Analyse de mécanismes de blanchiment d’argent dans le cadre de Kazakhgate

mercredi 02 Déc 2020

Par Karina Geiger

La globalisation de notre société et les échanges frénétiques de commerce autour du globe qui en découlent ont intensifié le besoin en énergies fossiles. Les entreprises pétrolières sont donc en quête perpétuelle de nouveaux gisements à exploiter. Cet état de fait profite aux hauts fonctionnaires d’Etats émergents. À notre ère marquée par la prolifération d’accords internationaux, nombre d’Etats ont ratifié des conventions en matière de marchés publics, à l’instar de l’Accord sur les Marchés Publics (AMP) s’inscrivant dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Concernant le Kazakhstan, la jeune république est membre de l’OMC depuis 2015 et a déposé sa demande d’adhésion à l’AMP qui fait actuellement l’objet d’un examen[1].

Cela signifie-t-il que le processus d’appel d’offres public au Kazakhstan est conforme aux standards internationaux ? Le Kazakhstan, l’une des anciennes républiques soviétiques, fut fondée en 1991. Ce « jeune » Etat était gouverné entre 1990 et 2019 par M. Nursultan Nazarbayev[2] qui s’appuyait sur son conseil M. James Giffen, homme d’affaires américain. L’influence de ce dernier au sein de l’appareil étatique lui permettait d’orchestrer des négociations avec des compagnies pétrolières étrangères. L’adjudication des marchés, notamment dans le cadre du Kazakhgate, n’était pas subordonnée à des critères raisonnables et objectifs. En effet, seules les entreprises qui s’acquittaient de commissions occultes avaient l’apanage d’intégrer le marché kazakh. Ces pots-de-vin ainsi versés alimentaient ensuite les comptes de nombreuses sociétés écrans. L’instruction étatsunienne[3] a éclairé les mécanismes de blanchiment de ces fonds procurés par des moyens illicites.

M. Giffen a créé et dirigé la société Mercator Corporation, sise à New York, Etats-Unis. Cette dernière a conclu une convention avec le Ministère du Gaz et du Pétrole du Kazakhstan en 1994. L’objet de cette convention était de soutenir le Ministère dans l’élaboration d’une stratégie d’investissement étranger dans le domaine des énergies fossiles. Les services rendus par Mercator s’étendaient également à la coordination de négociations avec les partenaires internationaux.

Des actes illicites ont notamment été commis dans le cadre de négociations avec Mobil Oil Corporation, Amoco Co. et Phillips Petroleum Co.[4] Le rôle de Mercator consistait à s’interposer dans les négociations entre les autorités kazakhes et les entreprises pétrolières étrangères. Les dessous de table reçus sur les comptes de cette dernière transitaient ensuite au travers de plusieurs sociétés écrans avant de rejoindre les comptes suisses dont les ayants droit étaient des hauts fonctionnaires kazakhs.

Pour illustrer l’un des schémas conçu et mis en place, Mercator versait les fonds sur le compte bancaire suisse de Nichem Energy Ltd. Afin de légitimer ces transactions, un contrat fictif a été conclu, aux termes duquel Mercator était tenu de partager les bénéfices issus de la transaction Tengiz (gisement pétrolier géant) avec Nichem Energy Ltd. Il a été démontré que Nichem Energy Ltd n’a pas fourni de contre-prestations à son partenaire contractuel. Il s’agissait en réalité d’une société écran dont le véritable but était de reverser les fonds sur les autres comptes bancaires.

Les bénéficiaires au bout de la chaîne étaient :

  • Orel Capital Ltd, société fondée aux Iles Vierges Britanniques et titulaire d’un compte bancaire suisse qui était détenue par la fondation de droit liechtensteinois Semrek, dont les bénéficiaires étaient un haut fonctionnaire public du Kazakhstan et ses héritiers.
  • Hovelon Trading SA, société fondée aux Iles Vierges Britanniques et titulaire d’un compte bancaire suisse. Cette société a effectué des transferts de fonds sur le compte de Dundy Trading Ltd., société fondée aux Iles Vierges Britanniques et titulaire d’un compte bancaire suisse, dont le bénéficiaire était un haut fonctionnaire public du Kazakhstan.

Les recherches ont pu établir l’identité de ces fonctionnaires : il s’agissait de l’ancien président de la République du Kazakhstan, M. Nazarbayev ainsi que de l’ancien premier ministre et ministre du Pétrole M. Balgimaev[5].

Grâce à la structure sophistiquée mise en place, la famille de l’ancien président a effectué des retraits d’argent en Suisse pour un montant de USD 201’000.- et s’est acquittée des frais de formation en Suisse de la fille cadette pour plus de USD 45’000.- [6].

La création de sociétés écrans et les virements opérés sur des comptes suisses constituaient des techniques de blanchiment d’argent parmi d’autres. Les dépositions ont permis d’établir un retrait d’argent liquide depuis le compte de Hovelon SA, pour un montant de USD 150’000.- en vue de son transporta au Kazakhstan par M. Giffen[7].

Les avoirs sur les comptes bancaires suisses s’élevant à USD 116’000’000.- ont été au départ gelés, puis confisqués. Ces valeurs pécuniaires ont rempli les caisses de BOTA Kazakh Child and Youth Development Foundation, créée en 2007 dans le but de restituer les fonds illicites aux enfants démunis et leurs familles au Kazakhstan[8]. Selon la communication émanant du DFAE[9], la fondation a obtenu de très bons résultats durant ses 6 années d’existence. Ainsi, les conditions de vie de pas moins de 208’000 bénéficiaires ont été positivement impactées[10].


[1] Parties, observers and accessions. WTO [en ligne]. [consulté le 9 juillet 2020]. Disponible à l’adresse : https://www.wto.org/english/tratop_e/gproc_e/memobs_e.htm

[2] Histoire du Kazakhstan. Wikipedia [en ligne]. [consulté le 9 juillet 2020]. Disponible à l’adresse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Kazakhstan

[3] Tribunal de Southern District of New York, United States of America V James H. Giffen, Référence 03 MAG. 663 du 23.03.2003 et Doc N° 206.

