Marketing multiniveaux et vente pyramidale : zone grise

mardi 08 Août 2023

Par Mathilde Chatton, étudiante du MAS LCE

Mots clés : Marketing multiniveaux ; vente pyramidale ; système de la boule de neige ; pyramide de Ponzi

Introduction

A ce jour, il n’est pas rare d’être interpelé(e) par des publications sur les réseaux sociaux notamment TikTok et Instagram. Les photos et vidéos attirent notre attention en indiquant des titres de type : « Avant, je gagnais un SMIC par mois. Depuis que je travaille sur les réseaux sociaux, je peux gagner jusqu’à 10’000 € par mois tout en restant à la maison à m’occuper de mes enfants » ou « Comment j’ai perdu 20 kilos grâce à CE produit », etc. Par ailleurs, le fonctionnement et les produits effectivement vendus ne sont pas précisés. Les « vendeurs » proposent aux visiteurs de les contacter directement par message privé.

En Suisse, des structures similaires ont vu le jour ces dernières années, notamment depuis le début de la crise du COVID-19 et l’essor des réseaux sociaux. Nous relevons par exemple les courtes vidéos virales de l’influenceur vaudois JP Fanguin faisant miroiter la richesse si la personne le contacte. Ce dernier n’énonce toutefois pas clairement de quelle façon l’argent arrivera ni comment la structure est construite.[1] Ce phénomène est également visible en Suisse orientale et des célébrités locales font la promotion de cette nouvelle façon de gagner de l’argent simplement.[2]

Il est également à relever que les cibles visées sont principalement des personnes à bas revenus ou cherchant à compléter leurs rémunérations comme des étudiants, de jeunes mères au foyer ou encore des travailleurs saisonniers. Les produits concernés peuvent être des pilules minceur, des substituts de repas, des gadgets de cuisine, des formations de trading, des voyages, etc.

La promesse est simple : n’importe qui peut générer des revenus rapidement et facilement depuis son smartphone. Définir où se situe la limite légale entre le marketing multiniveaux et le système pyramidal se révèle plus compliqué.

Définitions

Il convient de différencier la vente directe du marketing multiniveaux ou marketing de réseaux et la vente pyramidale.

La vente directe implique que le vendeur vende des biens et services à des clients par le biais de démonstrations, représentations à domicile ou encore en ligne. Elle se distingue donc du commerce de détail par l’environnement dans lequel les produits sont vendus (hors d’un magasin) et par le cercle des clients visés. Souvent, il s’agit de petits groupes de personnes (famille, collègues de travail, amis, etc.).[3] La vente directe n’implique pas forcément le recrutement de nouveaux vendeurs.

Le marketing multiniveaux (ci-après MLM) correspond à une structure de vente de produits ou services dans laquelle les vendeurs, également appelés ambassadeurs, perçoivent des commissions sur la vente desdits produits ou services et sur celles des personnes qu’ils doivent recruter et parrainer[4]. Ce type de commerce est davantage basé sur le relationnel et la recherche de nouveaux membres à former et soutenir pour obtenir une commission sur leurs ventes.[5] Ceux-ci doivent parfois acquérir un kit de démarrage afin d’entamer la commercialisation.

La vente dite pyramidale[6] ou à la boule de neige repose principalement sur une structure dans laquelle une ou plusieurs personnes se situent au sommet et sont rémunérées par les nouveaux membres qui sont recrutés et qui doivent payer une somme importante pour entrer dans le réseau.  Elle est quant à elle illégale dans de nombreux pays car elle est considérée comme une escroquerie et comme une variante de la Pyramide de Ponzi rendue célèbre par Bernard Madoff. Ses caractéristiques sont notamment le recrutement de nouveaux membres, un enrichissement garanti et une obligation de paiement pour entrer dans la structure. Parfois, il n’existe même pas de produits commercialisés ou ces derniers occupent une place accessoire dans la construction.

