteur employait quelque 35’000 personnes[9], alors qu’une analyse réalisée par l’ONG Public Eye la même année en dénombrait moins de 8’000 pour 500 entreprises. De son côté, le Conseil fédéral faisait état de 500 entreprises dans son rapport de 2018 sur le secteur.[10]

A ces chiffres, s’ajoutent ceux des fonctions de soutien nécessaires à l’activité telles que le financement, l’audit, le consulting, la certification, l’assurance, le courtage maritime ou les services de transport et de logistique, qui occupent quelque 2’000 employés.[11]

Application de la LBA

La LBA s’applique aux intermédiaires financiers et aux négociants. Elle les soumet notamment à des obligations de diligence, des mesures organisationnelles et des obligations en cas de soupçon de blanchiment. D’après l’article 2 al. 3 let. c, sont notamment réputés intermédiaires financiers « les personnes qui, à titre professionnel, acceptent, gardent en dépôt ou aident à placer ou à transférer des valeurs patrimoniales appartenant à des tiers, en particulier les personnes qui font le commerce, pour leur propre compte ou pour celui de tiers, de billets de banque ou de monnaies, d’instruments du marché monétaire, de devises, de métaux précieux, de matières premières ou de valeurs mobilières (papiers-valeurs et droits-valeurs) et de leurs dérivés ». Jusqu’ici, le négoce de matières premières semble parfaitement soumis à la loi, au même titre que les banques et gestionnaires de fortune, par exemple. Mais lorsque l’on se penche sur les règles d’application, on constate que cet article est quelque peu vidé de sa substance. En effet, l’Ordonnance sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (OBA)[12] définit, dans son article 5 al. 1 let. c-e, uniquement comme activité de négoce, le négoce boursier de matières premières pour le compte de tiers et le négoce hors bourse de matières premières à degré de standardisation élevé pour le compte de tiers.  Le négoce de matières premières pour compte propre n’est donc pas soumis à la LBA, hormis celui de métaux précieux bancaires.

S’agit-il d’un nombre négligeable de négociants ? La réponse est non, puisque d’après un rapport du Conseil fédéral publié en 2020[13], seule une vingtaine de négociants pour compte de tiers sont assujettis à un organisme d’autorégulation (OAR) et donc soumis à la LBA. La grande majorité des acteurs dénombrés plus haut fait donc du négoce pour compte propre, échappant à cette loi.

Le poids sur les banques

Reste alors une possibilité pour que ces sociétés hors du champ d’application de la LBA y soient soumises de manière indirecte : le financement. En effet, lorsqu’il est recouru à un financement bancaire, c’est à la banque qu’incombent les vérifications nécessaires concernant la transaction financée. Ceci est prévu dans une optique de gestion des risques, mais également à cause des obligations découlant de la LBA .

Il apparaît toutefois, en analysant les communications de soupçons en matière de blanchiment d’argent reçues par le MROS[14] pour des cas d’avoirs potentiellement criminels dans le négoce de matières premières, que seul un nombre limité de cas sont identifiés sur la base des transactions. La majorité de ces communications étant faites sur la base de sources externes, comme les enquêtes de presse.[15] La détection des cas suspects par les banques semble difficile. Ceci s’explique par la complexité des schémas financiers propres au secteur : de multiples transactions entre de nombreux acteurs, plusieurs juridictions impliquées, l’utilisation de structures peu transparentes et le recours aux services de plusieurs établissements bancaires, parfois à l’étranger, ce qui rend quasi impossible pour la banque d’avoir une bonne vue d’ensemble des activités de ses clients.[16] Cette difficulté de détection est également rencontrée par les banques qui ne sont pas impliquées directement dans le financement des transactions de négoce, mais fournissent des services de trafic des paiements, par exemple.

Conclusion

L’on constate qu’en Suisse, le négoce de matières premières pour compte propre, soit la majorité de l’activité, n’est pas soumis à la LBA. Si une transaction est financée par une banque, alors elle l’est de manière indirecte, mais l’exercice s’avère complexe. Si elle est financée par une banque étrangère ou par des fonds propres, alors elle ne l’est pas du tout. En la matière, le secteur ne reste donc soumis qu’à des directives et bonnes pratiques juridiquement non contraignantes adoptées sur une base volontaire. Cela dit, le blanchiment d’argent reste poursuivi d’office en vertu de l’article 305bis du Code pénal (CP), encore faut-il que les autorités en soient informées.[17]

Ce constat est plutôt étonnant à la lumière des sommes impliquées dans ce secteur et de la charge règlementaire de plus en plus pesante sur le secteur financier. Le sujet fait d’ailleurs régulièrement l’objet de motions, postulats et interpellations au Parlement. Parmi les plus récents, une motion du groupe des Vert-e-s pour une autorité de surveillance du négoce de matières premières indépendante[18] déposée en février de cette année et une autre déposée au mois de mars par le groupe socialiste, qui charge le Conseil fédéral d’édicter une loi propre au secteur, garantissant des standards analogues à ceux appliqués aux banques.[19]

Dans un rapport rendu en 2020, faisant suite à un postulat intitulé « La supervision bancaire est-elle suffisante pour juguler les risques de blanchiment dans le secteur des matières premières ? », le Conseil fédéral admet quelques possibilités d’amélioration du cadre existant, notamment via une harmonisation des lignes directrices (toujours juridiquement non contraignantes) et une clarification de l’étendue de l’obligation de communiquer des soupçons.[20] Il s’oppose toutefois systématiquement à l’introduction de nouvelles législations, estimant le cadre légal suffisant, se reposant sur les obligations existantes des banques et intermédiaires financiers qui interviennent dans le financement, et brandissant l’article 305bis du CP comme une mesure dissuasive.

La Suisse se veut une place financière compétitive et irréprochable et il semblerait que le premier qualificatif prime lorsqu’il s’agit du négoce de matières premières.


[1] Glencore Reaches Coordinated Resolutions with US, UK and Brazilian Authorities, 24 mai 2022. Glencore [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.glencore.com/media-and-insights/news/glencore-reaches-coordinated-resolutions-with-us-uk-and-brazilian-authorities

[2] Supervision des activités de négoce de matières premières sous l’angle du blanchimentRapport du Conseil fédéral donnant suite au postulat 17.4204 Seydoux-Christe du 14.12.2017. 26 février 2020.

[3] GCBF, Rapport sur l’évaluation nationale des risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme en Suisse. Octobre 2021.

[4] Loi fédérale du 10 octobre 1997 concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. (LBA, RS 955.0) Etat du 1er janvier 2022.

[5] STSA, Key figures. [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.stsa.swiss/know/key-figures

[6] Conseil fédéral, Le secteur suisse des matières premières : état des lieux et perspectives. 30 novembre 2018.

[7] Ibid n°3

[8] Office fédéral de la statistique, 2021. Près de 10 000 personnes et 900 négociants sont au cœur du commerce de matières premières en Suisse – Statistique des négociants en matières premières. Communiqué de presse. Office fédéral de la statistique [en ligne]. 8 mars 2021. Disponible à l’adresse : https://www.bfs.admin.ch/asset/fr/16144835

[9] EGGERT, Nina, FERRO-LUZZI, Giovanni, OUYANG, Difei, 2017. Commodity Trading Monitoring Report.

[10] Ibid n° 4

[11] Ibid n°6

[12] Ordonnance du 11 novembre 2015 sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (OBA ; RS 955.01) Etat du 1er août 2021

[13] Ibid n°2

[14] Money Laudering Reporting Office – Switzerland

[15] Ibid n°2

[16] Ibid n°2

[17] Code pénal suisse du 21décembre 1937, (CP ; RS 311.0). Etat le 1er juin 2022.

[18] Motion 22.3031. Rendre le négoce des matières premières plus responsable grâce à une autorité de surveillance indépendante. Mettre un frein à la corruption et au blanchiment d’argent. Le Parlement suisse, 28 février 2022. [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20223031

[19] Motion 22.3133. Commerce des matières premières. Pleine transparence pour éviter de répéter les erreurs que nous avons payées cher dans le secteur bancaire. Le Parlement suisse. 16 mars 2022. [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20223133

[20] Ibid n°2

Dropshipping – quand l’affaire est trop belle

jeudi 24 Nov 2022

Par une étudiante du MAS en Lutte contre la criminalité économique

Depuis l’expansion d’internet, l’offre de biens et services disponibles sur le web s’est diversifiée et est devenue de plus en plus accessible à tout un chacun. Ces deux dernières années, la pandémie a encore mis l’accent sur la facilité des achats en ligne et son importance en temps de crise.[1]

Aujourd’hui, peu de personnes peuvent encore se targuer de n’avoir jamais rien acheté par le biais du e-commerce. En Suisse, la majorité de la population âgée de 16 à 74 ans a déjà effectué au moins un achat en ligne sur internet.[2]

Ces dernières années, un nouveau mode de fonctionnement dans le commerce en ligne est apparu : le « dropshipping ». Qu’est-ce que c’est ? Comment cela fonctionne ? Pourquoi en parler ? Nous allons dans cet article aborder ces points et expliquer ce qui se cache sous cette méthode de vente en ligne.

Le Dropshipping – définition :

Lorsque l’on souhaite lancer sa boutique de vente en ligne, on n’a toujours pas les fonds nécessaires ni les connaissances pour gérer le stockage des produits que l’on souhaite vendre. Le dropshipping est l’un des moyens pour répondre à cette problématique.

Cette méthode consiste à faire sous-traiter la partie stockage et livraison des produits que l’on souhaite proposer sur son site. Le vendeur ne s’occupe ainsi que de la gestion de son site de vente et éventuellement sa promotion. Le client commande sur le site vendeur, qui transmet ensuite cette commande au fournisseur ou à l’entreprise s’occupant du stock qui va ensuite directement livrer la marchandise au client final. Par ce biais, le vendeur, aussi appelé dropshipper, évite les coûts de gestion de stock, de livraison, mais aussi la problématique du retour de marchandise par le client.[3] À ce jour, de nombreux sites de dropshipping proposent des articles disponibles sur des sites comme Aliexpress ou Wish pour les plus connus[4].

Cette manière de gérer une boutique possède de nombreux avantages, ainsi que des dérives.

Cadre légal du dropshipping et protection du consommateur

La pratique du dropshipping n’a rien d’illégal en Suisse pour autant que les conditions du contrat de vente soient respectées et que l’activité soit déclarée aux autorités fiscales. Les conditions concernant la validité d’un contrat de vente sont exposées dans l’art. 184 ss du Code des obligations (CO)[5]. Elles sont caractérisées par la présence d’une offre de la part du vendeur, l’acceptation de l’offre par l’acheteur, d’un accord de volonté manifesté par les deux parties qui doit être réciproque et concordant.[6] Ainsi, si chacune des parties remplit ses obligations découlant du contrat vente, le vendeur n’a pas l’obligation de posséder en stock la marchandise qu’il propose sur son site.

Lorsque l’acheteur confirme sa commande et effectue le paiement auprès du vendeur, celui-ci va transmettre la commande, ainsi que le montant du prix des articles (au prix fournisseur) de la commande à son fournisseur qui enverra la marchandise à l’acheteur. Le détenteur de la boutique gardera la différence entre le prix catalogue affiché par son fournisseur et le prix affiché sur son e-boutique.

En Suisse, un contrat de vente n’est pas soumis à une forme particulière. Il peut donc s’effectuer par oral tant que par écrit ou sous forme électronique. Dans le cadre du e-commerce, le contrat de vente est considéré comme conclu dès le moment où l’on clique sur « acheter » et que l’on finalise la commande en indiquant les données de paiement.[7]

Du côté du vendeur, celui-ci devra particulièrement faire attention aux conditions générales de vente qui doivent respecter le CO mais aussi la Directive relative aux droits des consommateurs[8], la Directive sur le commerce électronique[9] et le Règlement général sur la protection des données (RGPD)[10] si les potentiels acheteurs se trouvent également dans l’Union Européenne (UE).