[4] Vuzlit.ru. [consulté le 25.06.2020]. Disponible à l’adresse : https://vuzlit.ru/1417414/samye_izvestnye_korruptsionnye_prestupleniya_kazahstana.

[5] Foundations of the Legal Environment of Business. Google books [en ligne]. [consulté le 9 juillet 2020].

[6] Tribunal de Southern District of New York, United States of America V James H. Giffen, Référence 03 MAG. 663 du 23.03.2003, p. 6-7.

[7] Tribunal de Southern District of New York, United States of America V James H. Giffen, Référence 03 MAG. 663 du 23.03.2003, p. 8, N° 18.

[8] BOTA Foundation and its mission, Bota.kz.

[9] La restitution au Kazakhstan d’avoirs volés a été menée à bien. Admin.ch [en ligne]. [consulté le 25 novembre 2020]. Disponible à l’adresse : https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-59867.html

[10] Lessiveuses: faire face aux nouveaux défis de la lutte internationale contre la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux Conseil de l’Europe. Assemblée parlementaire [en ligne]. [consulté le 25 novembre 2020]. Disponible à l’adresse : https://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=27474&lang=FR

Ferdinand et Imelda Marcos : l’extravagance au détriment de l’État

mercredi 25 Nov 2020

Par Malika Rollo

Si j’écris cet article, ce n’est pas parce que je partage mon jour d’anniversaire avec Ferdinand Marcos (bien que ça soit le cas), mais plutôt parce que ses opérations complexes et variées ont non seulement marqué l’histoire des Philippines et le niveau de vie de sa population, mais aussi le droit Suisse et le début d’un chemin vers la transparence de ses institutions financières.

Contexte

Né le 11 septembre 1917, Ferdinand Emmanuel Edralin Marcos grandit dans son pays, les Philippines. Il y suit son parcours scolaire, s’engage dans l’armée et sort, quelques années plus tard, diplômé en droit de l’Université des Philippines. Il devient alors la référence en matière de régularité juridique sur l’archipel.[1]

Président des Philippines de 1965 à 1986

En raison de son image de bienfaiteur (et contrairement à bon nombre de potentats), Ferdinand Marcos s’est fait élire démocratiquement, après avoir gravi doucement les échelons politiques. Pour le peuple philippin, il représentait un grand espoir de développement et de modernisation, ce qu’il réalisera partiellement lors de son premier mandat.

En 1969, il est à nouveau élu[2]. Lors de ce second mandat, il a promulgué la loi martiale et instauré un couvre-feu. La finalité officielle de ce changement soudain était la baisse de la criminalité au sein du pays. Ce nouveau système est rapidement accepté par le peuple philippin, car le but escompté est indéniablement atteint. Marcos a gagné la confiance de son peuple et il va désormais profiter du nouveau système juridique en place pour s’assurer le plein pouvoir et faire arrêter ses opposants[3].

Monopole des ressources

Grâce à la loi martiale en place, Marcos s’est approprié des entreprises et des terrains pour ensuite distribuer à ses proches des pouvoirs monopolistiques sur presque toutes les ressources du pays. Pour instaurer des barrières à l’entrée des marchés, il a taxé toutes les entreprises appartenant à ses opposants.

Pillage de l’État

La Banque de Développement des Philippines (BDP) a également été prise pour cible par le président. La stratégie consistait à présenter des projets de construction à la BDP pour justifier un financement. Les projets ne voyaient tout simplement pas le jour et les prêts n’étaient jamais remboursés.

Parallèlement, le Japon a commencé à investir dans la modernisation des Philippines. Marcos en a profité pour s’octroyer des commissions sur chaque transaction, allant de 15% à 26%. A titre d’exemple, il a gagné USD 2.7 millions rien que sur la construction d’un pont. Mais contrairement à ceux financés par la BDP, ces projets ont vu le jour.

« Environ 20 à 40% des aides au développement en faveur des pays pauvres sont détournés à des fins personnelles »

Sociétés offshores

Comme dans la majorité des grosses affaires de blanchiment d’argent, il a été observé une utilisation de sociétés offshore. Ces sociétés, servant d’écrans dans le présent modus operandi[4], étaient utilisées uniquement pour faire transiter des fonds afin de cacher leur origine et leur ayant droit économique. L’enquête a révélé que Marcos détenait au moins 15 sociétés de ce type au Liechtenstein ainsi que d’autres au Panama. Au total, environ 300 millions de dollars auraient transité par ces « entreprises » sans que les banques touchées n’y trouvent quoi que ce soit de suspect.

Utilisation de faux noms

Les comptes ouverts en Suisse l’ont été au nom de Jane Ryan et William Saunders. Il est explicitement écrit sur le contrat d’ouverture qu’il s’agit de fausses identités, et les noms de Imelda et Ferdinand Marcos sont mentionnés juste en dessous.

Documents montrant les faux et les vrais noms utilisés par le couple
(https://www.youtube.com/watch?v=MHbL-hcKoug)

Investissements dans l’immobilier[5]

La recherche du pouvoir et de la richesse du couple Marcos a abouti à un parc immobilier d’exception, dont voici quelques exemples :

Excentrisme : Imelda Marcos, tombée amoureuse d’un bâtiment de Manhattan appartenant à l’État des Philippines, a décidé de se l’approprier et d’en faire une discothèque.

Donations

Qui refuserait une donation de 100 millions ? Certainement pas Ferdinand Marcos, qui a volontiers accepté, en trois semaines, plusieurs dons d’un seul businessman dont le total avoisinerait les 100 millions de dollars. La générosité de cet homme a longtemps intrigué les enquêteurs, qui ne sont pas parvenus à trouver des preuves de corruption.

