Les risques dans le métavers

mercredi 21 Sep 2022

Par Alev Camyurdu, une étudiante du MAS en Lutte contre la criminalité économique

Introduction

Le « métavers », ce mot qui se trouve désormais sur toutes les lèvres ! En octobre dernier, lorsque la société anciennement appelée « Facebook » change de nom pour devenir Meta Platforms Inc., dit Meta, tout le monde s’interroge sur ce terme.

Si on remonte à son origine, c’est Neil Stephenson qui invente, en 1992, le terme de « métavers » paru dans son roman Le Samouraï Virtuel. L’histoire se déroule dans un univers futuriste parallèle accessible par un casque.[1] En 1993, la société de jeux Steve Jackson Games lance un MMO, qui est « un jeu en ligne massivement multijoueur qui fait participer un très grand nombre de joueurs simultanément, par le biais du système de réalité virtuelle basé sur du texte et à faible consommation de bande passante, appelé The Metaverse ».[2]

Depuis, le métavers a bien évolué. Bill Gates prédit même que dans les prochaines années, les entreprises organiseront leurs vidéoconférences dans cet univers.[3] Le métavers semble tout proche et son impact sur notre quotidien est grandement discuté. Nous proposons donc de passer en revue quelques risques dans le métavers, afin de mieux s’y adapter dans le futur. Pour cela, nous définirons le métavers, nous évoquerons quelques principaux risques et puis, nous conclurons brièvement par l’actualité.

Le métavers, qu’est-ce que c’est ?

Le mot « metaverse » ou « métavers » est une contraction de « meta » et « univers ». Il se décrit comme l’internet du futur, un monde dans lequel, grâce à un personnage virtuel (avatar) ou un hologramme, les utilisateurs peuvent se retrouver et interagir à travers un casque de réalité virtuelle accessible via une connexion réseau et une projection laser sur des lunettes.[4] Il s’agit là d’applications compatibles avec la blockchain décentralisée, basée sur une économie d’échanges en crypto-monnaies utilisés par les consommateurs.

C’est un lieu où les gens ont la possibilité d’échanger des idées entre communautés en ligne, d’écouter des concerts de stars, de faire des courses virtuelles, d’acheter, de vendre, de gagner et d’échanger toutes sortes de choses, telles que des biens immobiliers, des tickets sportifs, des vêtements pour son avatar, etc. et des articles sous forme de tokens non fongibles (non-fungible tokens ou NFT)[5]. Autant dire que le métavers est la nouvelle plateforme de négociation. Le flux financier y est aussi important que dans la réalité, ce qui ne laisse pas le système sans risques.

Les risques dans le métavers

Dans le métavers, le risque virtuel a supplanté le risque réel. Plus notre monde physique devient virtuel, plus les enjeux augmentent. Internet, devenu une sphère de consommation, est également une station de diffusion où les risques concrets pour l’individu doivent être réévalués, car la traçabilité des preuves n’est pas assurée. Les cyber-risques étant transnationaux et les risques pour les utilisateurs ne connaissant pas de frontières, les sociétés doivent régler les problèmes de sécurité et de réglementation pour protéger les utilisateurs.

Un des risques les plus importants est la soustraction de données, notamment le vol d’identité. Les identités numériques, qui se créent en un clic, fournissent des données personnelles gigantesques aux fraudeurs. Cette forme de collecte de données est très sensible. En Suisse, selon la statistique policière de la criminalité (SPC) de l’Office fédéral de la statistique (OFS), entre 2020 et 2021, la soustraction de données a augmenté de 35%, soit respectivement de 528 à 713 infractions.[6] Les entreprises doivent donc continuellement assurer la protection et la sécurité des données de leurs utilisateurs en suivant l’évolution numérique ainsi que celle de la cybersécurité.

Il convient évidemment de se questionner sur la situation fiscale des développeurs et des consommateurs. Ainsi, le système financier virtuel crée des avantages crypto-monétaires qui profitent aux personnes dans le monde réel. Par exemple : les designers peuvent lancer leurs créations sans frais de production ; en revanche, ils se feront livrer à domicile par un coursier ce qui a été acheté par le consommateur. Toutes les négociations, qu’il s’agisse de développements de la marchandisation, du futur cyberespace, des échanges e-commerce, des nouveaux emplois, de la consommation réelle, etc., établies ou échangées par un flux financier nécessiteraient de faire l’objet d’une réglementation fiscale, sans quoi une inégalité sociale ou financière se fera sentir parmi la communauté numérique.