Un propriétaire de e-commerce en Suisse doit également indiquer certaines informations sur sa boutique conformément à la Loi fédérale contre la concurrence déloyale (LCD)[11]. L’art. 3 al. 1, let. s LCD prévoit qu’il doit indiquer l’identité de sa société avec son adresse postale et électronique et les différentes étapes menant à la conclusion du contrat, permettre la détection ainsi que la correction des erreurs de saisie avant l’envoi de la commande et confirmer la commande sans délai au client par courrier électronique.[12]

Le vendeur devra également respecter les obligations indiquées dans l’Ordonnance sur l’indication des prix[13] ainsi que dans la Loi sur la protection des données (LPD). Les biens et services proposés sur la boutique en ligne suisse devra ainsi indiquer le prix en francs suisses et indiquer tous les frais qui pourraient s’y ajouter. Pour ce qui est de la protection des données, si des données personnelles ou sensibles sont collectées par la société, celle-ci devra respecter les principes de la LPD et du RGPD en cas de clients étrangers domiciliés dans l’UE.

Le respect et l’indication des éléments décrits précédemment sont des indicateurs du sérieux de la boutique en ligne ou du moins de la possibilité de réagir en cas de problème. En cas de litige, le consommateur ou le vendeur devra également prendre en compte le for découlant du contrat pour mener une action en justice. Celui-ci se situera au lieu de domicile de l’acheteur ou du vendeur.

Ainsi si le vendeur respecte les lois, règlements et directives suisses et européens exposés précédemment, qu’il ne propose pas des biens et services douteux tels que des contrefaçons ou de la marchandise illégale, que les commandes arrivent chez leurs destinataires et que le ou les fournisseurs sont bel et bien payés, alors le vendeur ne prend pas plus de risque qu’avec une boutique en ligne standard.

Si pour l’instant la pratique du dropshipping semble claire et sans grand danger pour un consommateur attentif, nous allons voir dans la suite de cet article que tout n’est pas si simple.

Méthodes de vente agressive et de promotions douteuses

Le fait est que très peu voire aucune boutique de dropshipping ne va informer le client qu’elle pratique ce business model. En effet, pourquoi l’indiquer en imaginant que le client irait chercher ce qu’il souhaite acheter ailleurs ?

De plus, de nombreux sites de vente sur internet et non uniquement ceux pratiquant le dropshipping utilisent certaines méthodes de vente ou de promotion afin de tenter d’augmenter leurs ventes.

Certains d’entre ces sites proposent des promotions certes intéressantes sur le papier (ou la toile). Mais que penser du compteur affichant « une promotion à -50% pour le deuxième article si la commande se fait dans les deux minutes » ? N’est-ce pas une méthode pour pousser l’acheteur à une consommation peu réfléchie[14] ? Il n’est pas rare de voir ce type de promotion. Dans le cas du dropshipping, le prix de vente affiché sur le site est décidé par le dropshipper. Celui-ci ajoute la marge qu’il souhaite effectuer et rien ne l’empêche d’afficher un prix de base gonflé pour y apporter une réduction considérée comme très intéressante.[15]

Le prix des articles peut également mettre la puce à l’oreille afin de déterminer si un site de vente sur internet pratique le dropshipping. En effet, si l’on tombe sur une e-boutique proposant des articles considérés de luxe, ou tout du moins ayant un prix d’achat conséquent sur le marché « régulier », à des prix défiant toute concurrence, il faut s’en méfier. Il y a de grandes chances que l’article envoyé soit une contrefaçon, voire qu’il ne le soit pas du tout.[16]

Un autre point important auquel le client doit être attentif est la description d’un produit proposé sur une boutique en ligne et particulièrement sur celles pratiquant le dropshipping. En effet, bien qu’il soit légalement demandé que l’offre de vente soit clairement spécifiée, dans certain cas, la description du produit peut être incomplète ou laisser penser que le produit proposé n’est pas réellement celui qui sera réellement réceptionné par l’acheteur. Cette pratique flirt avec l’escroquerie, voire en est une, comme certains cas que nous allons aborder plus tard dans cet article.[17]

Deuxièmement, les sites de dropshipping, comme n’importe quelle autre boutique, doivent faire leur publicité. Quoi de mieux pour cela qu’utiliser les réseaux sociaux et les influenceurs pour profiter de la large audience que constituent leurs communautés ?

Fin 2018, un couple d’influenceurs français faisaient la promotion sur leurs réseaux sociaux de bijoux de luxe ou encore d’une box contenant des produits Apple. La valeur du contenu était censée être bien supérieure au prix d’achat de la box. Il s’est avéré que, pour les quelques clients livrés, les bijoux ne correspondaient pas à la qualité vantée lors de la promotion et sur le site. Il en était de même pour les produits Apple qui étaient des contrefaçons.[18]

En 2020, deux sœurs célèbres américaines ont fait la promotion de faux AirPods. Ayant vu cette promotion passer et pour arrêter ce phénomène de se répandre à toute la communauté d’abonnés, Apple a réagi en indiquant que les produits concernés par cette « bonne affaire » étaient des contrefaçons et que la structure de la boutique était en fait basée sur le dropshipping.[19]

À ce jour, en fonction des personnes que l’on suit sur les différentes plateformes, on peut se retrouver comme cible d’un contenu sponsorisé faisant la promotion d’un site de dropshipping.  Il est difficile de connaître toutes les célébrités et stars de télé-réalité dont les plus jeunes suivent le contenu sur les différents réseaux sociaux en vogue.[20]

Influenceurs, sont-ils responsables des sites dont ils font la promotion ?

Prenons le cas d’un consommateur ayant suivi le « bon plan » de son influenceur préféré, qui s’est avéré être du dropshipping et n’ayant pas reçu l’article qu’il pensait avoir acheté. Malgré la volonté du consommateur floué de porter la faute sur l’influenceur dont il a suivi les recommandations, celui-ci ne peut pas être accusé d’escroquerie s’il n’est pas le propriétaire du site de dropshipping. L’influenceur n’a la responsabilité que de faire la promotion d’un produit pour ce qu’il est réellement comme le ferait n’importe quel publicitaire. Ainsi, si le consommateur estime que l’influenceur est en faute, celle-ci se portera sur la publicité mensongère.

En droit suisse, la publicité mensongère est définie par l’art. 3 LCD. Les art. 9 et 10 LCD indiquent les actions possibles et quelle personne/institution possède la qualité d’agir afin d’interdire, faire cesser ou constater la pratique de concurrence déloyale. L’art. 23 LCD prévoit une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire pour l’auteur d’une pratique déloyale ayant agi intentionnellement. Il faut faire attention au caractère intentionnel de l’acte. En effet, il est probable, que pour se défendre, l’auteur plaide le fait de ne pas avoir été au courant que le site fonctionnait sur le principe du dropshipping et qu’il pensait réellement faire la promotion d’un produit authentique et non d’une contrefaçon. Prouver le contraire pourrait s’avérer difficile pour le consommateur.

Si l’influenceur se trouve hors du territoire suisse et y a commis les faits, il faut prendre en considération le principe de territorialité prévu à l’art. 3 du Code pénal (CP)[21] ainsi que des art. 6 et 7 CP qui concernent les crimes et délits commis à l’étranger. L’art. 21 LCD prévoit la collaboration entre les autorités fédérales compétentes et les autorités étrangères.

Dans le cas où l’influenceur a fait la promotion d’un site de dropshipping dont il est le propriétaire en vu de monter une escroquerie, celui-ci entre dans le champ d’action de l’art. 146 CP et peut être tenu pour responsable de l’escroquerie. Celui-ci aura peut-être usé d’une description d’article non-complète ou inexacte, la ligne de défense du vendeur se portera sur le fait que sa « technique » trompeuse n’est pas astucieuse. Notamment lorsqu’il est fait mention dans la description de l’article de mots ou phrases tels que « alternative à … », « produit comparable à … » ou encore « équivalent à … ».

De plus, pour se défendre de la tromperie astucieuse, le dropshipper va affirmer que le client devait avoir conscience ou du moins se rendre compte que le prix proposé n’est pas le prix du marché. Ou encore qu’un acheteur se doit d’être vigilant quant à ce qu’il achète et à sa description et ce encore plus sur internet quand celui-ci n’a pas la possibilité de voir réellement le produit. La pratique est certes malhonnête mais profiter de l’inattention ou de la naïveté du consommateur n’est pas nouveau et encore moins lors d’achats en ligne.

Comment éviter les pièges lors d’achats en ligne ? – Quelques conseils

L’une des premières recommandations est d’être un consommateur attentif et réfléchi. Le site internet sur lequel vous voulez acheter un produit est-il connu ? Si vous ne connaissez pas cette e-boutique, vous pouvez effectuer une recherche sur votre navigateur et voir si vous ne tombez pas sur des avis ou des forums informant d’un éventuel problème suite à une commande.[22]

Vérifiez également les informations concernant le site. En effet, les e-boutiques suisses et européennes doivent indiquer la raison sociale de l’entreprise, leur numéro identification, leur adresse postale et e-mail. Si vous arrivez jusqu’au stade du paiement, vérifiez que celui soit sécurisé.[23]

Si un article particulier vous intéresse, vérifier son prix et comparer avec les autres offres sur le marché. Un prix défiant toute concurrence n’est pas toujours bon signe, surtout s’il s’agit d’un produit de marque ou de luxe. Regardez si les autres boutiques en ligne plus connues font aussi une promotion sur ce produit. Si ce n’est pas le cas, demandez-vous comment une petite boutique en ligne arrive à proposer une réduction que des géants ne font pas.[24]

Méfiez-vous également des promotions sur des articles de marque qui ne font, en général, pas de réduction même durant les périodes de soldes. Ayez le même réflexe lors d’offres exceptionnelles dont le délai pour en profiter est très court.[25]

Faites une recherche inversée de l’image du produit disponible sur l’e-boutique ou recherchez ce produit sur les plateformes de ventes asiatiques d’où il pourrait provenir.[26]

Allez également jeter un coup d’œil du côté des avis liés au produit qui vous intéresse. L’absence de commentaires négatifs ou votes d’insatisfaction n’est pas toujours bon signe et peut révéler une modération de ce genre de commentaire. Le produit apparaît alors sous un jour plus favorable et donne confiance. Or un produit fait rarement l’unanimité chez tous les consommateurs.[27]

Pour terminer, à l’heure où de nombreux scientifiques tirent la sonnette d’alarme concernant l’avenir de la planète, demandez-vous si vous avez réellement besoin du produit que vous souhaitez acquérir. Si oui, ne vaut-il pas mieux acheter un bien de qualité avec le prix qui va avec et durera dans le temps plutôt qu’un produit de qualité moindre, voire médiocre qui pourrait casser après quelques utilisations et venant de pays aux conditions de travail obscures.