Déclin

En 1986, à la fin de son troisième mandat et après avoir détourné des milliards à l’État des Philippines, Ferdinand Marcos perdit aux élections présidentielles. Il fût alors contraint de s’exiler avec sa femme Imelda, leurs quatre enfants et les richissimes proches qu’il avait mis à la tête des marchés philippins. Ils s’installèrent à Honolulu, où Ferdinand finira ses jours[6].

Tout de suite après sa défaite dans les urnes, le peuple envahit le palais présidentiel et commença à récolter des preuves des détournements. L’un des indices les plus notoires étant la collection de robes et de chaussures d’Imelda Marcos, comportant parfois des fils de métaux précieux.

Le monde entier se pose alors la question : comment une femme vivant dans un pays dont le revenu moyen est en dessous du seuil de pauvreté peut-elle détenir plus de trois mille paires de chaussures de luxe européennes ?

La collection de chaussures d’Imelda Marcos
(https://www.rappler.com/newsbreak/in-depth/212529-imelda-marcos-shoes-mixed-legacy)

L’impact en Suisse

Le cas de Ferdinand Marcos et celui de Jean-Claude Duvalier[7] (président de la République d’Haïti de 1971 à 1986) ont tiré la sonnette d’alarme pour la première fois en Suisse. Une prise de conscience générale a abouti à plusieurs réglementations, notamment la fameuse Loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LBA)[8].

Après la chute de Marcos débuta une nouvelle période, certes dangereuse et compliquée pour les relations économiques et le système juridique suisses, mais fort passionnante pour les professionnels du domaine. Depuis, chaque nouveau cas met en avant toute l’ingéniosité et l’originalité qui se cachent derrière ces modus operandi. Ils nous font parcourir le monde, pour un voyage bien particulier : la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

The crown building », immeuble à 110 millions appartenant à la famille Marcos
(https://www.thecityreview.com/crown.html)

[1] https://www.notablebiographies.com/Lo-Ma/Marcos-Ferdinand.html, consulté le 11.04.2020.

[2] https://www.britannica.com/biography/Ferdinand-E-Marcos, consulté le 11.04.2020.

[3] https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMHistoriquePays?codePays=PHL&langue=fr, consulté le 11.04.2020.

[4] Attention à la distinction : une société offshore peut avoir une véritable activité économique

[5] Documentaire : https://www.youtube.com/watch?v=MHbL-hcKoug

[6] https://www.lemonde.fr/archives/article/1989/10/03/la-mort-de-l-ancien-president-marcos-le-grand-manipulateur_4128055_1819218.html, consulté le 11.04.2020.

[7] https://www.swissinfo.ch/fre/le-cas-duvalier-embarrasse-la-justice-suisse/2769982, consulté le 11.04.2020.

[8] https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19970427/index.html, consulté le 11.04.2020.

Le cas Lazarenko : un système sophistiqué pour blanchir des fonds monétaires

mercredi 18 Nov 2020

Par Duleeka Gunawardena

Les premiers soupçons de blanchiment d’argent à l’encontre de Pavlo Lazarenko tombent en 1998, lors de son arrestation par la police suisse. Il exerçait alors en tant que Premier ministre de l’Ukraine et il était également membre du parti communiste de l’Union soviétique.

Il est libéré quelques semaines plus tard contre le payement d’une caution d’un montant de 3 millions de dollars.

Pavlo Lazarenko fuit ensuite aux États-Unis dans le but d’y obtenir l’asile politique, il y sera arrêté par les autorités en 1999. La justice américaine le condamnera en 2006 à neuf ans de prison pour extorsion de fonds, blanchiment d’argent par les banques américaines et fraudes.[1]

Selon l’enquête du juge genevois L. Lasper-Ansermet, l’ancien premier ministre aurait détourné plus de 800 millions de dollars et détenait des centaines de comptes offshore dans plus de 80 banques[2]. Loin d’être un amateur, Pavlo Lazarenko aurait mis en place un système sophistiqué qui lui permettait d’entraver l’identification de la source de ses fonds qui provenait d’une activité illégale. Il s’agit de modes opératoires ingénieux, qui valent la peine d’être étudiés de plus près.

Détail du processus de blanchiment d’argent 

Plusieurs comptes bancaires

Pavlo Lazarenko possédait plusieurs comptes bancaires à l’intérieur de plusieurs pays, notamment en Suisse, en Pologne, en Antigua ainsi qu’aux États-Unis.[3]

Le fait de posséder divers comptes bancaires dans différents pays peut rendre difficile l’identification des desseins du PEP (Personnalité Exposée Politiquement). En effet, cela engendrait une lourde bureaucratie, car chaque État dispose d’une législation qui lui est propre concernant la protection des données bancaires.

Aujourd’hui, les banques ont ratifié certains accords tels que EAR (l’Echange Automatique de Renseignements) et FACTA (Foreign Account Tax Compliance Act) ce qui permet d’obtenir et d’échanger des informations plus facilement.

Banque fondée en Ukraine

La banque « Zemel’nyi Kapital » fondée en 1994 appartenait aux proches de Pavlo Lazarenko et ce dernier en avait le contrôle. Des parts importantes du capital étaient détenues par ses alliés. En effet, la mère de la seconde épouse de Lazarenko, Mme Tsikova, détenait environ 20 % du capital-actions et son ancien agent de sécurité, Oleksandr Mazourenko, détenait 42.4 % du capital-actions.

En 2016, la Banque Nationale l’a classée parmi les institutions financières à la structure financière opaque. La banque s’est retrouvée en difficulté et sa vente a permis de sauver la propriété de la famille Lazarenko, qui était soigneusement enterrée dans des « combines » complexes. Ce qui signifie qu’il y avait une confiance particulière envers l’acheteur, et cette transaction a certainement eu des « ajouts » non déclarés. Il s’avère que Victor Topolov a acheté la banque à la famille Lazarenko.[4]

Homme de paille

Egalement appelé le « prête-nom », l’homme de paille est une personne qui assume les responsabilités d’une affaire ou d’un contrat, mais qui n’est pas le principal intéressé. C’est un procédé que l’on retrouve souvent dans les cas de blanchiment d’argent, le but étant d’entraver l’identité du bénéficiaire réel.