La différence entre les deux systèmes peut souvent être fine et opaque. En effet, les entreprises de ventes multiniveaux se défendent en invoquant le fait qu’elles ont pour principal but de vendre un produit ou un service. Toutefois, l’origine de la rémunération des vendeurs peut être floue, à savoir s’il s’agit principalement des ventes du produit ou de commissions pour le recrutement de nouveaux membres.[7]

Exemple d’illustration : M. X se fait approcher par M. Y sur Instagram, qui publie de nombreuses photos de ses entrainements sportifs. Ce dernier propose à M. X de devenir aussi musclé que lui grâce à un complément alimentaire miracle et, en sus, de gagner de l’argent facilement. Pour pouvoir en bénéficier, M. X doit acheter à M. Y le kit de départ pour un montant de CHF 1’000.00. Afin de rentabiliser sa mise de départ, il sollicite ses 2 meilleurs amis M. A et M. B et leur énonce le même discours que M. Y. Le schéma en pyramide peut ainsi se poursuivre.

Historique

Le marketing de réseaux est né aux Etats-Unis par la création de la société California Perfume Company en 1886 par David H. McConnell.  Pour vendre ses produits, des parfums au début, il sollicitait des femmes au foyer qui étaient rémunérées sur les ventes réalisées. Il s’agit du premier MLM connu de l’histoire. Cette société deviendra plus tard Avon Products Inc, aujourd’hui cotée à la bourse de New York, réalisant plus de 10 milliards de dollars de chiffre d’affaires.[8]

Par la suite, plusieurs entreprises ont repris ce système pour se développer. Par exemple, la société américaine Tupperware, également très populaire en Europe, est basée sur un système de vente pyramidale. Néanmoins, ce terme qualifie le fait que les vendeurs sont formés par des personnes qui les ont recrutées. Les vendeurs sont rétribués uniquement par des commissions sur les ventes mais pas pour le recrutement de nouveau vendeurs. De plus, les produits proposés ont, dans ce modèle d’affaires, une place prépondérante.[9]

Par ailleurs, la société américaine Herbalife, active dans le commerce de produits nutritionnels et compléments alimentaires, a été condamnée à maintes reprises et dans plusieurs pays pour des chefs de ventes pyramidales. En effet, il a été prouvé que la majorité de son chiffre d’affaires correspond aux fonds obtenus lors du recrutement de nouveaux vendeurs. La part de chiffre d’affaires correspondant aux ventes des produits était moindre. Il a également été reproché à la compagnie de garantir des rémunérations à des vendeurs sans pour autant leur verser le moindre centime.[10]

A ce jour, il est difficile de trouver des chiffres probants et sur le nombre de personnes impliquées et sur  les revenus que le marketing multiniveau génère en Suisse et même en Europe. Aux Etats-Unis en 2021, l’industrie du MLM, qui est la plus importante du monde, a enregistré des ventes pour la somme record de 42.7 milliards de dollars. Elle compte 7.3 millions de vendeurs et 44.6 millions de consommateurs.[11] Les réseaux MLM qui génèrent le plus de revenus sont des entreprises actives dans le domaine du bien-être et de la santé. Herbalife est deuxième du classement avec un revenu de 5.8 milliards de dollars en 2021.

Le cadre légal

En Europe, la Cour de justice européenne a établi trois conditions cumulatives[12] pour qualifier une structure pyramidale. La première condition est que les personnes recrutées reçoivent une promesse de profit. La seconde est que ce profit dépende du recrutement de nouveaux collaborateurs. La troisième est que le profit ne soit pas forcément financé par une activité opérationnelle réelle (existence réelle d’un produit ou d’un service).