[1]. LA TRIBUNE, 2022. E-commerce : évolution et tendances. La Tribune [en ligne]. 20 janvier 2022. [Consulté le 4 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.latribune.fr/supplement/e-commerce-evolution-et-tendances-902384.html

[2] OFFICE FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE, 2022. E-commerce et e-banking. [en ligne]. 2022. [Consulté le 4 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiken/kultur-medien-informationsgesellschaft-sport/informationsgesellschaft/gesamtindikatoren/haushalte-bevoelkerung/e-commerce-e-banking.html

[3] Le dropshipping, c’est quoi et comment bien démarrer ?, 2018. Amarris Direct (ex-ECL Direct) [en ligne]. [Consulté le 4 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.expert-comptable-tpe.fr/articles/definition-du-dropshipping/

[4] Les meilleures alternatives AliExpress pour Dropshipping (Mai 2022) – Plateformes de commerce électronique, 2019. Ecommerce Platforms [en ligne]. [Consulté le 4 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://ecommerce-platforms.com/fr/ecommerce-selling-advice/aliexpress-alternatives

[5] RS  220 – Loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le code civil suisse (Livre cinquième: Droit des obligations), 2022. [en ligne]. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/27/317_321_377/fr

[6] TRAN, Manh, 2021. Guide dropshipping : Comment devenir un dropshipper ? Manh Tran Blog [en ligne]. 13 mars 2021. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https//www.icphs2015.info/comment-devenir-un-dropshipper/

[7] HÄMMERLI, Pascal, 2019. La vente en ligne et le droit suisse. Ethos Digital [en ligne]. 2 février 2019. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://ethos-digital.ch/integration/vente-en-ligne-et-droit-suisse/

[8] Directive 2011/83/UE

[9] Directive 2000/31/CE

[10] Règlement 2016/679/UE

[11] RS 241 – Loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la concurrence déloyale (LCD), 2022. [en ligne]. [Consulté le 6 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1988/223_223_223/fr

[12] ADMIN.CH, PME, 2021. Obligations légales: les lois suisses et européennes sur le e-commerce. [en ligne]. 2021. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.kmu.admin.ch/kmu/fr/home/savoir-pratique/gestion-pme/e-commerce/creer-son-site/obligations-legales-en-ch-et-dans-lue.html

[13] RS 942.211 – Ordonnance sur l’indication des prix du 11 décembre 1978 (OIP), état le 1er janvier 2022. [en ligne]. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1978/2081_2081_2081/fr

[14] WALRAVENS, Françoise, 2021. Dropshipping : arnaque ou bonne affaire ? RTBF [en ligne]. 31 mai 2021. [Consulté le 4 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.rtbf.be/article/dropshipping-arnaque-ou-bonne-affaire-10765754

[15] LE ROI DES RATS, 2018. LMPC17 – Le DROPSHIPPING : la nouvelle ARNAQUE ? [en ligne]. 30 novembre 2018. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=Kb13pjN0DKw

[16] MIRELLI, Anthony, 2022. Le dropshipping ou quand les influenceurs flirtent avec l’arnaque. RTBF [en ligne]. 5 janvier 2022. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.rtbf.be/article/le-dropshipping-ou-quand-les-influenceurs-flirtent-avec-larnaque-10667929

[17] ALBOUY, Agathe, 2021. « Dropshipping » : fausses promotions, produits nocifs… comment des influenceurs arnaquent des internautes crédules. ladepeche.fr [en ligne]. 6 mai 2021. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.ladepeche.fr/2021/05/04/dropshipping-fausses-promotions-produits-nocifs-comment-des-influenceurs-arnaquent-legalement-des-internautes-credules-9525116.php

[18] SIGNORET, Perrine, 2018. Revente de contrefaçons Aliexpress, argent volatilisé… : le business obscur des influenceurs. Numerama [en ligne]. 26 novembre 2018. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.numerama.com/pop-culture/442568-revente-de-contrefacons-aliexpress-argent-volatilise-le-business-obscur-des-influenceurs.html

[19] BAZOGE, Mickaël, 2020. Kylie et Kendall Jenner font la promo de clones d’AirPods. WatchGeneration [en ligne]. 3 août 2020. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.watchgeneration.fr/audio/2020/08/kylie-et-kendall-jenner-font-la-promo-de-clones-dairpods-10157

[20] Quels sont les réseaux sociaux les plus utilisés en France et dans le monde en 2022 ?, 2022. L’EMPREINTE DIGITALE [en ligne]. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://lempreintedigitale.com/podcast/classement-des-reseaux-sociaux-les-plus-utilises-france-monde-2021/

[21] RS 311.0 – Code pénal suisse du 21 décembre 1937, état le 1er juin 2022. [en ligne]. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/54/757_781_799/fr

[22] COLARUSSO, Iohan, 2019. 5 conseils pour se protéger contre les faux magasins en ligne. [en ligne]. 11 janvier 2019. [Consulté le 6 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.credit-conseil.ch/blog/5-conseils-pour-se-proteger-contre-les-faux-magasins-en-ligne/

[23] WALRAVENS, Françoise, 2021. Dropshipping : arnaque ou bonne affaire ? RTBF [en ligne]. 31 mai 2021. [Consulté le 4 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.rtbf.be/article/dropshipping-arnaque-ou-bonne-affaire-10765754

[24] DEMARCHESADMINISTRATIVES.FR, 2017. Achat sur internet : comment repérer et éviter les arnaques ? https://demarchesadministratives.fr/demarches/achat-en-ligne-comment-eviter-les-arnaques [en ligne]. 13 décembre 2017. [Consulté le 6 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://demarchesadministratives.fr/demarches/achat-en-ligne-comment-eviter-les-arnaquesFrance

[25] HERMAN-KASSE, Léandre, 2021. Arnaque en ligne: comment éviter le piège du dropshipping? Challenges [en ligne]. 23 juillet 2021. [Consulté le 6 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.challenges.fr/economie/consommation/arnaque-en-ligne-comment-eviter-le-piege-du-dropshipping_774494

[26] MIRELLI, Anthony, 2022. Le dropshipping ou quand les influenceurs flirtent avec l’arnaque. RTBF [en ligne]. 5 janvier 2022. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.rtbf.be/article/le-dropshipping-ou-quand-les-influenceurs-flirtent-avec-larnaque-10667929

[27] LELOUP, Damien, 2019. Devenir riche sur Internet sans rien faire : les mirages du « dropshipping ». Le Monde.fr [en ligne]. 31 juillet 2019. [Consulté le 4 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2019/07/31/devenir-riche-sans-rien-faire-les-mirages-du-dropshipping-sur-internet_5495194_4408996.html

L’application de l’UK Bribery act : une des lois internationales anti-corruption les plus répressives au monde. Une révolution ?

mardi 08 Nov 2022

Par Aïmi Reichenbach, étudiante du MAS en Lutte contre la criminalité économique

La loi américaine « Foreign Corrupt Practices Act » (FCPA) influence grandement la lutte contre la corruption internationale. Depuis 1998, les dispositions du FCPA s’appliquent aux :

  • entreprises qui émettent des titres sur le marché américain incluant également leurs employés, dirigeants, administrateurs, actionnaires, ou leur représentant (art. 15 USC §78dd-1) ;
  • aux citoyens, habitants et ressortissants des États-Unis ainsi que les entreprises sous l’égide de la législation américaine ou ayant leur hub principal sur le territoire américain, leurs employés, dirigeants, administrateurs, actionnaires ou représentants (art. 15 USC §78dd-2) ;
  • à toute personne physique ou morale, quelle que soit sa nationalité, qui a été impliquée dans un accord de corruption en provenance du territoire américain ou via l’utilisation du service postal américain ou de tout autre moyen ou outil de commerce interétatique (par exemple la devise américaine, les outils de communication américains tels que Gmail, Whatsapp, l’usage d’un iPhone, etc. …) (art. 15 USC § 78dd-3). [1]

La pierre angulaire de ces dispositions réside dans l’interprétation du lien, aussi ténu soit-il, entre l’acte de corruption et le sol américain. Ainsi, cette loi crée une hégémonie juridique difficile à rejeter de la part de tout pays étranger. [2] Effectivement, une corruption à l’international usant des infrastructures financières ou des données américaines peut se faire attaquer pas la FCPA. À titre illustratif, le FCPA a été mis en exécution dans l’affaire Alstom en 2019. La devise utilisée du pot-de-vin entre des agents publics indonésiens et un salarié d’une filiale Alstom U.K était le dollar. [3] Ainsi, l’amende FCPA infligée à Alstom s’est élevée à hauteur de 772 millions de dollars.[4]

Ces crimes sont passibles de lourdes peines, car les individus peuvent être condamnés à des peines allant jusqu’à cinq ans de prison en vertu du FCPA. Pour les personnes morales, elles sont passibles d’amendes pouvant aller jusqu’à 2 millions de dollars. Des frais supplémentaires peuvent être ajoutés, notamment les fausses déclarations, qui entrainent des amendes pouvant atteindre 25 millions de dollars.[5] Au total, les amendes pour violation du FCPA vont généralement de centaines de millions à 1 milliard de dollars. De plus, l’entreprise et ses employés peuvent être passibles de sanctions civiles et pénales.[6]

Un revenu conséquent, qui permet au gouvernement américain de multiplier les enquêtes de ce type et d’en faire la promotion tant au niveau national qu’international.[7]

Bien que les États-Unis aient longtemps été les protagonistes dans la lutte anticorruption extraterritoriale, le Royaume-Uni a fait trembler la place financière internationale en 2011 avec l’introduction de dispositions légales encore plus étendues « UK Bribery Act » (UKBA).[8]

Plus précisément, le champ d’application de l’UKBA est plus vaste concernant l’inaction ou le défaut de prévention face à des faits de corruption. Il est également plus vaste par rapport à l’exterritorialité. À titre d’exemple, une société étrangère peut être passible de sanctions pénales indépendamment du lieu de l’acte de corruption dans le monde à cause du seul fait d’avoir une présence commerciale au Royaume-Uni. Un individu peut également être poursuivi par l’UKBA dès lors qu’il entretient une relation étroite avec le Royaume-Uni. En outre, cette loi vise toutes les typologies de corruption.[9]

En vertu de la UKBA, les sanctions pénales pour les individus peuvent aller jusqu’à dix ans de prison ou/et une amende légale pouvant aller jusqu’à 5 000 livres sterling. Pour les personnes morales, la sanction maximale est une amende illimitée comprenant certaines conséquences collatérales pour les dirigeants, y compris la disqualification des administrateurs.[10]

Une révolution légale dans la lutte anticorruption à l’international. Cependant, qu’en est-il réellement de son application ?

En 2017 le comité de l’UKBA de la chambre des Lords a enquêté sur l’application de la loi réalisée par le Serious Fraud Office (SFO) ainsi que par leurs partenaires. Le SFO est un département non-ministériel du Royaume-Uni en charge de poursuivre les fraudes graves, les pots-de-vin et la corruption. Les recherches de cette enquête se sont basées sur son impact à l’égard des PME, sur le niveau de robustesse dans la poursuite des actes de corruption ainsi que sur le taux de corrélation avec les condamnations et les comportements illicites.[11]

Premièrement, peu de cas de corruption ont été poursuivis entre 2011 et 2017 malgré l’arsenal juridique du Royaume-Uni. À cet effet, plusieurs problématiques sous-jacentes ont été mises en exergue, à commencer avec les moyens de signalisations des faits de corruptions aux autorités compétentes. Au rang national, aucun mécanisme de signalisation centralisé n’a été mis en place pour remonter les actes de corruption.[12] Toutefois, un rapport d’activités suspectes (SAR) offre un outil supplémentaire pour détecter la corruption. Ce système oblige certaines entreprises et particuliers à soumettre des rapports à la National Crime Agency (NAC) s’ils savent ou soupçonnent qu’une personne est impliquée dans le blanchiment d’argent ou le trafic de biens criminels. Bien qu’ils ne soient pas spécifiquement concernés par la détection de la corruption, ils pourraient apporter leur aide dans ce domaine. Néanmoins, peu de ces rapports conduisent à une forme d’enquête de la part de la police ou d’une autre autorité compétente. Cependant, c’est une source précieuse qui contribue à lutter contre ces menaces. Ainsi, cet outil est plus d’usage préventif que répressif.[13]

Le manque de ressources financières du SFO est impliqué par la masse salariale des collaborateurs du SFO a historiquement été bas. Ceci entraîne un roulement du personnel qui perturbe la vitesse à laquelle les accusations sont portées jusqu’au jugement. Ainsi, le SFO mise sur de nouvelles technologies afin d’accélérer le traitement des dossiers complexes.[14]

La problématique de la dépendance financière du SFO a également été mise en lumière. Lors de requêtes de fonds supplémentaires, le SFO doit formuler une requête à la trésorerie. Ceci représente un risque émergeant des conflits d’intérêts qui est critiqué par l’OCDE. A titre d’exemple, le Gouvernement britannique pourrait refuser des déblocages de fonds pour certaines personnes physiques ou morales poursuivies par le SFO lorsqu’il ne voudrait pas qu’elles soient sanctionnées.[15] Ainsi, le budget du SFO est passé de 34.3 millions à 52.7 millions de livres sterling afin de palier en partie à cette problématique.[16]