Lorsqu’on parle de régulation, on pense également aux sanctions concernant les actes criminels virtuels. A l’heure actuelle, « les lois contre les actes criminels protègent les personnes réelles et vivantes »[7] et chaque plate-forme de réseaux sociaux définit ses propres conditions d’utilisations. Il n’y pas encore de lois pénales qui condamnent les actes criminels dans le monde virtuel. Dans les prochaines années, nous assisterons peut-être à des changements de la loi dans le monde physique pour une plus grande protection juridique ou pour l’obtention de la personnalité juridique de l’avatar.

La monnaie numérique n’est pas un thème moins risqué. L’utilisation de la monnaie numérique, telle que les crypto-monnaies, est très risquée et les fraudes y sont très fréquentes. « Les utilisateurs peuvent subir n’importe quoi de l’autorisation d’opérer (ATO), de la fraude multi-comptes, de la fraude d’affiliation, des rétrofacturations, etc., lorsqu’ils naviguent dans les paiements »[8]. De là découlent autant de projets dans le métavers comme les projets blockchain play-to-earn (P2E) et les projets immobiliers, qui promettent des gains aux investisseurs, mais dont les fonds sont finalement récoltés par des escrocs.

Autant dire que les risques se multiplient là où l’économie s’annonce florissante. Les prix explosent dans le métavers et tout le monde espère faire de l’argent.

Et l’actualité dans tout ça ?

D’après, Jensen Huang, le CEO du fabricant de puces Nvidia, « l’économie du metaverse pourrait même un jour éclipser l’économie réelle » [9]. Selon un rapport de Bloomberg en novembre 2021, le métavers pourrait engendrer un marché annuel d’environ 800 milliards de dollars.[10].

Conformément à l’étude de CBInsight en avril 2022, il y a plus de 90 entreprises qui ont investi dans le développement du métavers.[11] C’est dire que les entreprises y préparent déjà leurs places. En Suisse, en 2015, la start-up de l’EPFL Faceshift a été acheté par Apple et en 2016, c’est Meta (anc. Facebook) qui rachète la start-up suisse Zurich Eye. En 2022, l’entreprise Walmart annonçait qu’elle voulait lancer dans le métavers des centres commerciaux qui livreront à domicile par un coursier ce qui a été placé dans le panier virtuel du consommateur. Les consommateurs de produits de luxes feront leurs achats dans les boutiques virtuelles pour recevoir leurs produits physiquement. Sans compter, que ces activités virtuelles vont créer de nouveaux emplois tels que les stylistes de métavers, les concierges virtuels, les guides touristiques, les chief metaverse officer, etc.[12]

Conclusion

Toutefois, la transition vers le nouveau monde numérique ne pourra se faire sans la protection des personnes physiques ! Il ne s’agit pas de s’attaquer au fondement même de l’univers numérique, mais d’en solidifier sa structure afin qu’il perdure dans le temps, dans les règles politiques, sociales et humaines !


[1] Geschichtedergegenwart, Jonas Frick, 2021, Neal Stephenson und das Metaverse, [en ligne], [Consulté le 14.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://geschichtedergegenwart.ch/neal-stephenson-und-das-metaverse/

[2] Wikipédia, Moncetz, 2021, Métavers, [en ligne], [Consulté le 14.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Métavers

[3] PME, Kowalsky Marc, 2022, Pourquoi le metaverse restera longtemps du domaine de la fiction, [en ligne], [Consulté le 14.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.pme.ch/strategie/2022/04/11/pourquoi-le-metarverse-restera-encore-longtemps-du-domaine-de-la-fiction

[4] Orthodidacte le dictionnaire, Métavers, [en ligne], [Consulté le 15.05.2022]. Disponible à l’adresse : https://dictionnaire.orthodidacte.com/article/definition-metavers