En Suisse, l’article 3 alinéa 1 lettre r de la Loi fédérale contre la concurrence déloyale (LCD)[13] « Méthodes déloyales de publicité et de vente et autres comportements illicites » dispose : Agit de façon déloyale celui qui, notamment: subordonne la livraison de marchandises, la distribution de primes ou l’octroi d’autres prestations à des conditions dont l’avantage pour l’acquéreur dépend principalement du recrutement d’autres personnes plutôt que de la vente ou de l’utilisation de marchandises ou de prestations (système de la boule de neige, de l’avalanche ou de la pyramide);

Le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) met en garde les Suisses contre la vente à paliers multiples, notamment contre le risque de pertes financières pour les vendeurs recrutés. En effet, il arrive souvent que ces vendeurs ne parviennent pas à écouler leur marchandise, déjà payée par leurs soins, à cause d’un marché saturé.[14]

Une décision de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral du 19 janvier 2021 (BStGer BG.2020.44) concernant un conflit de for juridique mentionne que le SECO a déposé des plaintes avec demande de condamnation pour une infraction à l’art. 3 al. 1 let. b et r de la LCD. Selon le SECO, une certaine société américaine se trouvait être une structure pyramidale active dans le domaine de la formation en trading de cryptomonnaies dans plusieurs pays et notamment en Suisse. Populaire auprès des jeunes, cette société se qualifiait toutefois elle-même de MLM. L’adhésion à cette société ne pouvait être effectuée que par l’intermédiaire de membres existants et moyennant des frais d’adhésion. Si le nouveau recruté enrôlait à son tour de nouveaux membres, il n’avait pas à payer les frais mensuels d’adhésion. Les revenus des membres se basaient sur le recrutement de nouveaux vendeurs. Les plaintes visaient des personnes impliquées dans cette société. Celles-ci avaient notamment organisé un évènement afin d’attirer des participants. Ces derniers devaient payer un droit d’entrée de CHF 10.00 afin de prendre part à cette « révolution financière ».

La FINMA a été interrogée et a indiqué que les activités commerciales de la société ne nécessitaient aucune autorisation ni surveillance prudentielle de sa part. Finalement, le Ministère public cantonal compétent a émis une ordonnance pénale à l’encontre de l’une des personnes impliquées pour une infraction à l’art. 23 LCD en relation avec l’art. 3 al. 1 let. b et r. LCD.[15]

L’arrêt de la cour suprême du canton de Zurich UE150133[16] précise l’art. 3 al. 1 let. r LCD en indiquant qu’un système est déloyal si les recruteurs incitent les nouveaux participants à acquérir trop de produits à vendre sans parvenir à réaliser des profits (système de boule de neige). Le système est également déloyal lorsque les avantages patrimoniaux découlent principalement du recrutement de nouveaux membres. Dans ce cas, le produit commercialisé se trouve au second plan.

Conclusion et avis critique

Le marketing multiniveaux est un système de vente utilisé dans le monde entier depuis de nombreuses années. Néanmoins, la proximité toujours plus intense entre les personnes découlant de l’avènement des réseaux sociaux permet aujourd’hui à tout un chacun de se lancer dans le MLM. Pour des personnes non sensibilisées à la problématique des systèmes pyramidaux, il existe de nombreux risques à se retrouver au cœur d’une arnaque.

Pour les personnes concernées, il convient de déterminer si le produit ou le service vendu est au cœur du modèle d’affaires, en s’assurant de sa qualité notamment. Par ailleurs, il faut se méfier lorsque le recruteur ou la société se permet de garantir un profit et s’il demande de payer une somme importante pour entrer ou pour acquérir les produits de démarrage.

Les entreprises et les vendeurs indépendants peuvent notamment être accusés de concurrence déloyale au sens de la LCD. Les personnes arnaquées peuvent quant à elle subir des pertes patrimoniales importantes si elles n’écoulent pas leur marchandise ou si le système s’effondre.

En tant qu’étudiante en Master en lutte contre la criminalité économique, je ne recommanderais pas le marketing multiniveau comme modèle d’affaires à des personnes souhaitant se lancer dans l’entreprenariat ou voulant compléter leurs revenus. En effet, ce type de structure manque souvent de transparence quant aux produits vendus en termes de qualité et de provenance. Ensuite, je pense que malgré l’essor des réseaux sociaux, il est difficile de vendre de tels produits et de recruter suffisamment de personnes pour rentabiliser ses investissements de départ.