Le manque de sensibilisation du public et des autorités est causé par les faits de corruption, qui sont souvent catégorisés par d’autres infractions, tels que l’abus de pouvoir ou encore l’inconduite dans la fonction publique. Ainsi, UKBA semble avoir été employée correctement seulement lors de délits mineurs relatifs à des pots-de-vin inférieurs à dix mille livres sterling. Cependant, cette tendance semble graduellement progresser vers de plus gros cas de corruption. Cet aspect résulte vraisemblablement d’une lacune de connaissance des forces de l’ordre à l’égard de la loi UKBA.[17] Ainsi, une formation des autorités compétentes est recommandée par le comité UKBA de la chambre des Lords afin qu’ils puissent mieux appliquer l’UKBA. Plus spécifiquement, il serait recommandé qu’au moins un officier supérieur par poste de police soit formé à l’application de l’UKBA.[18]

L’OCDE a émis une critique concernant le manque de coopération et de coordination du Royaume-Uni des nombreux organes impliqués dans les enquêtes et les poursuites pour corruption. La critique concerne en particulier le manque de sensibilisation et de communication entre les autorités répressives en Angleterre et au Pays de Galles et en Écosse.[19] Ainsi, le gouvernement britannique a créé en 2018 le National Economic Crime Centre qui réunit divers partenaires nationaux chargés de la réponse contre la criminalité économique en usant des informations du secteur privé ainsi que du gouvernement. Il est espéré que cette entité orientera de manière centralisée les questions sur la corruption.[20]

En finalité, l’application de l’UKBA est perturbée par un mécanisme de plainte décentralisé, un manque de sensibilisation des forces de l’ordre, par un manque de ressources financières et de coopération entre les organismes et les nations du Royaume-Uni.

Quels sont les nouveaux enjeux de l’UKBA ?

Bien que le texte UKBA comporte des lacunes dans son application, la loi est saluée au niveau international pour la lutte anti-corruption. Elle est également prise comme modèle de référence.[21]

Les faiblesses majeures de son application sont identifiées et en cours de résolution. Toutefois, ne nous sommes pas à la pointe de l’iceberg ? Qu’en n’est-il des strates précédentes telles que sa définition, sa sensibilisation ou encore de sa détection ?

Effectivement, rien que le stade de la détection est extrêmement complexe.[22] Elle dépend :

  • Des signalements spontanés ;
  • des lanceurs d’alerte et leur protection ;
  • des informateurs anonymes et collaborateurs de justice ;
  • des médias et journalisme d’investigation ;
  • des administrations fiscales ;
  • des cellules de renseignement financier ;
  • des autres organismes publics ;
  • des procédures judiciaires pénales et autres ;
  • de la coopération internationale ;
  • des conseillers professionnels (comptables…). [23]

Ne devrait-on pas tous les inclure dans la stratégie anticorruption transnationale ?

En outre, qu’en est-il d’autres facteurs intrinsèques tels que par exemple la pandémie du Covid-19, les cryptomonnaies et le Brexit ? De quelle manière ces facteurs peuvent-ils influencer le phénomène de la corruption et ainsi la stratégie à adopter face à celle-ci ?

Ceci nous rappelle à quel point le phénomène de la corruption est opaque et, de la même manière, omniprésent dans tout notre écosystème. Ainsi, il est primordial d’étudier chaque aspect de ce phénomène pour y lutter efficacement.


[1] Durfourq, Pauline, et Manon Krouti. « De nouvelles réflexions autour de l’extraterritorialité de la loi pénale américaine anticorruption – Droit pénal des affaires | Dalloz Actualité », 13 septembre 2019. https://www.dalloz-actualite.fr/flash/de-nouvelles-reflexions-autour-de-l-extraterritorialite-de-loi-penale-americaine-anticorruptio#.XwXy_5MzbQ0.

[2] Felardos, Mathis, Manon Fontaine Armand, Gaëlle Landru, et Astrid Lucet. « L’extraterritorialité Américaine : Une Superpuissance Juridique de La Lutte Contre La Corruption Mondiale ». Analyse, 20 janvier 2018. https://portail-ie.fr/analysis/1720/lextraterritorialite-americaine-une-superpuissance-juridique-de-la-lutte-contre-la-corruption-mondiale.

[3] idem nbp 1.

[4] Pfefferlé, Alexis. « Loi anticorruption américaine : une arme de déstabilisation massive ». Bon baiser de Suisse (blog), 7 février 2018. https://blogs.letemps.ch/alexis-pfefferle/2018/02/07/loi-anti-corruption-americaine-une-arme-de-destabilisation-massive/.

[5] TThe United States Department of justice. « Dispositions sur la lutte contre la corruption et sur les livres comptables et les archives de la Loi sur les pratiques de corruption à l’étranger en vigueur jusqu’à Pub. L. [Lois publiques] 105-366 (10 novembre 1998) ». Washington: United States governement, 22 juillet 2004. https://www.justice.gov/sites/default/files/criminal-fraud/legacy/2012/11/14/fcpa-french.pdf.

[6] Navex Global. « Conformité à la loi FCPA | NAVEX Global », 2020. https://www.navexglobal.com/fr-fr/r%C3%A8glements/conformit%C3%A9-%C3%A0-la-loi-FCPA.

[7] White & Case LLP – George J. Terwilliger III. « Foreign Corrupt Practices Act: Efficient and Effective Compliance Solutions in a Heightened Enforcement Environment ». Lexology, 7 mai 2008. https://www.lexology.com/library/detail.aspx?g=dd20c0d0-09e0-4c9a-a0f7-681416e9442d.

[8] idem nbp 2.

[9] Limbour, Alexandre, et Matthias Guillou. « Le UK Bribery Act ». Lexis Nexis, septembre 2011. http://web.lexisnexis.fr/newsletters/avocats/09_2011/2-jcp-g-uk-bribery-act-eq.pdf.

[10] Sohlberg, Marcus. « The United Kingdom Bribery Act 2010 – Anti-Corruption Legislation with Significant Jurisdictional Reach ». Web page. Library of Congress, 6 septembre 2015. https://www.loc.gov/law/help/uk-bribery-act/uk-bribery-act.php.

[11] Great Britain et Ministry of Justice. Government Response to the House of Lords Select Committee on the Bribery Act 2010, 2019.

[12] idem nbp 11.

[13] Select Comitee on the Bribery Act 2010. « The Bribery Act 2010: Post-Legislative Scrutiny ». London: House of Lords, 14 mars 2019.

[14] idem nbp 11.

[15] idem nbp 11.

[16] idem nbp 13.

[17] idem nbp 11.

[18] idem nbp 13.

[19] UK Parliament. « Bribery Act 2010 “an Exemplary Piece of Legislation”, Say Lords Committee – News from Parliament ». UK Parliament, 14 mars 2019. https://www.parliament.uk/business/committees/committees-a-z/lords-select/bribery-act-2010/news-parliament-2017/bribery-act-2010-report-publication/.

[20] idem nbp 13.

[21] idem nbp 13.

[22] «Bilan. « «L’acte de corruption est très difficile à prouver» ». Consulté le 16 mai 2022. https://www.bilan.ch/tv-bilan/_l_acte_de_corruption_est_tres_difficile_a_prouver_.

[23] OCDE. « The-Detection-of-Foreign-Bribery-FR », 2017. https://www.oecd.org/corruption/anti-bribery/The-Detection-of-Foreign-Bribery-FR.pdf.

Sanctions financières envers la Russie : obligations pour le système bancaire, possibilité de contournement au travers des cryptomonnaies ?

jeudi 06 Oct 2022

Par Carole Praz, étudiante du MAS en Lutte contre la criminalité économique

Le 24 février 2022, l’Ukraine se fait envahir par les Russes sur ordre de leur président, Vladimir Putin. Les raisons de cette démarche offensive proviennent essentiellement d’un conflit de longue date entre les deux pays. Ladite invasion n’est pas sans conséquence car l’Union Européenne réplique immédiatement en tentant de restreindre au maximum les possibilités d’agissements du Kremlin au travers de diverses sanctions. Ces mesures ont notamment une portée individuelle, économique et diplomatique.[1]

Quatre jours plus tard, la Suisse décide de se rallier aux décisions de l’Union Européenne et reprend les trains de sanctions édictés par cette dernière.[2] Par la suite, le Conseil fédéral émet, le 4 mars 2022, l’Ordonnance instituant des mesures en lien avec la situation en Ukraine. Ce texte législatif clarifie les questions concernant les restrictions commerciales et financières, ainsi que d’autres restrictions telles que le trafic aérien.[3]

Le présent article étant centré sur l’impact des sanctions financières dans le domaine bancaire et leur possible de contournement, il s’agit dans un premier temps de d’identifier les personnes touchées par la Section 3 : restrictions financières de l’ordonnance.

Qui est touché par les sanctions financières ?

L’ordonnance différencie deux catégories de personnes. Premièrement, les individus de nationalité russe disposant d’un permis de séjour de durée limitée ou illimitée en Suisse ou de la double nationalité ne sont pas concernés par les mesures financières. Autrement dit, pas de gel des avoirs et des ressources économiques ni de restrictions concernant les valeurs mobilières et les instruments du marché monétaire ou montant de dépôt.

Deuxièmement, l’ordonnance impose aux personnes et institutions détenant ou gérant des avoirs, l’obligation de déclarer au Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) la deuxième catégorie de personnes, c’est-à-dire celles domiciliées en Russie ou de nationalité russe au bénéfice de dépôts supérieurs à CHF 100’000. Cette liste était à fournir au SECO jusqu’au 3 juin 2022 et doit être mise à jour tous les ans.[4] Une violation de ces dispositions constitue une violation de la Loi sur les Embargos [5] et peut conduire jusqu’à une peine de cinq ans d’emprisonnement avec une amende d’un million de francs dans les cas les plus graves (art. 9 al. 2 LEmb). Les actifs gelés en Suisse s’élèvent actuellement à CHF 6,3 milliards. [6]

Quels sont les enjeux pour les banques ?

Au vu du caractère urgent de la situation, les banques ont dû s’adapter rapidement en sortant de leurs bases de données, tous les titulaires de comptes, ayants droit économiques et détenteurs de contrôle ayant un lien de près ou de loin avec la Russie. Étant donné que la loi, respectivement la convention de diligence bancaire (CDB 20)[7] ne donne pas d’instruction précise concernant le type de document d’identité nécessaire à l’identification des clients, certaines banques ont dû commencer par identifier les personnes bénéficiant d’un permis de séjour ou de la double nationalité. Puis, dans un deuxième temps, les établissements financiers ont dû analyser toutes leurs relations d’affaires existantes au cas par cas, à savoir : qui est le client selon le principe du KYC (Know your Custumer), se trouve-t-il sur la liste des personnes sanctionnées, quels types de biens sont détenus etc. Chaque nouvelle relation d’affaires impliquant un lien avec la Russie doit être étudiée en amont par le service Compliance ou un service similaire. La Confédération met à disposition sur son site internet un moteur de recherche concernant les destinataires des sanctions.[8]

Le plus grand défi pour les banques, outre le travail de contrôle supplémentaire mentionné, est de trouver un juste milieu entre la liberté contractuelle et le respect des dispositions légales en ce qui concerne les personnes et les biens sanctionnés ou, le cas échéant, un lien possible avec ceux-ci.

Transactions interdites et exclusion de SWIFT 

Une deuxième partie des mesures mises en place, notamment les articles 24, 24a et 27 de l’ordonnance citée ci-dessus, touchent directement les transactions depuis ou vers la Russie, ainsi que le service de messagerie financière.[9] Autrement dit, les transactions sont systématiquement bloquées, contrôlées et déclinées si elles proviennent de la banque centrale de la Fédération de Russie, de banques ou entreprises sises en Russie ou de banques ou entreprises sur le territoire suisse, mais majoritairement contrôlées par des banques ou des entreprises russes.