Le body-garde de Pavlo Lazarenko, Oleksandr Mazourenko, était également sa personne de confiance. Il agissait sous les ordres de l’ancien premier ministre même après la destitution de sa fonction. M. Mazurenko aurait régulièrement prêté de l’argent à Pavlo Lazarenko afin de financer les honoraires conséquents des avocats américains de ce dernier. En fait, cet argent appartenait à M. Lazarenko. M. Mazourenko lui envoyait l’argent de la « caisse familiale » qui se trouvait à la banque « Zemel’nyi Kapital ».[5]

Plusieurs entreprises se voyaient octroyer des crédits de la part de Lazarenko afin d’investir dans des matières premières. Sauf que celles-ci étaient contrôlées par les hommes de paille du Premier ministre. Elle se contentaient de transférer l’argent dans des comptes offshore appartenant à Lazarenko ou à l’un de ses proches, Piotr Kirichenko, qui avait des connaissances pointues dans l’import-export.[6] L’hypothèse peut être émise ici, que les entreprises percevaient de l’argent pour s’occuper de ces transferts.

Création de sociétés offshore

Les sociétés offshore sont enregistrées dans des pays où la fiscalité et la réglementation sont très avantageuses. Ces éléments attirent la convoitise. Il est en effet facile de créer une société offshore et le contrôle sur l’identité des bénéficiaires réels est notamment très faible. Il est également possible de passer par une société offshore sise dans un paradis fiscal afin de transférer la propriété d’un compte bancaire[7] tout en restant anonyme. L’identité des ayants droit économiques de la société peut donc être dissimulée. Cette dernière particularité doit attirer l’attention : plusieurs fraudeurs fiscaux achètent des biens immobiliers au nom de la société offshore.[8]

M. Lazarenko possédait plusieurs sociétés offshore qui avaient leurs sièges à l’île de Man, au Panama, à l’île Antigua, aux îles vierges britanniques ainsi qu’au Liechtenstein. Ces sociétés possédaient également toutes un compte bancaire suisse.[9]

Acquisition d’un bien immobilier

L’ancien premier ministre a acquis une somptueuse villa à Novato en Californie qui est dotée de 7 chambres ainsi que 10 salles d’eau, 5 piscines et enfin, 2 pistes pour hélicoptère. L’achat a été effectué par une société-écran qui était contrôlée par Pavlo Lazarenko.[10]

Achat d’une citoyenneté

Notons qu’il est possible et tout à fait légal, d’acheter une citoyenneté dans certains pays. C’est le cas au Panama, où il est permis d’acheter des passeports. C’est ce qu’on fait Pavlo Lazarenko et son complice, M. Kiritchenko : ils se sont dotés de passeports panaméens pour un montant de USD 100’000. Le fait d’avoir la nationalité de cet État leur permettait de rencontrer des banquiers suisses et de passer des vacances au Canada ou à Hawaï en famille.[11]

Monopole sur le marché de l’énergie

L’avantage de l’énergie et des produits agricoles est que ces produits sont répartis inégalement sur la planète et qu’ils sont indispensables au développement d’un pays. Le marché des matières premières donne souvent lieu à des spéculations. De ce fait, les projets de construction ou de développement sont susceptibles de ne pas être proposés par le biais d’appels d’offres.

Pavlo Lazarenko contrôlait certains secteurs économiques en rapport avec le gaz naturel. Il était dans son intérêt d’avoir le monopole sur le marché de l’énergie. En effet, le gaz naturel est une énergie fossile qui commençait à se raréfier à cette époque et par conséquent, il attisait de plus en plus le désir de nombreux États qui en dépendaient.[12]

Ioulia Timochenko, femme d’affaires ukrainienne à cette époque, et le Premier ministre avaient fondé en 1995 la compagnie d’hydrocarbures « systèmes énergétiques unis d’Ukraine » (SEUU).[13] Ioulia Timochenko est « accusée de contrebande et de falsification de documents pour avoir importé frauduleusement du gaz russe en 1996, lorsqu’elle était présidente de SEUU ».[14]

Quant à Lazarenko, il a réorganisé la distribution du gaz naturel afin d’attribuer l’exclusivité de cette activité à quelques sociétés individuelles qui achetaient du gaz naturel en Russie et le revendaient en Ukraine.[15]

Coopération avec plusieurs études d’avocat

M. Lazarenko a noué un partenariat avec Mossack Fonseca, une étude qui a son siège à Panama. Cette collaboration a permis de créer une nouvelle société aux Iles Vierges britanniques « Bassington Ltd ». Cette dernière entité avait comme objectif de détenir des actions dans une autre société qui était active dans l’importation du gaz naturel en Ukraine. Les fonds provenant de celle-ci ont été à l’origine de l’enrichissement de Pavlo Lazarenko et ses complices.[16]

Mossack Fonseca a facilité pendant plusieurs années l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent notamment en aidant des dirigeants politiques à dissimuler leurs avoirs aux autorités fiscales ou à la justice. Ce cabinet d’avocat a été au centre du scandale des « Panama Papers ».[17]

Il est possible de remarquer que Pavlo Lazarenko a mis en place un système ingénieux afin de rendre difficile l’identification de la source des fonds. Ces derniers provenaient d’activités illicites telles que les pots-de-vin, l’extorsion et le chantage. Le Premier ministre et ses complices formaient une structure très organisée qui permettait de mettre en place un tel processus et s’enrichir en donnant une apparence légale aux fonds monétaires.


[1] https://www.nouvelobs.com/monde/20060826.OBS9435/l-ex-premier-ministre-condamne-aux-etats-unis.html, consulté le 5.10.2020.