[5] Cryptoast, Narozniak Blandine, 2022, Metaverse : comprendre ces mondes virtuels basés sur la blockchain et les NFTs, [en ligne], [Consulté le 22. 05.2022]. Disponible à l’adresse : https://cryptoast.fr/metaverse-comprendre-mondes-virtuels-blockchains-nfts/

[6] Office fédéral de la statistique (OFS), 2022, Rapport annuel 2021 des infractions enregistrées par la police, [en ligne], [Consulté le 24. 05.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/criminalite-droit-penal/police.assetdetail.22164351.html

[7] Techtribune, Linville Paillion, 2022, Les experts du métaverse révèlent si vous pouvez assassiner dans le monde virtuel, [en ligne], [Consulté le 06.06.2022]. Disponible à l’adresse : https://fr.techtribune.net/web3/les-experts-du-metaverse-revelent-si-vous-pouvez-assassiner-dans-le-monde-virtuel/291363/

[8] Techtribune, Linville Paillion, 2022, Le régulateur bancaire chinois met en garde contre les risques de fraude dans le métaverse, [en ligne], [Consulté le 11.05.2022]. Disponible à l’adresse : https://fr.techtribune.net/web3/le-regulateur-bancaire-chinois-met-en-garde-contre-les-risques-de-fraude-dans-le-metaverse/248121/

[9] Ibid nbp 3.

[10] Bloomberg, Intelligence, 2021, The metaverse is already now; Four surprising BI charts [en ligne], [Consulté le 06. 06.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.bloomberg.com/professional/blog/the-metaverse-is-already-now-four-surprising-bi-charts/?tactic-page=431091

[11] CBInsights, The metaverse could be tech’s next trillion-dollar opportunity: These are the companies making it a realtiy, [en ligne], [Consulté le 29.05.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.cbinsights.com/research/metaverse-market-map/

[12] Ibid nbp 3.

Sources supplémentaires

Bernard Marr & Co., Marr Bernard, 2022, 7 important problems & disadvantages of the metaverse [en ligne], [Consulté le 04.06.2022]. Disponible à l’adresse : https://bernardmarr.com/7-important-problems-disadvantages-of-the-metaverse/

Capital, 2021, Métavers : « extrêmement inquiète », la lanceuse d’alerte de Facebook avertit les députés français, [en ligne], [Consulté le 15.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.capital.fr/entreprises-marches/metavers-extremement-inquiete-la-lanceuse-dalerte-de-facebook-avertit-les-deputes-francais-1419649

Cornell University, Yuntao Wang, Zhou Su, Ning Zhang, Dongxiao Liu, Rui Xing, Tom H. Luan, Xuemin Shen, 2022, A survey on metaverse : fundamentals, security, and privacy [en ligne], [Consulté le 06. 06.2022]. Disponible à l’adresse : https://arxiv.org/abs/2203.02662

Data Ring, 2021, Le Métavers : Quels enjeux et quelles opportunités ? [en ligne], [Consulté le 15.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.data-ring.net/detail-actualite?tx_news_pi1%5Baction%5D=detail&tx_news_pi1%5Bcontroller%5D=News&tx_news_pi1%5Bnews%5D=37&cHash=d0261a696639dc6dbe19f562a49992a3

Entreprendre, Chaussegros Bernard, 2021, Métaverse : l’univers parallèle des générations futures ? [en ligne], [Consulté le 15.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.entreprendre.fr/metaverse-lunivers-parallele-des-generations-futures/

France culture, Marie Maxime, 2021, Le métaverse, de la dystopie à la réalité, [en ligne], [Consulté le 14.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.franceculture.fr/numerique/le-metaverse-de-la-dystopie-a-la-realite

Le blog de Thierryvallatavocat, Vallat Thierry, 2021, Y a-t-il une justice dans le Métaverse ?, [en ligne], [Consulté le 15.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.thierryvallatavocat.com/2021/09/y-a-t-il-une-justice-dans-le-metaverse.html

PaperJam (Business zu Lëtzebuerg), Bajai Jade Marie & Skoglund Fredrik, 2022, Metaverse : le nouvel horizon en matière de numérisation, [en ligne], [Consulté le 15.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://paperjam.lu/article/metavers-nouvel-horizon-en-mat