Un aspect important et impactant pour les Russes est l’exclusion de Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (SWIFT). En effet, le service de messagerie de SWIFT, a pour but la transmission sécurisée entre institutions financières d’informations au travers d’un système de codes standardisé.[10] Il s’agit principalement d’informations et d’instructions concernant les transferts de fonds à l’international. Malgré le fait que SWIFT n’effectue aucune transaction financière, c’est un outil essentiel dans le monde bancaire sans lequel énormément de portes se ferment pour les Russes, car ils ne peuvent pas effectuer de transferts à l’étranger.

Si nous partons du principe que le système bancaire applique contentieusement les mesures imposées, les Russes sont largement freinés dans leurs marges de manœuvre et la question est de savoir si les cryptomonnaies pourraient représenter un contournement des sanctions. 

Possibilité de contournement au travers des cryptomonnaies ?

Le monde des cryptomonnaie se définit par la décentralisation, le « pair à pair ». En d’autres termes, les transactions monétaires ont lieu sans passer par une banque centrale. Toutes les transactions sont inscrites dans un registre public appelé « blockchain » et sont vérifiées par les acteurs du réseau. Il n’y a pas d’intervention du gouvernement, ni d’identification effective des utilisateurs, ce que l’on nomme « pseudonymisation ».

Au vu de leur exclusion de SWIFT et de la perte de valeur du rouble, les Russes se sont instinctivement tournés vers les cryptoactifs. Dans les quelques semaines qui ont suivi le début de la guerre, on a pu observer un engouement particulier pour le Bitcoin. Il y a notamment deux raisons à cette réaction. La première est que ce comportement s’apparente à celui de l’investissement dans l’or comme valeur refuge.[11] La seconde, est due au caractère de pseudonymisation des transactions qui permet aux riches oligarques de continuer leurs activités sans être impactés par les sanctions les visant, car ils agissent en dehors du système traditionnel.[12] Depuis l’invasion russe en Ukraine, certains oligarques ont tenté de liquider leur fortune en l’investissant dans l’immobilier dubaïote.[13]

Toutefois, les spécialistes du monde économique ne craignent pas une possibilité de contournement des sanctions au travers des cryptodevises notamment pour les raisons suivantes :

  • Premièrement, il n’y a pas assez de cryptomonnaie en circulation en comparaison avec les millions en jeu; [14]
  • Ensuite, les grandes plateformes de crypto comme Binance ou Coinbase ont décidé d’appliquer des sanctions à l’encontre des Russes notamment par souci de crédibilité et d’équité ;[15] [16]
  • Pour finir, le système de blockchain est public, par définition. Un trop gros volume pourrait alerter les observateurs de baleines – investisseurs possédant un nombre si important d’actifs qu’ils peuvent influencer le cours de ce dernier. [17]

De plus, la société d’audit spécialisée dans la crypto, Chainalysis, offre, par exemple, un outil qui permet de voir si les entreprises dans le domaine font des transactions avec des comptes litigieux.[18]

Conclusion

Au vu des faits énumérés ci-dessus, le contournement des sanctions envers la Russie au travers des cryptoactifs ne semble pas être une menace pour l’instant. Cependant, il faut calculer les risques en prenant en compte le fait que c’est un monde en constante évolution.

De plus, les institutions financières doivent continuer à être vigilantes et à surveiller de manière accrue leurs relations d’affaires et les transactions en lien avec la Russie. Malgré le fait que les banques disposent de par la loi d’un programme de Name Matching soutenu par le système, il n’est pas exclu que des personnes non sanctionnées reçoivent des fonds de Russie dont l’origine n’est pas vérifiable (éventuellement un homme de paille). Il existe donc un certain risque lors de l’acceptation des fonds. Le blanchiment d’argent est au cœur de cette thématique et les criminels sont toujours plus créatifs.


[1] Conseil européen, conseil de l’Union européenne, Le point sur les sanctions de l’UE contre la Russie, consilium.europa.eu. [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/restrictive-measures-against-russia-over-ukraine/sanctions-against-russia-explained/

[2] Le secrétariat à l’Etat d’économie SECO, La Suisse reprend les sanctions de l’UE contre la Russie. seco.admin.ch [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.seco.admin.ch/seco/fr/home/seco/nsb-news.msg-id-87386.html

[3] Ordonnance instituant des mesures en lien avec la situation en Ukraine du 4 mars 2022 (Etat le 10juin 2022) (RS 946.231.176.72). Le Conseil fédéral suisse [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2022/151/fr

[4] Le secrétariat à l’Etat d’économie SECO, FAQ – Sanctions contre la Russie, seco.admin.ch [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.seco.admin.ch/seco/fr/home/Aussenwirtschaftspolitik_Wirtschaftliche_Zusammenarbeit/Wirtschaftsbeziehungen/exportkontrollen-und-sanktionen/sanktionen-embargos/sanktionsmassnahmen/faq_russland_ukraine.html

[5] Loi fédéralesur l’application de sanctions internationales (Loi sur les embargos, LEmb) du 22 mars 2002 (Etat le 1er janvier 2022) (RS ; 946.231). L’Assemblée fédérale de la Confédération suisse [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2002/564/fr

[6] Le secrétariat à l’Etat d’économie SECO, FAQ – Sanctions contre la Russie, seco.admin.ch [en ligne]. [Consulté au mois de juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.seco.admin.ch/seco/fr/home/Aussenwirtschaftspolitik_Wirtschaftliche_Zusammenarbeit/Wirtschaftsbeziehungen/exportkontrollen-und-sanktionen/sanktionen-embargos/sanktionsmassnahmen/faq_russland_ukraine.html

[7] Convention relative à l’obligation de diligence des banques (CDB 20), Swiss Banking, swissbanking.ch [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.swissbanking.ch/_Resources/Persistent/b/b/5/6/bb567395296e7938825156ac506c7319d6c9651b/ASB_Convention_CDB_2020_FR.pdf

[8] Le secrétariat à l’Etat d’économie SECO, Recherche des destinataires de sanctions, seco.admin.ch [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.seco.admin.ch/seco/fr/home/Aussenwirtschaftspolitik_Wirtschaftliche_Zusammenarbeit/Wirtschaftsbeziehungen/exportkontrollen-und-sanktionen/sanktionen-embargos/sanktionsmassnahmen/suche_sanktionsadressaten.html

[9] Ordonnance instituant des mesures en lien avec la situation en Ukraine du 4 mars 2022 (Etat le 10juin 2022) (RS 946.231.176.72). Le Conseil fédéral suisse [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2022/151/fr

[10] MA-NEOBANQUE, Swift : Principes et fonctionnement, 28 février 2022 par David, ma-neobanque.com [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.ma-neobanque.com/swift-principes-et-fonctionnement/

[11]  TV5 Monde, Ukraine-Russie : quels usages des crypto-monnaies pendant la guerre ? 25 mars 2022 par Benjamin Beraud, information.tv5monde.com [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://information.tv5monde.com/info/ukraine-russie-quels-usages-des-crypto-monnaies-pendant-la-guerre-450171

[12] Lémanbleu tv, Guerre en Ukraine: les cryptomonnaies mises en lumière, 15 mars 2022 par Julie Zaugg, lemanbleu.ch [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.lemanbleu.ch/fr/Actualites/Geneve/2022031592326-Guerre-en-Ukraine-les-cryptomonnaies-mises-en-lumiere.html

[13]  Le Monde, Cryptomonnaies et appartements à Dubaï, les nouveaux investissements des milliardaires russes, 15 mars 2022, lemonde.fr [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/03/15/cryptomonnaies-et-appartements-a-dubai-les-nouveaux-investissements-des-milliardaires-russes_6117625_4408996.html

[14]  France Inter, Le bitcoin part en guerre, radiofrance.fr [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-eco/la-chronique-eco-du-samedi-02-avril-2022-5286600

[15]  The Coinbase blog, Using Crypto Tech to promote Sanctions Compliance, 7 mars 2022, par Paul Grewal, Chief Legal Officer, blog.coinbase.com [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://blog.coinbase.com/using-crypto-tech-to-promote-sanctions-compliance-8a17b1dabd68

[16] Binance, Changes of Services to Users in Russia, 21 avril 2022, binance.com [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.binance.com/en/support/announcement/4887e569afdf4b1e89e024371d3a49b9

[17] Complyadvantage, Les sanctions vont-elles jeter la Russie dans les bras des crypto-monnaies ? 20 avril 2022, complyadvantage.com [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://complyadvantage.com/fr/insights/les-sanctions-vont-elles-jeter-la-russie-dans-les-bras-des-crypto-monnaies/#:~:text=Crypto%2Dmonnaies%20et%20contournement%20des%20sanctions&text=Aucune%20obligation%20de%20vigilance%20%C3%A0,et%20sans%20v%C3%A9rifi

[18] JDN, Sanctions contre la Russie : les grandes plateformes crypto face à la crise, 18 mars 2022 par Vincent Touveneau, journaldunet.com [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.journaldunet.com/economie/finance/1510057-sanctions-crypto-contre-la-russie-le-dilemme-des-grandes-plateformes-crypto-face-a-la-crise/

Les risques dans le métavers

mercredi 21 Sep 2022

Par Alev Camyurdu, une étudiante du MAS en Lutte contre la criminalité économique

Introduction

Le « métavers », ce mot qui se trouve désormais sur toutes les lèvres ! En octobre dernier, lorsque la société anciennement appelée « Facebook » change de nom pour devenir Meta Platforms Inc., dit Meta, tout le monde s’interroge sur ce terme.

Si on remonte à son origine, c’est Neil Stephenson qui invente, en 1992, le terme de « métavers » paru dans son roman Le Samouraï Virtuel. L’histoire se déroule dans un univers futuriste parallèle accessible par un casque.[1] En 1993, la société de jeux Steve Jackson Games lance un MMO, qui est « un jeu en ligne massivement multijoueur qui fait participer un très grand nombre de joueurs simultanément, par le biais du système de réalité virtuelle basé sur du texte et à faible consommation de bande passante, appelé The Metaverse ».[2]

Depuis, le métavers a bien évolué. Bill Gates prédit même que dans les prochaines années, les entreprises organiseront leurs vidéoconférences dans le univers.[3] Le métavers semble tout proche et son impact sur notre quotidien est grandement discuté. Nous proposons donc de passer en revue quelques risques dans le métavers, afin de mieux s’y adapter dans le futur. Pour cela, nous définirons le métavers, nous évoquerons quelques principaux risques et puis, nous conclurons brièvement par l’actualité.

Le métavers, qu’est-ce que c’est ?

Le mot « metaverse » ou « métavers » est une contraction de « meta » et « univers ». Il se décrit comme l’internet du futur, un monde dans lequel, grâce à un personnage virtuel (avatar) ou un hologramme, les utilisateurs peuvent se retrouver et interagir à travers un casque de réalité virtuelle accessible via une connexion réseau et une projection laser sur des lunettes.[4] Il s’agit là d’applications compatibles avec la blockchain décentralisée, basée sur une économique d’échanges en crypto-monnaies utilisés par les consommateurs.

C’est un lieu où les gens ont la possibilité d’échanger des idées entre communautés en ligne, d’écouter des concerts de stars, de faire des courses virtuelles et d’acheter, de vendre, de gagner, d’échanger toutes sortes de choses, telles que des biens immobiliers, des tickets sportifs, des vêtements pour son avatar, etc. et des articles sous forme de tokens non fongibles (non-fungible tokens ou NFT)[5]. Autant dire que le métavers est la nouvelle plateforme de négociation. Le flux financier y est aussi important que dans la réalité, ce qui ne laisse pas le système sans risques.