[2] https://ccfd-terresolidaire.org/IMG/pdf/biens_mal_acquis._profitent_trop_souvent_-_doc_travail_ccfd_-_mars_2007-7.pdf (p. 28)

[3] https://newsland.com/user/4297700750/content/pavel-lazarenko-krolukrainskoi-korruptsii/4132126, consulté le 5.10.2020.

[4] http://kyiv.osp-ua.info/?seolink=politics/56707-imperija-mogilevicha-topolov-levin-i-drugie.html, consulté le 5.10.2020.

[5] http://kyiv.osp-ua.info/?seolink=politics/56707-imperija-mogilevicha-topolov-levin-i-drugie.html, consulté le 5.10.2020.

[6] https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/les-comptes-fantastiques-de-m-lazarenko_491978.html, consulté le 5.10.2020.

[7] https://www.lemonde.fr/panama-papers/article/2016/04/07/panama-papers-comment-conserver-son-anonymat-dans-un-paradis-fiscal_4897367_4890278.html, consulté le 5.10.2020.

[8] https://www.lemonde.fr/panama-papers/article/2016/04/03/panama-papers-a-quoi-sert-l-offshore_4894881_4890278.html, consulté le 5.10.2020.

[9] ATF 125 II 356, p. 363

[10] https://www.dailymail.co.uk/news/article-2158672/Pavlo-Lazarenko–30-000-Picasso-stolen-ex-Ukrainian-prime-ministers-California-mansion-the-road.html, consulté le 5.10.2020.

[11] Article « To catch on Oligarch. Center for investigation reporting », p. 4

[12] https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2011-4-page-53.htm#, consulté le 5.10.2020.

[13] https://www.lepoint.fr/monde/l-ukraine-inculpe-l-opposante-timochenko-dans-une-nouvelle-affaire-13-10-2011-1384290_24.php, consulté le 5.10.2020.

[14] https://www.nouvelobs.com/monde/20140223.OBS7383/ukraine-ioulia-timochenko-la-dame-pas-toujours-de-fer-est-de-retour.html, consulté le 5.10.2020.

[15] http://www.recherches-sur-le-terrorisme.com/Analysesterrorisme/ukraine-union-europeenne.html, consulté le 5.10.2020.

[16] https://112.ua/statji/kak-lazarenko-boretsya-za-svoi-milliony-v-ssha-323376.html, consulté le 5.10.2020.

[17] https://www.lemonde.fr/evasion-fiscale/article/2018/03/15/panama-papers-le-cabinet-mossack-fonseca-cesse-ses-activites_5271058_4862750.html, consulté le 5.10.2020.

Comment l’ancien président tunisien, Ben Ali, a-t-il rendu sa fortune licite aux yeux du monde ?

mercredi 11 Nov 2020

Par Bettina Amstutz

Contexte

L’ancien président tunisien Ben Ali, décédé le 19 septembre 2019, a gouverné en République de Tunisie entre 1987 et 2011. Il a été renversé par la révolution du « printemps arabe ». Suite à quoi, le 14 janvier 2011, il s’est exilé avec sa famille en Arabie saoudite où il a vécu jusqu’à sa mort, le 19 septembre 2019, dans une gigantesque propriété au bord de la mer Rouge.

Il est notamment accusé d’avoir détourné des millions de fonds publics et de les avoir blanchis durant ses 23 années au pouvoir. Pour s’enrichir, il a monté une structure complexe d’entreprises et d’hommes de paille et s’est fait verser des pots-de-vin.[i]

Un scandale a également éclaté impliquant la femme du président qui se serait rendue à la Banque Nationale tunisienne, peu avant leur départ en Arabie saoudite, pour y retirer l’équivalent de USD 65 millions en lingot d’or.[ii] Cette affaire n’est qu’un exemple parmi d’autres qui illustre le règne de la kleptocratie dans le monde arabe, à savoir la pratique de la corruption afin de s’enrichir ou accroître son pouvoir.

C’était un véritable réseau familial. En effet, en plus de sa femme, les gendres ainsi que le beau-frère et d’autres proches du président étaient également impliqués dans les actes de corruption et le détournement des fonds publics. Le dessein criminel de leurs agissements était vraisemblablement de piller le pays afin de s’enrichir et d’agrandir l’empire familial.[iii]

L’argent blanchi a, par la suite, notamment servi à acquérir de nombreuses propriétés immobilières.

Comment s’y est-il pris ? Et quels ont été les mécanismes utilisés pour blanchir cet argent ?

https://www.eda.admin.ch/dam/eda/fr/documents/aussenpolitik/voelkerrecht/edas-broschuere-no-dirty-money_FR.pdf

Ouverture de comptes bancaires à l’étranger

De nombreux comptes bancaires ont été ouverts dans différents pays, notamment à Genève en Suisse, en Libye et en Égypte, aux noms de proches du président.[iv] En Suisse, USD 60 millions, appartenant à l’ancien président, se trouvaient sur des comptes auprès de diverses banques.[v]

Les blanchisseurs ouvrent des comptes dans divers pays pour ensuite les alimenter avec l’argent acquis illicitement. Cette technique est largement utilisée, car elle rend la traçabilité des mouvements des fonds difficiles. De plus, les juridictions étant différentes d’un État à l’autre, la récolte de preuves suffisantes s’avère souvent compromise pour admettre l’illégalité des transactions.

Pendant longtemps, la Suisse a été une place de choix pour les blanchisseurs. La place financière helvétique fut fortement appréciée pour son secret bancaire qui rend les transactions occultes. Un terrain idéal pour le détournement de fonds et le blanchiment d’argent. Heureusement, suite à la crise financière des « Subprimes » en 2008, les règles du jeu ont quelque peu changé. La transparence et la communication entre les États sont aujourd’hui de mise.