Techtribune, Linville Paillion, 2022, Comment le métaverse affectera la gouvernance, la confidentialité, la fraude, l’identité, etc., [en ligne], [Consulté le 15.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://fr.techtribune.net/web3/comment-le-metaverse-affectera-la-gouvernance-la-confidentialite-la-fraude-lidentite-etc/227241/

Trends, Courtecuisse Matthieu, 2021, Chacun doit se saisir du metaverse [en ligne], [Consulté le 04.06.2022]. Disponible à l’adresse : https://trends.levif.be/economie/entreprises/chacun-doit-se-saisir-du-metaverse/article-opinion-1485211.html

Finance décentralisée, quels défis et enjeux ?

mardi 06 Sep 2022

Par une étudiante du MAS en Lutte contre la criminalité économique

Naissance d’une cryptomonnaie

Dans son article intitulé « Bitcoin : A Peer-to-Peer Electronic Cash System » publié le 31 octobre 2008 sous le pseudonyme Satoshi Nakamoto, l’auteur propose un système de monnaie électronique décentralisé.[1]

La naissance du Bitcoin basée sur la technologie des registres distribués (TRD) est le début d’un réel bouleversement dans le monde de la finance. Il a été conçu pour fonctionner comme moyen d’échange sans tiers de confiance qui repose sur les mathématiques et la cryptographie.[2] L’attrait initial était cette idée quasi anarchique qu’il était possible de créer un système financier séparé et différent de notre système financier conventionnel.

Bitcoin peut être vu comme un projet libertarien tant dans ses objectifs que ses caractéristiques. Il s’affranchit d’un contrôle gouvernemental ou celui d’une banque centrale. Ses caractéristiques techniques sont une décentralisation complète, un logiciel libre, une politique monétaire immuable fixée dans le code source.[3]

Évolution vers une finance décentralisée

Cette idée d’utiliser la cryptomonnaie bitcoin pour des transactions financières distinctes du système bancaire conventionnel et la création d’un système financier alternatif ne verra pourtant véritablement le jour qu’avec le développement d’une autre blockchain, Ethereum, lancé en 2015.[4] En permettant l’écriture de processus bien plus complexes, Ethereum offre la possibilité de réaliser et déployer des applications décentralisées.[5]

Au cours des deux dernières années, de nombreuses fonctionnalités du système financier conventionnel ont été recréées sous forme d’applications et de protocoles sur la blockchain Ethereum. Les activités sont principalement réalisées par le biais de smart contracts ou contrats intelligents qui s’exécutent d’eux-mêmes selon des conditions prédéterminées.[6]

Le terme de « finance décentralisée » (Decentralised Finance ou DeFi) est utilisé pour désigner l’ensemble des marchés et produits financiers alternatifs reposant sur la TRD répliquant la gamme de services financiers proposés dans le système financier traditionnel mais réduisant ou excluant la dépendance à l’égard d’intermédiaires financiers et institutions centralisés.[7] On y retrouve principalement les activités telles que le négoce, les opérations de crédits, la gestion d’actifs, les opérations de paiements et celles en matière d’assurance.[8]

Les enjeux et défis de la finance décentralisée

Cependant, contrairement aux prestataires de services financiers traditionnels qui exercent ces activités, les applications de finance décentralisée sont, à l’heure actuelle, largement non réglementées.[9]

Pour l’heure, le marché des services de finance décentralisée est encore faible par rapport au secteur financier traditionnel. Le graphique ci-dessous donne un ordre de grandeur et montre la relative petite taille du marché des actifs virtuels par rapport à l’ensemble du système financier.

Fig. 1 : « Cryptoassets and associated markets are small but growing rapidly – they provide similar services to the traditional financial sector ». [10]

Cependant, ce graphique montre également la très forte croissance du marché des actifs virtuels passant de USD 0.13 billions en 2019 à USD 1.7 billions début 2022 et nous laisse penser que son importance est appelée à évoluer. Dans la mesure où la finance décentralisée aura le potentiel de concurrencer les prestataires de services financiers traditionnels, on pourrait observer un déplacement de certaines activités financières actuellement effectuées par ces institutions financières régulées hors du périmètre réglementaire. Une augmentation significative des activités financières en dehors du périmètre réglementaire poserait des problèmes d’une part de stabilité financière mais également en matière de protections des investisseurs et consommateurs, d’intégrité des marchés et, bien entendu, en matière de blanchiment d’argent et du financement du terrorisme.[11]

Le conflit qui se déroule actuellement en Ukraine permettra de tester et éventuellement mettre en avant les risques et vulnérabilités de l’univers des actifs virtuels et de la finance décentralisée aux vues de la lutte contre la criminalité économique. Plus les sanctions économiques sans précédents que les gouvernements des pays occidentaux, mais également le secteur privé, infligent à l’encontre de la Russie se prolongeront, plus la tentation de trouver des alternatives aux flux financiers conventionnels et de contourner les interdictions s’amplifiera.