En conclusion, le marketing multiniveau ne doit en aucun cas être considéré comme un moyen miracle de gagner de l’argent facilement. Les personnes réalisant réellement des profits sont rares, soit les personnes placées en hauteur dans la structure.


[1] PAULINE RUMPF. De Melius à JP Fanguin, les schémas pyramidaux en plein essor. 20 Minutes [en ligne]. Le 18 juin 2020. [Consulté le 5 mai 2023]. Disponible à l’adresse : https://www.20min.ch/fr/story/de-melius-a-jp-fanguin-les-schemas-pyramidaux-en-plein-essor-775812680987

[2] MICHAEL SAHLI. Stefan Angehrn lebt von umstrittener Multilevel-Marketing-Firma – gegenüber Blick räumt er nun ein «90 Prozent der Teilnehmer verdienen nichts». Blick [en ligne]. Le 2 octobre 2022. [Consulté le 1er avril 2023]. Disponible à l’adresse : https://www.blick.ch/schweiz/stefan-angehrn-lebt-von-umstrittener-multilevel-marketing-firma-gegenueber-blick-raeumt-er-nun-ein-90-prozent-der-teilnehmer-verdienen-nichts-id17925694.html

[3] FÉDÉRATION DE LA VENTE DIRECTE. La vente directe. FVD [en ligne]. [Consulté le 2 avril 2023]. Disponible à l’adresse : https://www.fvd.fr/la-vente-directe/

[4] BERTRAND BATHELOT. Marketing multi-niveaux. Définitions Marketing [en ligne]. [Consulté le 3 avril 2023]. Disponible à l’adresse : https://www.definitions-marketing.com/definition/marketing-multi-niveaux/

[5] ALINE GÉRARD. Distinguer vente multiniveau et système pyramidal. Rebondir [en ligne]. Le 7 mars 2022. [Consulté le 1er avril 2023]. Disponible sur le site PressReader.

[6] INSTITUT POUR L’ÉDUCATION FINANCIÈRE DU PUBLIC. Système de vente pyramidale. La finance pour tous [en ligne]. Le 22 janvier 2022. [Consulté le 5 mai 2023]. Disponible à l’adresse : https://www.lafinancepourtous.com/decryptages/marches-financiers/fonctionnement-du-marche/systeme-de-vente-pyramidale/

[7] CÉLINE DELBECQUE ET ALEXANDRA SAVIANA. Les arnaques du marketing multiniveau. L’Express (France) [en ligne]. Le 8 décembre 2022. [Consulté le 2 avril 2023]. Disponible sur le site PressReader.

[8] GILLES SIMON. Marketing de réseau : les origines. Gilles Simon [en ligne]. Le 8 juin 2015. [Consulté le 4 avril 2023]. Disponible à l’adresse : https://www.gilles-simon.com/marketing-de-reseau-les-origines/

[9] KATE WATSON-SMYTH. Secret History Of: Tupperware. Independent [en ligne]. Le 8 octobre 2010. [Consulté le 3 avril 2023]. Disponible à l’adresse : https://www.independent.co.uk/property/interiors/secret-history-of-tupperware-2100910.html

[10] LE JOURNAL DE QUEBEC. Herbalife doit payer 200 millions $. Le Jours de Québec [en ligne]. Le 16 juillet 2016. [Consulté le 4 avril 2023]. Disponible sur le site PressReader.

[11] AMEEN AHSAN. MLM companies in USA for 2023: An elementary analysis. Epixel Solutions [en ligne]. [Consulté le 5 mai 2023]. Disponible à l’adresse : https://www.epixelmlmsoftware.com/blog/top-mlm-companies-in-usa

[12] STÉPHANIE ZEIDENBERG. Précisions sur la notion de promotion pyramidale. Journal d’actualité des droits européens [en ligne]. Le 3 juin 2014. [Consulté le 5 avril 2023]. Disponible à l’adresse : https://revue-jade.eu/article/view/573