En effet, d’abondantes réglementations ont été édictées ces dernières années à l’encontre des intermédiaires financières pour prévenir la criminalité économique. Pour en citer quelques exemples : les accords FATCA («Foreign Account Tax Compliance Act») lient les banques des pays signataires et exigent d’elles de fournir aux États-Unis les informations bancaires de leurs clients identifiés comme étant « US Person ». L’échange automatique de renseignements (EAR) est un autre accord plus récent, entré en vigueur début 2017, qui exige une communication entre les États signataires sur les biens financiers de leurs ressortissants à l’étranger[vi].

Mouvements importants sur les comptes pour de grandes sommes

Plusieurs dizaines de millions de francs circulaient entre les différents comptes bancaires en Suisse. Cet argent provenait notamment de grands groupes internationaux et de partenaires d’affaires. De nombreux versements ainsi que des retraits étaient effectués en cash.[vii]

Ce phénomène est observé dans la majorité des cas de blanchiment d’argent. Souvent l’argent ne reste pas longtemps sur le même compte. Il circule d’un compte à un autre afin d’entraver l’identification de la provenance illicite des fonds.

Réseau d’hommes de paille

Le président déchu disposait également d’un large réseau d’hommes de paille qui l’aidait dans ses agissements illégaux. Un grand nombre des membres de sa famille étaient impliqués. Ces hommes de paille détenaient des comptes bancaires à leurs noms et dirigeaient des sociétés offshore par le biais desquelles les fonds ont été blanchis.

Dans les cas de blanchiment d’argent des potentats, ceux-ci recourent à d’autres personnes qui agissent pour elles. En effet, les potentats occupent des positions politiques importantes et sont connus sur la scène internationale. Cette pratique permet d’assurer la discrétion et d’entraver l’établissement d’un lien entre les actes de corruption et la personne au pouvoir.

Contrôle de marchés publics et monopole exercé par la famille présidentielle sur l’économie du pays

Les marchés publics sont contrôlés par des membres de la famille du président.[viii] Durant son mandat présidentiel, le président a veillé à ce que l’économie du pays soit sous son contrôle.

Il a notamment « acheté » des médias qui, contre de l’argent, avaient comme mission de diffuser une bonne image du régime au pouvoir, autant sur le plan national qu’international. Chaque article « positif » publié était rémunéré par le gouvernement.[ix]

De plus, d’autres marchés comme les télécommunications, l’audiovisuel, les terres agricoles ou encore les banques auraient également été aux mains de la famille présidentielle.[x]

Il est à noter que le contrôle des marchés publics est une stratégie très couramment utilisée par les potentats dans leur intention de détourner des fonds publics dans le but de s’enrichir.

Processus d’acquisition illicite de l’argent

Le président et ses acolytes ont principalement utilisé leur domination sur les marchés publics nationaux pour se procurer de l’argent. En effet, c’est à travers des prix surfaits, qu’ils se sont largement et illicitement enrichis.

Réseau de sociétés offshore

Des comptes détenus auprès des banques à l’international étaient aussi aux noms de sociétés offshore. En effet, un large réseau de sociétés a été mis sur pied pour recevoir et transférer plus loin l’argent illicitement acquis.

Des sociétés ont notamment été constituées au Panama avec des comptes bancaires en Suisse. L’ayant droit économique de ces sociétés était le neveu du président.[xi]

Des sociétés-écrans sont souvent ouvertes dans des pays connus pour être des paradis fiscaux. Ces sociétés n’ont souvent aucune activité commerciale propre et ne sont que des façades qui permettent aux blanchisseurs d’écouler les grandes sommes d’argent détournées.

Versements en cash et transferts illégaux de devises étrangères

D’importants montants transitaient en cash et des transferts illégaux en devises étrangères ont également été réalisés.

Ces mécanismes sont utilisés par les blanchisseurs afin de brouiller les pistes et de rendre la découverte de l’origine des fonds difficile. Les transactions de change peuvent aussi être utilisées pour les mêmes raisons.

Actif sur le marché de l’immobilier

Les fonds détournés, puis blanchis étaient ensuite investis sur le marché de l’immobilier. De nombreuses propriétés ont ainsi été acquises par Ben Ali et sa famille.

Durant le mandat présidentiel, la famille a notamment acquis plusieurs palais en Tunisie, mais également de nombreux terrains. Certains d’entre eux pour de modiques sommes (EUR 50) et d’autres pour des sommes plus onéreuses (EUR 50’000).[xii]

La famille présidentielle s’est également offerte une énorme bâtisse en Arabie saoudite où elle s’est confortablement installée après son exil début 2011.

En effet, le marché de l’immobilier est l’un des moyens fréquemment utilisé par les blanchisseurs pour écouler l’argent acquis illicitement en toute discrétion.

Vaste collection de pièces d’archéologie

L’ancien président serait également un grand collectionneur d’œuvres d’art et archéologiques. De nombreuses pièces archéologiques seraient exposées dans ses différentes propriétés immobilières.[xiii]

Le marché de l’art est aussi un moyen propice au placement d’argent mal acquis, car il est encore trop souvent dépourvu de contrôle et reste un marché fermé et réservé à un certain type de clients. En outre, les ventes aux enchères se déroulent souvent dans des cadres privées et les échanges se font de mains en mains et sont réglés au comptant. Cela signifie qu’il n’y a aucune traçabilité des transactions.

Finalement, nous pouvons constater que l’ancien président tunisien, Ben Ali, a fait preuve de ruse et de professionnalisme dans sa démarche de détournement de fonds publics. Pour arriver à ses fins, il a recouru à plusieurs des mécanismes usuellement employés dans le blanchiment d’argent. De plus, il a largement bénéficié de l’aide et de la complicité des membres de sa famille. La particularité qui ressort des pratiques mises en œuvre dans les pays arabes est la forte implication familiale dans l’opération.