L’utilisation de cryptomonnaies dans ce cadre n’est pas un fait nouveau. Selon des estimations, l’Iran, frappé par des sanctions depuis 2012, a miné l’an dernier environ USD 1 milliard de bitcoin. La Corée du Nord a même organisé en 2019 une conférence sur la blockchain pour discuter du contournement des mesures. Le pays est, par ailleurs, connu pour ses tentatives d’obtenir des actifs virtuels par le biais de piratages informatiques.[12]

S’il est envisageable pour des gouvernements d’obliger les grandes plateformes d’échange de cryptomonnaies de bloquer les transactions en provenance de pays sous embargo, ainsi que les transactions dans leur monnaie, ils n’ont en revanche aucune influence sur les transactions pair-à-pair (peer-to-peer), c’est-à-dire les transactions entre utilisateurs individuels.[13]

Le Groupe d’Action Financière (GAFI) définit les transactions pair-à-pair en tant que transferts d’actifs virtuels effectués sans l’intermédiation d’un prestataire de services liés aux actifs virtuels (PSAV) ou autre entité régulée. Les transactions pair-à-pair ne sont pas explicitement soumises à des contrôles en termes de lutte contre le blanchiment de capitaux et financement du terrorisme (LBC/FT) selon les directives du GAFI.[14]

Les risques que représentent ces transactions pourraient devenir particulièrement significatifs si les actifs virtuels devaient être utilisés de manière massive et démocratisée. Dans un tel scénario, le volume des activités liées aux actifs virtuels sans l’intervention d’une entité réglementée augmenterait considérablement.[15]

Il est donc essentiel d’adapter et de renforcer les réglementations dans le domaine des actifs virtuels et des applications de finance décentralisée. Compte tenu de leur nature globale, une coopération internationale entre autorités réglementaires est primordiale ceci afin d’éviter la possibilité d’arbitrage réglementaire.[16]

Les risques en matière d’actifs virtuels et finance décentralisée sont souvent identiques à ceux rencontrés dans le système financier traditionnel. Les cadres réglementaires existant peuvent ainsi être utilisés et étendus à ces domaines. Lorsque la technologie sous-jacente au domaine des actifs virtuels remplit une fonction économique équivalente à celle du secteur financier traditionnel, cette fonction devrait être réglementée de manière à garantir un résultat identique. Toutefois, dans certains cas, il s’agira de développer de nouvelles législations qui refléteront la nature très spécifique de ces nouvelles technologies et qui tiendront également compte de leur caractère transfrontalier.[17]

L’enjeu des stabelcoins

En outre, une attention toute particulière doit être protée aux stablecoins (cryptomonnaies indexées à d’autres actifs) qui sont un des éléments constitutifs de la finance décentralisée.

Les stablecoins sont un élément clé de la finance décentralisée et ont contribué à sa croissance exponentielle en facilitant le transfert d’actifs entre et au sein de plateformes et protocoles centralisées et décentralisées. Les stablecoins facilitent le transfert instantané d’actifs virtuels à travers le monde, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 et permettent aux investisseurs du monde entier d’accéder à des services de finance décentralisée.[18]

Compte tenu de leur stabilité relative perçue ou supposée, les stablecoins ont un plus grand potentiel pour devenir un mode de paiement largement utilisé par rapport aux cryptomonnaies non sécurisées. Les stablecoins pourraient ainsi jouer un rôle de plus en plus important dans les services de paiements. Actuellement, les stablecoins ne sont pas utilisés pour effectuer des paiements conventionnels. A mesure que les marchés des actifs virtuels se développent, la possibilité de lancer et de faire évoluer rapidement un stablecoin, qui aurait le potentiel de devenir un système de paiement ayant une importance systémique, s’amplifiera.[19]