[13] Loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la concurrence déloyale (LCD ; RS 241)

[14] PORTAIL PME. Vente à paliers multiples : les risques. Confédération suisse [en ligne]. [Consulté le 5 avril 2023]. Disponible à l’adresse : https://www.kmu.admin.ch/kmu/fr/home/savoir-pratique/creation-pme/creation-entreprise/premiers-pas/idee-commerciale/vente-paliers-multiples.html

[15] Tribunal pénal fédéral, BStGer BG.2020.44 du 19 janvier 2021. [Consulté le 4 avril 2023]. Disponible en ligne dans la base de données du Tribunal pénal fédéral.

[16] Obergericht des Kantons Zürich, UE150133 du 11 novembre 2015. [Consulté le 4 avril 2023]. Disponible en ligne dans la base de données des tribunaux zurichois (Gerichte Zürich).

Petites annonces sur Internet, trop beau pour être vrai ?

mardi 04 Juil 2023

Par Sophie Grandjean, étudiante du MAS LCE

Mots clés : petites annonces ; classified ads ; arnaque ; scam ; fraud

Introduction

Assise sur mon canapé, confortablement installée, je me décide à publier une annonce pour vendre ma voiture. Soucieuse de l’écologie, je préfère m’en séparer. Publier une annonce sur Internet, c’est facile, gratuit, rapide. Alors pourquoi passer par un garagiste qui prendra une commission ?

Cette facilité d’utilisation, attirante pour les utilisateurs honnêtes des sites de petites annonces, l’est tout autant pour des personnes malintentionnées. Cachées derrière un pseudonyme, se trouvant dans un lieu inconnu, ces dernières vont utiliser divers stratagèmes pour mettre en confiance leurs victimes et les persuader de remettre de l’argent ou un bien. Elles peuvent se montrer très patientes[1], [2], [3], [4].

Les arnaques dans le domaine des petites annonces font partie des cyber-délits les plus fréquemment signalés à la police[5]. Le présent article a pour but de déterminer le profil des victimes et d’exposer les différents stratagèmes dont se servent les fraudeurs. Il a également pour vocation de sensibiliser les utilisateurs des plateformes de vente en ligne aux comportements à adopter et d’indiquer quoi faire lorsqu’on est victime.

Qui se fait avoir et pourquoi ?

Si les sites de petites annonces prennent bien des mesures pour détecter les fraudes, comme le fait de devoir fournir un numéro de téléphone pour ouvrir un compte, et s’ils suppriment les faux comptes et les fausses annonces, ils sont souvent tributaires des dénonciations des utilisateurs. Ces derniers, souvent peu conscients des techniques utilisées par les fraudeurs, ont du mal à reconnaître les arnaques, et donc à les dénoncer[6], [7].

Les fraudeurs exploitent chez leurs victimes potentielles les difficultés financières, la cupidité, le désir d’acquérir un bien à un bon prix, la peur de passer à côté d’une bonne affaire. Ils jouent sur la naïveté et l’ignorance pour les mettre en confiance et les induire en erreur. La personne âgée se trouvant dans une situation financière précaire, désirant vendre rapidement un bien et manquant de vigilance est un bon exemple de victime toute désignée. Une fois la relation de confiance établie, les fraudeurs vont parfois utiliser la stratégie du « doigt dans l’engrenage » (foot-in-the-door technique – consistant à demander d’abord de petites sommes d’argent, puis à demander des sommes plus importantes), en prétextant par exemple des frais de transport ou de douane, poussant les victimes à verser plusieurs sommes d’argent[8], [9].

Le but est financier : soutirer de l’argent directement, se servir des coordonnées bancaires pour procéder à des achats ou utiliser les données personnelles pour ouvrir des faux comptes sur les sites de petites annonces et commettre d’autres fraudes[10], [11].

A quoi faut-il veiller ?