[i] Article paru dans la Tribune de Genève, Témoignage inédit d’un membre du clan Ben Ali. [Consulté le 9 juillet 2020]. Disponible à l’adresse : https://www.tdg.ch/monde/afrique/temoignage-inedit-membre-clan-ben-ali/story/18801915

[ii] Brochure DFAE pdf, POUR QUE LE CRIME NE PAIE PAS. P.22-24 Les révolutions arabes [Consulté le 9 juillet 2020]. Disponible à l’adresse : https://www.eda.admin.ch/dam/eda/fr/documents/aussenpolitik/voelkerrecht/edas-broschuere-no-dirty-money_FR.pdf

[iii] Article paru dans le Temps, L’argent du clan Ben Ali fait surface à Genève. [Consulté le 9 juillet 2020]. Disponible à l’adresse : https://www.letemps.ch/suisse/largent-clan-ben-ali-surface-geneve

[iv] Articles paru sur swissinf.ch, Time needed before Ben-Ali assets returned.[Consulté le 9 juillet 2020]. Disponible à l’adresse : https://www.swissinfo.ch/eng/time-needed-before-ben-ali-assets-returned/30137398

[v] Article publié par PublicEye, Les lacunes de la législation suisse : les fonds Ben Ali. [Consulté le 9 juillet 2020]. Disponible à l’adresse : https://www.publiceye.ch/fr/thematiques/archives/avoirs-illicites/les-lacunes-de-la-legislation-suisse-les-fonds-ben-ali

[vi] Définition de l’échange automatique de renseignements sur le site de l’association suisse des banquiers. [Consulté le 25 septembre 2020]. Disponible à l’adresse : https://www.swissbanking.org/fr/themes/fiscalite/echange-automatique-de-renseignements/ear

[vii] TPF, Cour des plaintes, arrêt du 19 novembre 2014, BB.2014.27 (considérant 3.1, page 3)

[viii] TPF, Cour des plaintes, arrêt du 20 mars 2012, BB.2011.130, (considérant 2.2, page 4)

[ix] Article paru dans le Temps, Le livre noir des «journalistes amis» sous Ben Ali.[Consulté le 9 juillet 2020]. Disponible à l’adresse : https://www.letemps.ch/monde/livre-noir-journalistes-amis-ben-ali

[x] Article paru dans le Temps, Rapport sur l’ampleur du pillage par le clan Ben Ali. [Consulté le 9 juillet 2020]. Disponible à l’adresse : https://www.letemps.ch/monde/rapport-lampleur-pillage-clan-ben-ali

[xi] TPF, Cour des plaintes, arrêt du 9 décembre 2014, RR.2014.168 (partie en Fait : lettres D. et E., page 2)

[xii] Article paru dans le Temps, Rapport sur l’ampleur du pillage par le clan Ben Ali. [Consulté le 9 juillet 2020]. Disponible à l’adresse : https://www.letemps.ch/monde/rapport-lampleur-pillage-clan-ben-ali

[xiii] Article paru dans le Temps. Rapport sur l’ampleur du pillage par le clan Ben Ali. [Consulté le 9 juillet 2020]. Disponible à l’adresse : https://www.letemps.ch/monde/rapport-lampleur-pillage-clan-ben-ali

Article paru sur Nawaat, un patrimoine spoilé, récupéré mais toujours en danger. [Consulté le 9 juillet 2020]. Disponible à l’adresse : https://nawaat.org/portail/2013/03/21/archeologie-un-patrimoine-spolie-recupere-mais-toujours-en-danger/

Nursultan, la ville ou le dictateur, sur fond de blanchiment d’argent

mercredi 04 Nov 2020

Par Laurent Débieux

Nur-sultan est depuis mars 2019 le nouveau nom de la capitale du Kazakhstan. L’ancienne république soviétique a rebaptisé la ville, connue anciennement sous le nom d’Astana. Cette anecdote donne un avant-goût des péripéties locales. Le parallèle est donc relativement vite fait avec l’ancien président qui n’est autre que Nursultan Nazarbaïev.

Nursultan Nazarbaïev a été président de ce pays pétrolier entre 1991 et 2019, année à laquelle il a décidé de démissionner après 29 ans de règne. Il est cependant toujours président du Parti au pouvoir dans le pays en ce moment. Par ces quelques lignes, il est possible dès lors de comprendre que cet homme détient un pouvoir d’influence très important au Kazakhstan. Grâce à une loi votée en 2018, il dispose même d’une immunité judiciaire.[1]

Ce fils d’ouvrier a gravi tous les échelons politiques pour arriver à la tête du 9ème plus grand territoire du monde ainsi qu’à la tête d’une fortune considérable, bâtie grâce à sa position politique. Il a également profité de son influence pour introniser des proches au sein de postes clés de l’administration nationale. Par exemple, son gendre, Timur Kulibayev, a notamment été président de la compagnie pétrolière étatique et également administrateur de nombreuses sociétés au Liechtenstein ou aux Îles Vierges britanniques.

Les puits pétroliers sont la principale source de la fortune accumulée par Nazarbaïev. Par exemple, des comptes ouverts en Suisse à son nom et à celui de son ministre du pétrole de l’époque ont montré qu’ils touchaient des commissions pour l’octroi de droits d’exploitation à des entreprises étrangères. Ceux-ci ont été gelés par les autorités suisses après avoir découvert qu’il s’agissait de pots-de-vin d’entreprises américaines. Ces comptes renfermaient plus de 120 millions de dollars[2]. Un autre exemple, vient de l’affaire des parts dans la société étatique KazMunaiGaz. Nazarbaïev aurait acheté des parts[3] pour 30 millions de dollars et les aurait revendues deux ans plus tard pour plus de 300 millions de dollars. De plus, il y a notamment eu des cas d’appropriation de biens publics. En effet, le gendre de Nazarbaïev, Timur Kulibayev, s’est approprié une chaîne de télévision locale. Cette transaction lui aurait rapporté plus de 100 millions de dollars.[4]

Des journalistes locaux qui ont essayé de divulguer ces pratiques ont fait l’objet de représailles violentes (emprisonnement de membre de la famille, mort)[5]. Le contrôle sur les médias était tel que personne n’osait parler de l’enrichissement personnel des personnes au pouvoir. Au-delà de cela, les médias étaient même utilisés par Nazarbaïev pour mener des campagnes contre tout opposant.