Les risques dans le métavers

Dans le métavers, le risque virtuel a supplanté le risque réel. Plus notre monde physique devient virtuel, plus les enjeux augmentent. Internet, devenu une sphère de consommation, est également une station de diffusion où les risques concrets pour l’individu doivent être réévalués, car la traçabilité des preuves n’est pas assurée. Les cyber-risques étant transnationaux et les risques pour les utilisateurs ne connaissant pas de frontières, les sociétés doivent régler les problèmes de sécurité et de réglementation pour protéger les utilisateurs.

Un des risques les plus importants est la soustraction de données, notamment le vol d’identité. Les identités numériques, qui se créent en un clic, fournissent des données personnelles gigantesques aux fraudeurs. Cette forme de collecte de données est très sensible. En Suisse, selon la statistique policière de la criminalité (SPC) de l’Office fédéral de la statistique (OFS), entre 2020 et 2021, la soustraction de données a augmenté de 35%, soit respectivement de 528 à 713 infractions.[6] Les entreprises doivent donc continuellement assurer la protection et la sécurité des données de leurs utilisateurs en suivant l’évolution numérique ainsi que celle de la cybersécurité.

Il convient évidemment de se questionner sur la situation fiscale des développeurs et des consommateurs. Ainsi, le système financier virtuel crée des avantages crypto-monétaires qui profitent aux personnes dans le monde réel. Par exemple : les designers peuvent lancer leurs créations sans frais de production ; en revanche, ils se feront livrer à domicile par un coursier ce qui a été acheté par le consommateur. Toutes négociations, qu’il s’agisse de développements de la marchandisation, du futur cyberespace, des échanges e-commerce, des nouveaux emplois, de la consommation réelle, etc., établies ou échangées par un flux financier nécessiteraient de faire l’objet d’une réglementation fiscale ; sans quoi une inégalité sociale ou financière se fera sentir parmi la communauté numérique.

Lorsqu’on parle de régulation, on pense également aux sanctions concernant les actes criminels virtuels. A l’heure actuelle, « les lois contre les actes criminels protègent les personnes réelles et vivantes »[7] et chaque plate-forme de réseaux sociaux définit ses propres conditions d’utilisations. Il n’y pas encore de lois pénales qui condamnent les actes criminels dans le monde virtuel. Dans les prochaines années, nous assisterons peut-être à des changements de la loi dans le monde physiquel pour une plus grande protection juridique ou pour l’obtention de la personnalité juridique de l’avatar.

La monnaie numérique n’est pas un thème moins risqué. L’utilisation de la monnaie numérique, telle que les crypto-monnaies, est très risquée et les fraudes y sont très fréquentes. « Les utilisateurs peuvent subir n’importe quoi de l’autorisation d’opérer (ATO), de la fraude multi-comptes, de la fraude d’affiliation, des rétrofacturations, etc., lorsqu’ils naviguent dans les paiements »[8]. De là découlent autant de projets dans le métavers comme les projets blockchain play-to-earn (P2E) et les projets immobiliers, qui promettent des gains aux investisseurs, mais dont les fonds sont finalement récoltés par des escrocs.

Autant dire que les risques se multiplient là où l’économie s’annonce florissante. Les prix explosent dans le métavers et tout le monde espère faire de l’argent.

Et l’actualité dans tout ça ?

D’après, Jensen Huang, le CEO du fabricant de puces Nvidia, « l’économie du metaverse pourrait même un jour éclipser l’économie réelle » [9]. Selon un rapport de Bloomberg en novembre 2021, le métavers pourrait engendrer un marché annuel d’environ 800 milliards de dollars.[10].

Conformément à l’étude de CBInsight en avril 2022, il y a plus de 90 entreprises qui ont investi dans le développement du métavers.[11] C’est dire que les entreprises y préparent déjà leurs places. En Suisse, en 2015, la start-up de l’EPFL Faceshift a été acheté par Apple et en 2016, c’est Meta (anc. Facebook) qui rachète la start-up suisse Zurich Eye. En 2022, l’entreprise Walmart annonçait qu’elle voulait lancer dans le métavers des centres commerciaux qui livreront à domicile par un coursier ce qui a été placé dans le panier virtuel du consommateur. Les consommateurs de produits de luxes feront leurs achats dans les boutiques virtuelles pour recevoir leurs produits physiquement. Sans compter, que ces activités virtuelles vont créer de nouveaux emplois tels que les stylistes de métavers, les concierges virtuels, les guides touristiques, les chief metaverse officer, etc.[12]

Conclusion

Toutefois, la transition vers le nouveau monde numérique ne pourra se faire sans la protection des personnes physiques ! Il ne s’agit pas de s’attaquer au fondement même de l’univers numérique, mais d’en solidifier sa structure afin qu’il perdure dans le temps, dans les règles politiques, sociales et humaines !


[1] Geschichtedergegenwart, Jonas Frick, 2021, Neal Stephenson und das Metaverse, [en ligne], [Consulté le 14.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://geschichtedergegenwart.ch/neal-stephenson-und-das-metaverse/

[2] Wikipédia, Moncetz, 2021, Métavers, [en ligne], [Consulté le 14.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Métavers

[3] PME, Kowalsky Marc, 2022, Pourquoi le metaverse restera longtemps du domaine de la fiction, [en ligne], [Consulté le 14.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.pme.ch/strategie/2022/04/11/pourquoi-le-metarverse-restera-encore-longtemps-du-domaine-de-la-fiction

[4] Orthodidacte le dictionnaire, Métavers, [en ligne], [Consulté le 15.05.2022]. Disponible à l’adresse : https://dictionnaire.orthodidacte.com/article/definition-metavers

[5] Cryptoast, Narozniak Blandine, 2022, Metaverse : comprendre ces mondes virtuels basés sur la blockchain et les NFTs, [en ligne], [Consulté le 22. 05.2022]. Disponible à l’adresse : https://cryptoast.fr/metaverse-comprendre-mondes-virtuels-blockchains-nfts/

[6] Office fédéral de la statistique (OFS), 2022, Rapport annuel 2021 des infractions enregistrées par la police, [en ligne], [Consulté le 24. 05.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/criminalite-droit-penal/police.assetdetail.22164351.html

[7] Techtribune, Linville Paillion, 2022, Les experts du métaverse révèlent si vous pouvez assassiner dans le monde virtuel, [en ligne], [Consulté le 06.06.2022]. Disponible à l’adresse : https://fr.techtribune.net/web3/les-experts-du-metaverse-revelent-si-vous-pouvez-assassiner-dans-le-monde-virtuel/291363/

[8] Techtribune, Linville Paillion, 2022, Le régulateur bancaire chinois met en garde contre les risques de fraude dans le métaverse, [en ligne], [Consulté le 11.05.2022]. Disponible à l’adresse : https://fr.techtribune.net/web3/le-regulateur-bancaire-chinois-met-en-garde-contre-les-risques-de-fraude-dans-le-metaverse/248121/

[9] Ibid nbp 3.

[10] Bloomberg, Intelligence, 2021, The metaverse is already now; Four surprising BI charts [en ligne], [Consulté le 06. 06.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.bloomberg.com/professional/blog/the-metaverse-is-already-now-four-surprising-bi-charts/?tactic-page=431091

[11] CBInsights, The metaverse could be tech’s next trillion-dollar opportunity: These are the companies making it a realtiy, [en ligne], [Consulté le 29.05.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.cbinsights.com/research/metaverse-market-map/

[12] Ibid nbp 3.

Sources supplémentaires

Bernard Marr & Co., Marr Bernard, 2022, 7 important problems & disadvantages of the metaverse [en ligne], [Consulté le 04.06.2022]. Disponible à l’adresse : https://bernardmarr.com/7-important-problems-disadvantages-of-the-metaverse/

Capital, 2021, Métavers : « extrêmement inquiète », la lanceuse d’alerte de Facebook avertit les députés français, [en ligne], [Consulté le 15.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.capital.fr/entreprises-marches/metavers-extremement-inquiete-la-lanceuse-dalerte-de-facebook-avertit-les-deputes-francais-1419649

Cornell University, Yuntao Wang, Zhou Su, Ning Zhang, Dongxiao Liu, Rui Xing, Tom H. Luan, Xuemin Shen, 2022, A survey on metaverse : fundamentals, security, and privacy [en ligne], [Consulté le 06. 06.2022]. Disponible à l’adresse : https://arxiv.org/abs/2203.02662

Data Ring, 2021, Le Métavers : Quels enjeux et quelles opportunités ? [en ligne], [Consulté le 15.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.data-ring.net/detail-actualite?tx_news_pi1%5Baction%5D=detail&tx_news_pi1%5Bcontroller%5D=News&tx_news_pi1%5Bnews%5D=37&cHash=d0261a696639dc6dbe19f562a49992a3

Entreprendre, Chaussegros Bernard, 2021, Métaverse : l’univers parallèle des générations futures ? [en ligne], [Consulté le 15.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.entreprendre.fr/metaverse-lunivers-parallele-des-generations-futures/

France culture, Marie Maxime, 2021, Le métaverse, de la dystopie à la réalité, [en ligne], [Consulté le 14.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.franceculture.fr/numerique/le-metaverse-de-la-dystopie-a-la-realite

Le blog de Thierryvallatavocat, Vallat Thierry, 2021, Y a-t-il une justice dans le Métaverse ?, [en ligne], [Consulté le 15.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.thierryvallatavocat.com/2021/09/y-a-t-il-une-justice-dans-le-metaverse.html

PaperJam (Business zu Lëtzebuerg), Bajai Jade Marie & Skoglund Fredrik, 2022, Metaverse : le nouvel horizon en matière de numérisation, [en ligne], [Consulté le 15.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://paperjam.lu/article/metavers-nouvel-horizon-en-mat

Techtribune, Linville Paillion, 2022, Comment le métaverse affectera la gouvernance, la confidentialité, la fraude, l’identité, etc., [en ligne], [Consulté le 15.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://fr.techtribune.net/web3/comment-le-metaverse-affectera-la-gouvernance-la-confidentialite-la-fraude-lidentite-etc/227241/

Trends, Courtecuisse Matthieu, 2021, Chacun doit se saisir du metaverse [en ligne], [Consulté le 04.06.2022]. Disponible à l’adresse : https://trends.levif.be/economie/entreprises/chacun-doit-se-saisir-du-metaverse/article-opinion-1485211.html

Finance décentralisée, quels défis et enjeux ?

mardi 06 Sep 2022

Par une étudiante du MAS en Lutte contre la criminalité économique

Naissance d’une cryptomonnaie

Dans son article intitulé « Bitcoin : A Peer-to-Peer Electronic Cash System » publié le 31 octobre 2008 sous le pseudonyme Satoshi Nakamoto, l’auteur propose un système de monnaie électronique décentralisé.[1]

La naissance du Bitcoin basée sur la technologie des registres distribués (TRD) est le début d’un réel bouleversement dans le monde de la finance. Il a été conçu pour fonctionner comme moyen d’échange sans tiers de confiance qui repose sur les mathématiques et la cryptographie.[2] L’attrait initial était cette idée quasi anarchique qu’il était possible de créer un système financier séparé et différent de notre système financier conventionnel.

