« Money Muling » : blanchir de l’argent malgré soi !

mardi 16 Juil 2019

De Pamela Guerne

Dans la conscience collective, le blanchiment d’argent s’apparente au monde de la criminalité. Fraudeurs, trafiquants, voleurs ; tant de profils pour qui blanchir de l’argent fait partie intégrante de leurs activités.

Depuis quelques années pourtant, chaque individu peut, potentiellement et à son insu, blanchir de l’argent en devenant une « Money Mule ». Ce phénomène de cybercriminalité est actuellement en plein essor. Des cas ont été relevés dans plusieurs cantons en Suisse… mais de quoi s’agit-il exactement ? Explications.[i]

Depuis longtemps, divers pans de la criminalité font appel à des passeurs afin de faire voyager de la drogue, des objets volés ou encore de l’argent issu d’activités douteuses. Comme de nombreuses autres fraudes commises à travers les réseaux informatiques et Internet, le « Money Muling » n’est qu’une adaptation digitale d’un comportement criminel du monde réel.

 

Fonctionnement du « Money Muling »

Les « Money Mules », que l’on pourrait traduire par « passeurs d’argent » ont connu une réelle croissance grâce aux nouvelles technologies. Cette fraude fait partie intégrante de la catégorie du « Social Engineering » ou ingénierie sociale en Français. Dans l’univers de la cybercriminalité, le « Social Engineering » occupe une place centrale et regroupe tous les actes cybercriminels réalisés en exploitant la crédulité des utilisateurs des réseaux informatiques.[ii]

Dans les cas de « Money Muling », les fraudeurs vont attirer leurs victimes par des offres d’emploi attirantes. Ces offres seront mises en ligne par le biais de sites ou sur les réseaux sociaux. Les fraudeurs tenteront de recruter ce qu’ils appelleront des « agents financiers ». Dans ce contexte, l’agent financier aura pour mission de mettre son compte en banque à disposition d’une entreprise ou d’un individu afin de faciliter des transferts d’argent entre plusieurs pays. En contrepartie, l’agent financier sera rémunéré et touchera une commission sur chaque transfert d’argent réalisé.[iii]

Les victimes de ce schéma ne perçoivent en général que l’aspect attrayant de ces offres d’emploi. Un bon salaire, pas de contrainte liée aux horaires et aucune formation préalable demandée. De plus, les personnes à l’origine de ces fraudes s’efforcent de les rendre crédibles en créant des sites Internet au nom des fausses entreprises ou encore, en détournant des noms d’entreprises ou de marques connues. Il devient dès lors compliqué pour un utilisateur peu averti de repérer l’arnaque. C’est une des principales forces de ce type de fraudes. Par ailleurs, les fraudeurs vont toucher un public constitué de personnes ayant le plus souvent des difficultés financières. Parfois, l’urgence de leur situation les empêche de démêler le vrai du faux.[iv]

S’agissant des personnes à l’origine de ces fraudes, différents profils se distinguent : des cybercriminels, des trafiquants en tous genres ou encore des escrocs. Tous poursuivent le même but : blanchir de l’argent issu d’activités illégales. [v]

Utiliser des individus lambda en qualité de « Money Mules » procure de nombreux avantages aux fraudeurs. En effet, les « Money Mules » sont généralement des personnes anonymes, sans grande fortune, disposant déjà d’un compte en banque et donc à même d’en ouvrir de nouveaux sans difficulté. Pour les banques, cette clientèle ne représente pas de risque significatif, elles n’accordent donc pas de vigilance accrue quant à la manière dont ces clients utilisent leurs comptes. Les fraudeurs vont alors pouvoir commencer à transférer de l’argent sur les comptes des « Money Mules » en faisant particulièrement attention à ne jamais envoyer des montants conséquents. Cette technique appelée « Smurfing » leur permet de passer sous les radars des banques.[vi]

Une fois l’argent sur le compte, la « Money Mule » recevra des instructions quant à la manière dont elle devra le faire transiter. Le plus souvent, les « Money Mules » vont retirer ces fonds et les envoyer dans des pays étrangers par le biais d’entreprises spécialisées dans le transfert d’argent, comme Western Union par exemple. Cette opération sera renouvelée autant de fois que possible.

Dès que les fonds ont été déposés sur le compte de la « Money Mule », elle se retrouve directement mêlée au business illégal à l’origine de ces montants. Alors, sans s’en rendre compte, les « Money Mules » sont impliquées dans un trafic illégal et blanchissent de l’argent sale pour le compte de criminels.

 

Aspects juridiques

D’un point de vue juridique, les « Money Mules » encourent de véritables risques en matière de poursuites pénales. En effet, en mettant à disposition leurs comptes en banque et en acceptant en dépôt des fonds issus d’actes criminels les « Money Mules » se rendent coupables de blanchiment d’argent au sens de l’article 305bis du Code pénal suisse dont la teneur est la suivante :

« 1. Celui qui aura commis un acte propre à entraver l’identification de l’origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il savait ou devait présumer qu’elles provenaient d’un crime ou d’un délit fiscal qualifié, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. »[vii]

En ce qui concerne le « Money Muling », même si les victimes ne connaissent pas directement l’origine trouble des fonds, leur participation dans le processus de blanchiment d’argent est un élément suffisant pour les incriminer. En outre, il ne sera pas aisé pour elles de faire valoir leur bonne foi au regard de la situation et des indices à leur disposition.