Comment tout cet argent était-il blanchi ?

Il s’agit d’une question fondamentale. En effet, après avoir acquis indument toutes ces sommes, encore fallait-il les rendre « propres ». Le principe utilisé débute souvent par la création d’une multitude de sociétés dans divers paradis fiscaux. Mais en plus de cela, il faut avoir des complices, c’est-à-dire des hommes de paille notamment. Ceux-ci sont, soit chargés de garder l’argent d’autrui à leur nom, soit déclarés administrateurs de diverses sociétés, parfois totalement fictives. On peut citer là l’exemple de l’homme d’affaire helvético-kosovar, Behgjet Pacolli. Ce monsieur, originaire de Lugano, est un proche de Timur Kulibayev. Behgjet Pacolli prêtait main-forte au clan Nazarbaïev en échange de l’attribution de contrats publics au Kazakhstan. En effet, son entreprise Mabetex Group a largement contribué au développement de l’infrastructure de la capitale du pays.

Behgjet Pacolli représentait une société qui a elle-même acquis la fameuse villa Romantica de Lugano. La société en question, Stott Ltd. (domiciliée aux Îles Vierges britanniques), a ensuite été rachetée par Transasian Oil B.V., qui aboutissait enfin chez Timur Kulibayev. Les circuits économiques utilisés étaient complexes et rendaient difficile la traçabilité des fonds et surtout l’origine de ceux-ci.[6]

D’autres investissements immobiliers ont été effectués, notamment par la fille de Nazarbaïev cette fois-ci, Dinara Nazarbaïev. Celle-ci a tout d’abord créé une société sise à Lugano, pour laquelle elle était administratrice. Cette manœuvre lui a donné le droit de bénéficier d’une autorisation de séjour en Suisse. Ensuite, elle a fait plusieurs acquisitions immobilières, dont une grande maison à Anières (GE) pour un peu plus de 74 millions de francs. Les autorités genevoises ont laissé faire la transaction, quand bien même les ressortissants étrangers (hors UE) ne peuvent pas acquérir de propriété excédant 3’000 mètres carrés. La somptueuse villa à Anières (GE) en fait elle 7’960.[7]

La société nationale d’hydrocarbures, KazMunaiGaz International, filiale de KazMunaiGaz Trading, est sise à Lugano. D’ailleurs, suite à cela, un nombre important de Kazakhs se sont installés en Suisse.[8]

L’argent du clan Nazarbaïev était donc soigneusement réparti entre divers investissements immobiliers, mais aussi sous forme de comptes bancaires en Suisse, appartenant à diverses personnes ou sociétés. La famille possède des villas et des propriétés dans le monde entier, en particulier à Londres, en Suisse et dans le sud de la France. Elle détient un nombre de sociétés si important, qu’il est difficile de toutes les répertorier. Cela lui donne donc la possibilité d’utiliser des schémas comptables très complexes et difficilement traçables, car en plus de cela, plusieurs pays différents sont concernés. Sachant que les richesses nationales sont quasiment la propriété de la famille, il est même difficile de trouver des estimations précises quant à la fortune concrète que se partage les membres la famille Nazarbaïev.[9]

Illustration de Nur-Sultan, Kazakhstan[10]

Comment est-ce possible de blanchir autant d’argent en Suisse ?

La problématique de l’acceptation des fonds étrangers est encore grande. En effet, pour que les principes de contrôle de l’origine des fonds puissent avoir lieu, il faut encore que les autorités des pays en question, en l’occurrence le Kazakhstan dans notre cas, collaborent. Or, pour les pays en développement, il n’existe souvent aucune chance de recevoir des informations fiscales pertinentes. Surtout lorsqu’il y a un dictateur au pouvoir qui contrôle les moindres faits et gestes de la population.

Enfin, il faut que les intermédiaires financiers jouent le rôle qui leur est demandé, c’est-à-dire de vérifier concrètement l’origine des fonds de leurs clients et lorsqu’il y a le moindre doute, ils sont censés informer les autorités. Il s’agit donc encore d’un système basé sur la confiance et force est de constater qu’il existe des failles dans ce système. Il y a malheureusement de nombreux cas où les banques ont joué un rôle essentiel dans les schémas complexes utilisés.[11]


[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2019/03/19/demission-du-president-kazakh-apres-pres-de-trente-ans-au-pouvoir_5438330_3210.html, consulté le 03.11.2020.

[2] https://www.swissinfo.ch/fre/les-affaires-plut%C3%B4t-que-les-droits-de-l-homme/3122370, consulté le 03.11.2020.

[3] https://www.rts.ch/info/monde/3781593-le-president-kazakh-encore-accuse-de-blanchiment.html, le 03.11.2020.

[4] https://www.rts.ch/info/monde/3781593-le-president-kazakh-encore-accuse-de-blanchiment.html, consulté le 03.11.2020.

[5] https://www.swissinfo.ch/fre/les-affaires-plut%C3%B4t-que-les-droits-de-l-homme/3122370, consulté le 03.11.2020.

[6] KAZAKHSTAN, CAUCHEMAR SUISSE ? – La Cité, consulté le 03.11.2020.

[7] https://www.rts.ch/info/2732386-le-clan-du-president-kazakh-accuse-de-blanchiment.html, consulté le 03.11.2020.

[8] KAZAKHSTAN, CAUCHEMAR SUISSE ? – La Cité, consulté le 03.11.2020.

[9] https://www.bilan.ch/finance/bientot_la_fin_du_blanchiment_immobilier_, consulté le 03.11.2020.

[10] https://www.youngpioneertours.com/what-to-see-in-nur-sultan/, consulté le 03.11.2020.

[11] https://www.swissinfo.ch/fre/flux-financiers-illicites_-la-suisse-reste-un-refuge-privil%C3%A9gi%C3%A9-pour-l-argent-sale-du-sud/42560716, consulté le 03.11.2020.