Bitcoin peut être vu comme un projet libertarien tant dans ses objectifs que ses caractéristiques. Il s’affranchit d’un contrôle gouvernemental ou celui d’une banque centrale. Ses caractéristiques techniques sont une décentralisation complète, un logiciel libre, une politique monétaire immuable fixée dans le code source.[3]

Évolution vers une finance décentralisée

Cette idée d’utiliser la cryptomonnaie bitcoin pour des transactions financières distinctes du système bancaire conventionnel et la création d’un système financier alternatif ne verra pourtant véritablement le jour qu’avec le développement d’une autre blockchain, Ethereum, lancé en 2015.[4] En permettant l’écriture de processus bien plus complexes, Ethereum offre la possibilité de réaliser et déployer des applications décentralisées.[5]

Au cours des deux dernières années, de nombreuses fonctionnalités du système financier conventionnel ont été recréées sous forme d’applications et de protocoles sur la blockchain Ethereum. Les activités sont principalement réalisées par le biais de smart contracts ou contrats intelligents qui s’exécutent d’eux-mêmes selon des conditions prédéterminées.[6]

Le terme de « finance décentralisée » (Decentralised Finance ou DeFi) est utilisé pour désigner l’ensemble des marchés et produits financiers alternatifs reposant sur la TRD répliquant la gamme de services financiers proposés dans le système financier traditionnel mais réduisant ou excluant la dépendance à l’égard d’intermédiaires financiers et institutions centralisés.[7] On y retrouve principalement les activités telles que le négoce, les opérations de crédits, la gestion d’actifs, les opérations de paiements et celles en matière d’assurance.[8]

Les enjeux et défis de la finance décentralisée

Cependant, contrairement aux prestataires de services financiers traditionnels qui exercent ces activités, les applications de finance décentralisée sont, à l’heure actuelle, largement non réglementées.[9]

Pour l’heure, le marché des services de finance décentralisée est encore faible par rapport au secteur financier traditionnel. Le graphique ci-dessous donne un ordre de grandeur et montre la relative petite taille du marché des actifs virtuels par rapport à l’ensemble du système financier.

Fig. 1 : « Cryptoassets and associated markets are small but growing rapidly – they provide similar services to the traditional financial sector ». [10]

Cependant, ce graphique montre également la très forte croissance du marché des actifs virtuels passant de USD 0.13 billions en 2019 à USD 1.7 billions début 2022 et nous laisse penser que son importance est appelée à évoluer. Dans la mesure où la finance décentralisée aura le potentiel de concurrencer les prestataires de services financiers traditionnels, on pourrait observer un déplacement de certaines activités financières actuellement effectuées par ces institutions financières régulées hors du périmètre réglementaire. Une augmentation significative des activités financières en dehors du périmètre réglementaire poserait des problèmes d’une part de stabilité financière mais également en matière de protections des investisseurs et consommateurs, d’intégrité des marchés et, bien entendu, en matière de blanchiment d’argent et du financement du terrorisme.[11]

Le conflit qui se déroule actuellement en Ukraine permettra de tester et éventuellement mettre en avant les risques et vulnérabilités de l’univers des actifs virtuels et de la finance décentralisée aux vues de la lutte contre la criminalité économique. Plus les sanctions économiques sans précédents que les gouvernements des pays occidentaux, mais également le secteur privé, infligent à l’encontre de la Russie se prolongeront, plus la tentation de trouver des alternatives aux flux financiers conventionnels et de contourner les interdictions s’amplifiera.

L’utilisation de cryptomonnaies dans ce cadre n’est pas un fait nouveau. Selon des estimations, l’Iran, frappé par des sanctions depuis 2012, a miné l’an dernier environ USD 1 milliard de bitcoin. La Corée du Nord a même organisé en 2019 une conférence sur la blockchain pour discuter du contournement des mesures. Le pays est, par ailleurs, connu pour ses tentatives d’obtenir des actifs virtuels par le biais de piratages informatiques.[12]

S’il est envisageable pour des gouvernements d’obliger les grandes plateformes d’échange de cryptomonnaies de bloquer les transactions en provenance de pays sous embargo, ainsi que les transactions dans leur monnaie, ils n’ont en revanche aucune influence sur les transactions pair-à-pair (peer-to-peer), c’est-à-dire les transactions entre utilisateurs individuels.[13]

Le Groupe d’Action Financière (GAFI) définit les transactions pair-à-pair en tant que transferts d’actifs virtuels effectués sans l’intermédiation d’un prestataire de services liés aux actifs virtuels (PSAV) ou autre entité régulée. Les transactions pair-à-pair ne sont pas explicitement soumises à des contrôles en termes de lutte contre le blanchiment de capitaux et financement du terrorisme (LBC/FT) selon les directives du GAFI.[14]

Les risques que représentent ces transactions pourraient devenir particulièrement significatifs si les actifs virtuels devaient être utilisés de manière massive et démocratisée. Dans un tel scénario, le volume des activités liées aux actifs virtuels sans l’intervention d’une entité réglementée augmenterait considérablement.[15]

Il est donc essentiel d’adapter et de renforcer les réglementations dans le domaine des actifs virtuels et des applications de finance décentralisée. Compte tenu de leur nature globale, une coopération internationale entre autorités réglementaires est primordiale ceci afin d’éviter la possibilité d’arbitrage réglementaire.[16]

Les risques en matière d’actifs virtuels et finance décentralisée sont souvent identiques à ceux rencontrés dans le système financier traditionnel. Les cadres réglementaires existant peuvent ainsi être utilisés et étendus à ces domaines. Lorsque la technologie sous-jacente au domaine des actifs virtuels remplit une fonction économique équivalente à celle du secteur financier traditionnel, cette fonction devrait être réglementée de manière à garantir un résultat identique. Toutefois, dans certains cas, il s’agira de développer de nouvelles législations qui refléteront la nature très spécifique de ces nouvelles technologies et qui tiendront également compte de leur caractère transfrontalier.[17]

L’enjeu des stabelcoins

En outre, une attention toute particulière doit être protée aux stablecoins (cryptomonnaies indexées à d’autres actifs) qui sont un des éléments constitutifs de la finance décentralisée.

Les stablecoins sont un élément clé de la finance décentralisée et ont contribué à sa croissance exponentielle en facilitant le transfert d’actifs entre et au sein de plateformes et protocoles centralisées et décentralisées. Les stablecoins facilitent le transfert instantané d’actifs virtuels à travers le monde, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 et permettent aux investisseurs du monde entier d’accéder à des services de finance décentralisée.[18]

Compte tenu de leur stabilité relative perçue ou supposée, les stablecoins ont un plus grand potentiel pour devenir un mode de paiement largement utilisé par rapport aux cryptomonnaies non sécurisées. Les stablecoins pourraient ainsi jouer un rôle de plus en plus important dans les services de paiements. Actuellement, les stablecoins ne sont pas utilisés pour effectuer des paiements conventionnels. A mesure que les marchés des actifs virtuels se développent, la possibilité de lancer et de faire évoluer rapidement un stablecoin, qui aurait le potentiel de devenir un système de paiement ayant une importance systémique, s’amplifiera.[19]

Des réflexions sont en cours auprès d’autorités réglementaires à un niveau international afin de d’étudier un modèle optimal pour les stablecoins ayant une importance systémique.[20]

Selon le GAFI, il est important que les risques en matière de blanchiment d’argent et financement du terrorisme liés aux stablecoins, en particulier ceux qui ont le potentiel d’être adoptés de manière massive et qui peuvent être utilisés pour des transactions pair-à-pair, soient analysés de manière continue et prospective.[21]

Le développement de la finance décentralisée et l’enjeu d’une réglementation adéquate

Bien qu’elle ait connu une croissance rapide, la finance décentralisée est encore en plein développement. Actuellement les activités sont principalement axées sur la spéculation, l’investissement et l’arbitrage d’actifs virtuels avec peu de possibilités d’utilisation dans l’économie réelle.

Les activités de finance décentralisée sont pour l’heure relativement exposée à des activités illégales, manipulations de marché et des craintes de mise en péril de la stabilité financière.

Une réglementation appropriée des acteurs de la finance décentralisée agirait en tant que garde-fou, renforcerait la confiance et permettrait d’assurer le réel potentiel d’innovation, ainsi que leur contribution positive au système financier. [22]

Et de terminer avec cette citation de Monsieur Gary Gensler qui met en lumière la nécessité d’action en matière réglementaire : « Right now, we just don’t have enough investor protection in crypto. Frankly, at this time, it’s more like the Wild West. This asset class is rife with fraud, scams, and abuse in certain applications« .[23]


[1] Nakamoto, Satoshi, (sd). « Bitcoin : A Peer-to-Peer Electronic Cash System ». [En ligne]. (sd). [Consulté 3 avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://bitcoin.org/bitcoin.pdf

[2] De Filippi, P. & Loveluck, B, 2016. « The invisible politics of Bitcoin : governance crisis of a decentralised infrastructure ». Internet Policy Review, Journal on internet regulation, volume 5 issue 3. [En ligne]. 30 sept 2016. [Consulté 3 avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://doi.org/10.14763/2016.3.427

[3] Schweitzer, Pierre, 2020. « Bitcoin : la revanche inattendue des libertariens ». [En ligne]. Presses Universitaires d’Aix-Marseille. 7 mai 2020. [Consulté 28 mars 2022]. HAL Id : hal-02120767v3. Disponible à l’adresse : https://hal-amu.archives-ouvertes.fr/hal-02120767v3/document

[4] The Economist live event, 2022. « Is crypto for real ?». [Webinar]. www.economist.com [En ligne]. Suivi le 24 février 2022. Rediffusion disponible à l’adresse : https://www.economist.com/films/2022/03/01/is-crypto-for-real

[5] Cryptoast [en ligne], 2022. « Qu’est-ce que l’Ethereum (ETH) et comment fonctionne cette cypto ? ». [Consulté 28 mars 2022]. Disponible à l’adresse: https://cryptoast.fr/fiche-ethereum/

[6] Fulwood, Alice, 2021. « Decentralised finance is booming, but it has yet to find its purpose ». The Economist [en ligne]. 8 novembre 2021. [Consulté 27 février 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.economist.com/the-world-ahead/2021/11/08/decentralised-finance-is-booming-but-it-has-yet-to-find-its-purpose

[7] Le terme « décentralisé » fait référence à divers aspects d’un produit ou service tels que titularité, gouvernance, doit de vote etc. Ces divers aspects peuvent avoir un degré plus ou moins élevé de décentralisation. Une décentralisation pure n’est toutefois que difficilement atteignable. Un certain degré de centralisation subsistera. L’importance est de bien comprendre toutes les caractéristiques et fonctionnalités d’un service ou produits et d’identifier l’implication ou non d’acteurs ou participants centraux. Pour un approfondissement de ce sujet et ses enjeux voir Aramonte S., Wenqian H., Schrimpf A., 2021. « DeFi and the decentralisation illusion ». BIS Quarterly Review. [En ligne]. Décembre 2021. [Consulté 28 mars 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.bis.org/publ/qtrpdf/r_qt2112b.htm

[8] Bank of England, Financial Policy Committee, 2022. « Financial Stability in Focus : Cryptoassets and decentralised finance ». [En ligne]. 2 mars 2022. [Consulté 28 mars 2022]. Disponible à l’adresse: https://www.bankofengland.co.uk/financial-stability-in-focus/2022/march-2022

[9] Idem nbp 8

[10] Les calculs proviennent de CoinMarketCap, Financial Stability Board et Bank of England. Paru avec la légende : « Cryptoassets and associated markets are small but growing rapidly – they provide similar services to the traditional financial sector ». Source : Bank of England, Financial Policy Committee, 2022. « Financial Stability in Focus : Cryptoassets and decentralised finance ». [En ligne]. 2 mars 2022. [Consulté 28 mars 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.bankofengland.co.uk/financial-stability-in-focus/2022/march-2022

[11] Idem nbp 8

[12] Trentin Alexander, Rohner Peter, 2021. « Was der Ukrainerkrieg für Krypto bedeutet ». Finanz und Wirtschaft. 5 mars 2021

[13] Trentin Alexander, Rohner Peter, 2021. « Was der Ukrainerkrieg für Krypto bedeutet ». Finanz und Wirtschaft. 5 mars 2021

[14] FATF, 2021. « Updated Guidance for a Risk-Based Approach to Virtual Assets and Virtual Asset Service Providers ». [En ligne]. Octobre 2021. [Consulté 28 mars 2022]. Disponible à l’adresse : www.fatf-gafi.org/publications/fatfrecommendations/documents/Updated-Guidance-RBA-VA-VASP.html

[15] Coelho Rodrigo, Fishman Jonathan, Garica Ocampo Denise, 2021. « Supervising cryptoassets for anti-money laundering Bank for international settlements ». FSI Insights on policy implementation No 31. [En ligne]. Avril 2021. [Consulté 24 mars 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.bis.org/fsi/publ/insights31.pdf