En Suisse, de nombreuses mesures ont été instaurées pour lutter contre le blanchiment d’argent. Les banques sont soumises à des obligations de surveillance afin de repérer et dénoncer les cas de blanchiment d’argent réalisés par leurs clients. Dans les cas de « Money Muling », si des activités douteuses sont identifiées sur le compte de leur client, c’est le titulaire du compte qui fera l’objet d’une dénonciation au Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS) ce qui a pour conséquence directe de placer la « Money Mule » au cœur de la procédure. Pour la « Money Mule », cette dénonciation au MROS peut avoir de lourdes répercussions, à commencer par l’éventuel blocage de ses comptes par exemple. Dès lors, ce qui ne devait être qu’un job « facile » devient rapidement un enfer. La vigilance est donc essentielle pour éviter de se retrouver dans des situations délicates.[viii]

 

Prévention et sensibilisation

C’est dans ce but que le service intercantonal Prévention suisse de la criminalité (PSC) ainsi que la Fedpol ont mis sur pied une campagne de sensibilisation et de prévention quant aux risques liés au « Money Muling ». En effet, sous l’impulsion d’une action menée par Europol qui a permis d’identifier 111 « Money Mules » en Suisse en 2018, plusieurs entités cantonales et intercantonales ont souhaité informer la population quant aux risques liés à cette nouvelle forme de cybercriminalité.[ix]

Les utilisateurs des réseaux sociaux ou plus généralement d’Internet, restent encore trop peu informés des dangers qui existent sur la toile. Pour beaucoup, il y a une barrière entre le monde réel et le monde virtuel. Par conséquent, les utilisateurs sont moins sensibles aux menaces qui planent sur eux et n’en perçoivent pas les conséquences possibles. Le « Money Muling » comme d’autres actes de cybercriminalité peuvent plonger les victimes dans une spirale infernale les menant jusqu’à une condamnation pénale. Les retombées économiques et de réputation liées à ce type de fraudes sont réelles et peuvent péjorer la vie d’un individu sur le long terme.

Le monde actuel nous force à avoir un regard critique sur les choses qui nous entourent, il nous oblige à ne pas simplement croire aveuglément, mais à chercher à savoir ce qui est vrai. Cette vision critique doit être renforcée lorsqu’il s’agit d’utiliser Internet. Le monde virtuel est un monde en perpétuelle évolution et face à une utilisation toujours plus intense des réseaux informatiques, la vigilance doit être de mise partout et en tout temps.

 

Pamela Guerne

Compliance Assistant et étudiante au MAS LCE

 

[i] RTS Info « Les « money mules », nouveaux passeurs de la cybercriminalité » [En ligne] Disponible à l’adresse : https://www.rts.ch/info/suisse/10319926-les-money-mules-nouveaux-passeurs-de-la-cybercriminalite-.html

[ii] La Centrale d’enregistrement et d’analyse pour la sûreté de l’information MELANI « Social Engineering » [En ligne] Disponible à l’adresse : https://www.melani.admin.ch/melani/fr/home/themen/socialengineering.html

[iii] SEECLOP Swiss Investigation Group « Criminalité : Arnaque et transfert d’argent en Suisse » [En ligne] Disponible à l’adresse : https://www.seeclop.ch/fr/criminalite-arnaque-et-transfert-dargent-en-suisse-romande/

[iv] Prévention Suisse de la Criminalité « Money Muling » [En ligne] Disponible à l’adresse : https://www.skppsc.ch/fr/sujets/internet/money-mules/

[v] Europol « OVER 1500 MONEY MULES IDENTIFIED IN WORLDWIDE MONEY LAUNDERING STING »[En ligne] Disponible à l’adresse : https://www.europol.europa.eu/newsroom/news/over-1500-money-mules-identified-in-worldwide-money-laundering-sting

[vi] ACAMS « AML Glossary » [En ligne] Disponible à l’adresse : https://www.acams.org/aml-glossary/index-s/

[vii] Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP) [En ligne] Disponible à l’adresse : https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19370083/index.html

[viii] Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS) [En ligne] Disponible à l’adresse : https://www.fedpol.admin.ch/fedpol/fr/home/kriminalitaet/geldwaescherei.html

[ix] Office fédéral de la police (Fedpol) « »Money muling »: le piège continue de se refermer » [En ligne] Disponible à l’adresse : https://www.fedpol.admin.ch/fedpol/fr/home/aktuell/news/2018/2018-12-04.html

IBM « Money mules by Steve D’Alfonso and Brooke C. Satti » [En ligne] Disponible à l’adresse : https://www.ibm.com/downloads/cas/K5VPAWO6

Cellule de Traitement des Informations Financières (CTIF) « Money Mules » [En ligne] Disponible à l’adresse : http://www.ctif-cfi.be/website/index.php?option=com_content&view=article&id=20&catid=35&Itemid=145&lang=fr

 Police neuchâteloise « Arnaque internet » [En ligne] Disponible à l’adresse : https://www.ne.ch/autorites/DJSC/PONE/prevention/Documents/Arnaques_internet.pdf