Des réflexions sont en cours auprès d’autorités réglementaires à un niveau international afin de d’étudier un modèle optimal pour les stablecoins ayant une importance systémique.[20]

Selon le GAFI, il est important que les risques en matière de blanchiment d’argent et financement du terrorisme liés aux stablecoins, en particulier ceux qui ont le potentiel d’être adoptés de manière massive et qui peuvent être utilisés pour des transactions pair-à-pair, soient analysés de manière continue et prospective.[21]

Le développement de la finance décentralisée et l’enjeu d’une réglementation adéquate

Bien qu’elle ait connu une croissance rapide, la finance décentralisée est encore en plein développement. Actuellement les activités sont principalement axées sur la spéculation, l’investissement et l’arbitrage d’actifs virtuels avec peu de possibilités d’utilisation dans l’économie réelle.

Les activités de finance décentralisée sont pour l’heure relativement exposée à des activités illégales, manipulations de marché et des craintes de mise en péril de la stabilité financière.

Une réglementation appropriée des acteurs de la finance décentralisée agirait en tant que garde-fou, renforcerait la confiance et permettrait d’assurer le réel potentiel d’innovation, ainsi que leur contribution positive au système financier. [22]

Et de terminer avec cette citation de Monsieur Gary Gensler qui met en lumière la nécessité d’action en matière réglementaire : « Right now, we just don’t have enough investor protection in crypto. Frankly, at this time, it’s more like the Wild West. This asset class is rife with fraud, scams, and abuse in certain applications« .[23]


[1] Nakamoto, Satoshi, (sd). « Bitcoin : A Peer-to-Peer Electronic Cash System ». [En ligne]. (sd). [Consulté 3 avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://bitcoin.org/bitcoin.pdf

[2] De Filippi, P. & Loveluck, B, 2016. « The invisible politics of Bitcoin : governance crisis of a decentralised infrastructure ». Internet Policy Review, Journal on internet regulation, volume 5 issue 3. [En ligne]. 30 sept 2016. [Consulté 3 avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://doi.org/10.14763/2016.3.427

[3] Schweitzer, Pierre, 2020. « Bitcoin : la revanche inattendue des libertariens ». [En ligne]. Presses Universitaires d’Aix-Marseille. 7 mai 2020. [Consulté 28 mars 2022]. HAL Id : hal-02120767v3. Disponible à l’adresse : https://hal-amu.archives-ouvertes.fr/hal-02120767v3/document

[4] The Economist live event, 2022. « Is crypto for real ?». [Webinar]. www.economist.com [En ligne]. Suivi le 24 février 2022. Rediffusion disponible à l’adresse : https://www.economist.com/films/2022/03/01/is-crypto-for-real

[5] Cryptoast [en ligne], 2022. « Qu’est-ce que l’Ethereum (ETH) et comment fonctionne cette cypto ? ». [Consulté 28 mars 2022]. Disponible à l’adresse: https://cryptoast.fr/fiche-ethereum/

[6] Fulwood, Alice, 2021. « Decentralised finance is booming, but it has yet to find its purpose ». The Economist [en ligne]. 8 novembre 2021. [Consulté 27 février 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.economist.com/the-world-ahead/2021/11/08/decentralised-finance-is-booming-but-it-has-yet-to-find-its-purpose

[7] Le terme « décentralisé » fait référence à divers aspects d’un produit ou service tels que titularité, gouvernance, doit de vote etc. Ces divers aspects peuvent avoir un degré plus ou moins élevé de décentralisation. Une décentralisation pure n’est toutefois que difficilement atteignable. Un certain degré de centralisation subsistera. L’importance est de bien comprendre toutes les caractéristiques et fonctionnalités d’un service ou produits et d’identifier l’implication ou non d’acteurs ou participants centraux. Pour un approfondissement de ce sujet et ses enjeux voir Aramonte S., Wenqian H., Schrimpf A., 2021. « DeFi and the decentralisation illusion ». BIS Quarterly Review. [En ligne]. Décembre 2021. [Consulté 28 mars 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.bis.org/publ/qtrpdf/r_qt2112b.htm