[16] Idem nbp 8

[17] Idem nbp 8

[18] International Organization of Security Commissions OICV-IOSCO, 2022. « IOSCO Decentralized Finance Report ». [En ligne]. Mars 2022. [Consulté 28 mars 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.iosco.org/library/pubdocs/pdf/IOSCOPD699.pdf

[19] Le projet Libra est un bon exemple des enjeux et les craintes qui peuvent susciter le lancement d’un stablecoin : « Alors que le discours de Zuckerberg a soulevé des doutes sur son projet de monnaie virtuelle mondiale, Libra vient certifier la viabilité à long terme des actifs digitaux et de la technologie blockchain. Le défi ? Concilier les systèmes de paiement virtuel du futur avec les régulations gouvernementales, tout en préservant la souveraineté nationale et en assurant la confidentialité des données des utilisateurs. [] La monnaie de Facebook sera rattachée à des monnaies fiduciaires, probablement le dollar US, l’euro et le yen. En conséquence, si un nombre significatif de citoyens choisit de passer à Libra, la capacité des gouvernements à contrôler la masse monétaire et les capitaux sera affaiblie. » Fekih, Sabrina, 2019. « Libra : une menace pour la souveraineté monétaire et la confidentialité ? ». LesEchos [En ligne]. 26 août 2019. [Consulté 3 avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/libra-une-menace-pour-la-souverainete-monetaire-et-la-confidentialite-1126555

[20] Idem nbp 8

[21] Idem nbp 13

[22] Aramonte S., Wenqian H., Schrimpf A., 2021. « DeFi and the decentralisation illusion ». BIS Quarterly Review. [En ligne]. Décembre 2021. [Consulté 28 mars 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.bis.org/publ/qtrpdf/r_qt2112b.htm

[23] « Right now, we just don’t have enough investor protection in crypto. Frankly, at this time, it’s more like the Wild West. This asset class is rife with fraud, scams, and abuse in certain applications. Right now, large parts of the field of crypto are sitting astride of — not operating within — regulatory frameworks that protect investors and consumers, guard against illicit activity, ensure for financial stability, and yes, protect national security. » Déclaration de Monsieur Gary Gensler dans ses remarques introductives au Aspen Security Forum 3 août 2021. Monsieur Gensler est directeur de la SEC – U.S. Securities and Exchange Commission.

Fraude à la mule financière

mardi 23 Août 2022

Par Manik Linder, étudiant du MAS en Lutte contre la criminalité économique

Introduction

Les techniques qu’utilisent les cybercriminels sont nombreuses et variées. Leurs modes opératoires sont souvent astucieux et compliqués à repérer. Une des techniques pour ne pas se faire attraper s’appelle la mule financière, plus connue sous le terme en anglais money mule. En avez-vous déjà entendu parler ?

En guise d’exemple, voici un petit article de presse relatant un cas de mule financière qui s’est déroulé à Delémont dans le Jura. Une personne a mis à disposition son compte bancaire pour des escrocs africains. Elle réceptionnait les gains de l’escroquerie et les transférait via Western Union sur un compte au Bénin. Au passage, il prenait une commission de 10 % en guise de rémunération. La money mule jurassienne a été condamnée pour blanchiment d’argent.[1]

En 2020, Europol, via son programme European Money Mule Action (EMMA), a mis au jour, en menant 1529 instigations, la découverte de 4942 transactions frauduleuses et arrêté 422 personnes. Cela a permis d’éviter des pertes à hauteur de 33.5 millions d’euros.[2]

Qu’est-ce qu’une mule financière ?

Le terme de « mule » tient son origine des passeurs de drogue qui sont des personnes utilisées pour faire transiter ou livrer de la drogue. Les mules ingèrent la drogue sous forme de capsule artisanale et, une fois arrivées à destination, récupèrent la marchandise après un passage aux toilettes. La drogue peut également être cachée dans les habits de la personne consciemment ou inconsciemment, mais également dans d’autres orifices corporels. Ce procédé s’avère très risqué, car les passeurs peuvent contenir une grande quantité de drogue et si un paquet se perce, il peut provoquer une overdose et la mort de la personne.

Une mule financière est une personne qui joue un rôle d’intermédiaire pour les cybercriminels. La personne est contactée par différents canaux de communication. Ensuite, les cybercriminels lui demandent de réceptionner de l’argent sur son compte bancaire et de le transférer sur leurs comptes à eux. Ces versements sont souvent à l’étranger. En guise de rémunération, la mule financière reçoit une commission pour le « service rendu ». Il peut également s’agir d’utiliser sa propre carte bancaire et son code PIN pour opérer des activités criminelles. Ainsi, en agissant en tant que mule financière, la personne se rend coupable de blanchiment d’argent.[3]

Qui fait une bonne mule financière ?

Le profil que recherchent les cybercriminels est tout d’abord des personnes vulnérables économiquement. On trouve notamment les populations au chômage, en étude, les jeunes populations, mais pas seulement ; il y a également les personnes qui s’installent dans un nouveau pays et qui ne connaissent pratiquement pas leur terre d’accueil. De ce fait il est souvent possible que les mules financières n’aient pas conscience d’être dans l’illégalité. Elles comprennent cela comme un service rendu contre rémunération. La naïveté entre aussi en jeu pour ce type de malversation.[4]

Pourquoi céder à la tentation ?

Gagner de l’argent facilement et rapidement est un des arguments avancés par les cybercriminels pour convaincre les mules financières. On peut citer également que le fonctionnement est relativement facile et ne requiert aucune formation préalable. D’autres avantages sont mis en avant. Par exemple la légalité et la sécurité du procédé promulguées par les cybercriminels font croire qu’en tant que mule, le risque d’être arrêté est faible, car l’argent ne reste pas longtemps sur le compte bancaire.[5]

Comment les cybercriminels contactent-ils les mules financières ?

Il existe différents types d’approches utilisées par les cybercriminels pour contacter les mules financières. Ils affectionnent tout particulièrement les sites de petites annonces ou créent des fenêtres publicitaires sur des pages internet. Les délinquants contactent également par courriel ou messagerie instantanée comme WhatsApp.

Les réseaux sociaux (Instagram, Facebook, Twitter, etc.) constituent un autre terrain de recrutement. Les cybercriminels peuvent également se faire passer pour des entreprises et recrutent en tant qu’agents financiers.[6]

Que risquent les mules financières ?

En agissant en tant que mule financière, la personne se rend coupable de blanchiment d’argent (article 305bis CP[7]). En effet, en réceptionnant l’argent sur son propre compte bancaire et en le transférant ensuite sur un autre compte, le passeur officie en tant que complice des cybercriminels.[8]

La problématique des mules financières soulève également un phénomène plus global. En tant que passeur, on contribue au fonctionnement des réseaux criminels en leur apportant des fonds monétaires. Ils peuvent ainsi, en toute impunité, transférer cet argent illégal à travers le monde entier.

D’un point de vue réputationnel, il y a aussi le risque de se faire fermer le compte bancaire et black-lister par la banque, sans parler de la dénonciation aux autorités compétentes. D’autres risques moins évidents peuvent subvenir, telle la violence physique. Effectivement, les cybercriminels peuvent vous agresser ou vous menacer si vous ne vous exécutez pas et ne transférez pas l’argent.

Comment s’en protéger ?

Tout d’abord, faire preuve de bon sens et ne pas céder à la tentation de l’argent facile. Si l’offre paraît trop belle pour être vraie, il y a de fortes chances que des cybercriminels soient derrière.

Dans tous les cas, voici quelques recommandations pour ne pas commettre cette infraction :

  • en cas de réception de mails suspects, ne pas y répondre et ne surtout pas cliquer sur des liens ;
  • ne jamais donner des coordonnées bancaires et codes PIN à des personnes inconnues et même à des personnes de son entourage ;
  • ne pas mettre son compte bancaire à disposition d’inconnu ou d’annonces suspectes ou trop belles pour être vraies ;
  • si l’approche se fait via une entreprise, se renseigner plus concrètement sur ladite entreprise ;
  • il faut également se poser la question de savoir d’où provient l’argent qui sera viré sur son compte et où va l’argent ensuite, car c’est soi-même, l’ayant droit économique du compte ;
  • signaler les mails suspects ou les sites web à la police.[9][10]

Dans le cas où l’on se serait fait prendre, il y a lieu de tout de suite entreprendre les mesures suivantes :

  • stopper immédiatement le transfert d’argent et contacter sa banque ;
  • contacter également la police pour porter plainte ;
  • si par exemple le contact s’est fait via les réseaux sociaux, signaler le compte et, pour un site internet, contacter l’hébergeur.[11]

Le système de mule financière est un business bien ancré dans le monde de la cybercriminalité. Beaucoup de facteurs, tels que la vulnérabilité des victimes, leur situation financière, la conjoncture économique, contribuent à la poursuite de ce mode de criminalité. Le meilleur atout pour ne pas se laisser tenter par ce moyen de récolter de l’argent facile est soi-même. En effet, en adoptant un comportement vigilant, en réalisant que le « trop beau pour être vrai » n’est pas une légende, on évitera bien des désagréments. 


[1] Donzé, Vincent. 2019. Il prêtait son compte bancaire à des escrocs africains. Lematin.ch. [En ligne] Tamedia publications romandes, Mercredi Mars 2019. [Citation : Dimanche Février 2022.] https://www.lematin.ch/story/il-pretait-son-compte-bancaire-a-des-escrocs-africains-195073722237.

[2] Europol. 2020. 422 arrested and 4 031 money mules identified in global crackdown on money laundering. Europol. [En ligne] Europol, 2 Décembre 2020. [Citation : 25 Février 2022.] https://www.europol.europa.eu/media-press/newsroom/news/422-arrested-and-4%C2%A0031-money-mules-identified-in-global-crackdown-money-laundering.

[3] October. 2021. Mule financière : de quoi s’agit-il et comment se protéger ? October. [En ligne] October, 5 Février 2021. [Citation : 26 Février 2022.] https://fr.october.eu/fraude-mule-financiere/.

[4] La finance pour tous. 2022. Qu’est-ce que « la fraude à la mule » ? La finance pour tous site pédagogique sur l’argent et la finance. [En ligne] L’Institut pour l’Education Financière du Public (IEFP), 21 Février 2022. [Citation : 2022 Février 24.] https://www.lafinancepourtous.com/outils/questions-reponses/quest-ce-que-la-fraude-a-la-mule/.

[5] —. 2021. Europol. Europol. [En ligne] 6 décembre 2021. [Citation : 26 Février 2022.] https://www.europol.europa.eu/sites/default/files/documents/be_flyers_fr.pdf.

[6] Police cantonale vaudoise et SKPPSC. 2018. Money Muling. Votre police.ch. [En ligne] Printemps 2018. [Citation : 24 Février 2022.] https://votrepolice.ch/cybercriminalite/money-muling/.

[7] Votre police.ch. 2020. Money muling. Votre police.ch. [En ligne] Police cantonale vaudoise, 2020. [Citation : 22 Février 2022.] https://votrepolice.ch/cybercriminalite/money-muling/.

[8] Idem nbp 5.

[9] Febelfin. 2020. Fraude et sécurité, gagner de l’argent rapidement est une illusion, ne devenez pas une mule financière. Febelfin. [En ligne] Febelfin, 2 décembre 2020. [Citation : 24 Février 2022.] https://www.febelfin.be/fr/article/gagner-de-largent-rapidement-est-une-illusion-ne-devenez-pas-une-mule-financiere.

[10] Alexandre, Stéphanie. 2017. Ne devenez pas une mule financière, c’est trop risqué. Le particulier le figaro.fr. [En ligne] Le Figaro, 1er décembre 2017. [Citation : 25 Février 2022.] https://leparticulier.lefigaro.fr/jcms/p1_1704145/ne-devenez-pas-une-mule-financiere-c-est-trop-risque.

[11] Idem nbp 5.