[8] Bank of England, Financial Policy Committee, 2022. « Financial Stability in Focus : Cryptoassets and decentralised finance ». [En ligne]. 2 mars 2022. [Consulté 28 mars 2022]. Disponible à l’adresse: https://www.bankofengland.co.uk/financial-stability-in-focus/2022/march-2022

[9] Idem nbp 8

[10] Les calculs proviennent de CoinMarketCap, Financial Stability Board et Bank of England. Paru avec la légende : « Cryptoassets and associated markets are small but growing rapidly – they provide similar services to the traditional financial sector ». Source : Bank of England, Financial Policy Committee, 2022. « Financial Stability in Focus : Cryptoassets and decentralised finance ». [En ligne]. 2 mars 2022. [Consulté 28 mars 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.bankofengland.co.uk/financial-stability-in-focus/2022/march-2022

[11] Idem nbp 8

[12] Trentin Alexander, Rohner Peter, 2021. « Was der Ukrainerkrieg für Krypto bedeutet ». Finanz und Wirtschaft. 5 mars 2021

[13] Trentin Alexander, Rohner Peter, 2021. « Was der Ukrainerkrieg für Krypto bedeutet ». Finanz und Wirtschaft. 5 mars 2021

[14] FATF, 2021. « Updated Guidance for a Risk-Based Approach to Virtual Assets and Virtual Asset Service Providers ». [En ligne]. Octobre 2021. [Consulté 28 mars 2022]. Disponible à l’adresse : www.fatf-gafi.org/publications/fatfrecommendations/documents/Updated-Guidance-RBA-VA-VASP.html

[15] Coelho Rodrigo, Fishman Jonathan, Garica Ocampo Denise, 2021. « Supervising cryptoassets for anti-money laundering Bank for international settlements ». FSI Insights on policy implementation No 31. [En ligne]. Avril 2021. [Consulté 24 mars 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.bis.org/fsi/publ/insights31.pdf

[16] Idem nbp 8

[17] Idem nbp 8

[18] International Organization of Security Commissions OICV-IOSCO, 2022. « IOSCO Decentralized Finance Report ». [En ligne]. Mars 2022. [Consulté 28 mars 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.iosco.org/library/pubdocs/pdf/IOSCOPD699.pdf

[19] Le projet Libra est un bon exemple des enjeux et les craintes qui peuvent susciter le lancement d’un stablecoin : « Alors que le discours de Zuckerberg a soulevé des doutes sur son projet de monnaie virtuelle mondiale, Libra vient certifier la viabilité à long terme des actifs digitaux et de la technologie blockchain. Le défi ? Concilier les systèmes de paiement virtuel du futur avec les régulations gouvernementales, tout en préservant la souveraineté nationale et en assurant la confidentialité des données des utilisateurs. [] La monnaie de Facebook sera rattachée à des monnaies fiduciaires, probablement le dollar US, l’euro et le yen. En conséquence, si un nombre significatif de citoyens choisit de passer à Libra, la capacité des gouvernements à contrôler la masse monétaire et les capitaux sera affaiblie. » Fekih, Sabrina, 2019. « Libra : une menace pour la souveraineté monétaire et la confidentialité ? ». LesEchos [En ligne]. 26 août 2019. [Consulté 3 avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/libra-une-menace-pour-la-souverainete-monetaire-et-la-confidentialite-1126555

[20] Idem nbp 8

[21] Idem nbp 13

[22] Aramonte S., Wenqian H., Schrimpf A., 2021. « DeFi and the decentralisation illusion ». BIS Quarterly Review. [En ligne]. Décembre 2021. [Consulté 28 mars 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.bis.org/publ/qtrpdf/r_qt2112b.htm

[23] « Right now, we just don’t have enough investor protection in crypto. Frankly, at this time, it’s more like the Wild West. This asset class is rife with fraud, scams, and abuse in certain applications. Right now, large parts of the field of crypto are sitting astride of — not operating within — regulatory frameworks that protect investors and consumers, guard against illicit activity, ensure for financial stability, and yes, protect national security. » Déclaration de Monsieur Gary Gensler dans ses remarques introductives au Aspen Security Forum 3 août 2021. Monsieur Gensler est directeur de la SEC – U.S. Securities and Exchange Commission.