En cas de vente d’un bien

Pour ma part, j’ai choisi le site autoscout24.ch. Il s’agit d’une référence en matière d’achat/vente de véhicules. Peu de temps après la publication de mon annonce, je reçois un courriel d’une personne intéressée :

« La Voiture me convient parfaitement et donc je suis prêt à l’acheter mais compte tenu de ma situation (Français à l’étranger pour des raisons professionnelles) je vous propose comme mode de paiement un virement bancaire. Pour le retrait de la voiture ne vous faites aucun souci, une fois que vous aurez encaissé le prix sur votre compte bancaire, mon transitaire se rendra à votre adresse pour la récupérer avec tous les papiers. »

Ce message semble prometteur. Pourtant, y donner suite serait une mauvaise idée.

Quand on souhaite vendre un bien, il arrive – comme dans mon cas – que le vendeur reçoive rapidement une réponse d’un intéressé. Si ce dernier a envoyé un message via une application de messagerie pour téléphone portable ou un courriel, au lieu de se servir du service de messagerie de la plateforme de petites annonces, il faut déjà commencer à se méfier. Les arnaqueurs invitent souvent leurs victimes à communiquer hors du site de petites annonces pour échapper à une éventuelle surveillance dudit site Internet[12], [13], [14].

Lorsque le prétendu acheteur dit ne pas pouvoir se déplacer et vouloir passer par un transporteur, il souhaite en réalité inviter le vendeur sur un site Internet frauduleux ou sur le site Internet d’une entreprise de transport réelle mais ayant été piraté, pour que celui-ci fournisse ses données personnelles (adresse postale, adresse e-mail, numéro de téléphone, numéro de carte bancaire, notamment). Ainsi, il pourra subtiliser lesdites données pour commettre d’autres fraudes, par exemple. Il arrive qu’il prie le vendeur d’avancer les frais de livraison (voir à ce sujet la vidéo de prévention de la Prévention suisse de la criminalité : https://www.youtube.com/watch?v=C5IEJSJHhHg). Cependant, comme précité, derrière le site Internet de la prétendue entreprise de livraison se cache le fraudeur. Par conséquent, lorsque le vendeur paie pour des frais de livraison, le fraudeur encaisse la somme. Et, bien entendu, il ne remboursera jamais celle-ci. Dès lors, il vaut mieux couper court à l’échange avec le prétendu acheteur lorsque de telles demandes sont formulées[15], [16], [17], [18].

Il arrive que le faux acheteur prétende avoir versé le montant dû et qu’il présente une (fausse) preuve de paiement, incitant ainsi le vendeur à expédier la marchandise. Avec les outils informatiques actuels, il est aisé de créer des faux documents. Plus malicieux encore, il déclare avoir commis une erreur et avoir versé trop d’argent. Il demande alors au vendeur de lui rembourser la différence. Le premier versement n’a en réalité jamais été effectué et le vendeur est doublement lésé : il n’a plus son bien et il a perdu de l’argent. Il faut dès lors ne pas faire confiance à des preuves de paiements fournies par l’acheteur, mais vérifier soi-même si l’argent a bien été versé, même si cela peut prendre quelques jours. Le fraudeur pourra tenter de mettre la pression sur le vendeur pour le pousser à expédier la marchandise, mais mieux vaut prendre des précautions plutôt que de se dessaisir d’un bien sans être sûr d’avoir été payé[19], [20], [21].

Le vendeur doit également éviter d’indiquer dans l’annonce ou dans la communication avec le (prétendu) acheteur, l’adresse où se trouve le bien. Le risque de cambriolage ne doit en effet pas être négligé[22]

En cas d’achat d’un bien

Celui qui souhaite acquérir un bien doit aussi faire preuve de prudence. Il peut arriver que la marchandise prétendument à vendre n’existe pas et que le faux vendeur se serve de photographies prises sur des sites de vente. En cas de doute, il vaut mieux demander de nouvelles images. Si le vendeur se trouve dans l’impossibilité de les fournir, il faut renoncer à l’achat [23], [24]

Il faut se méfier des personnes demandant un versement via un service de transfert d’argent (Western Union ou Paypal, par exemple), ou qui demandent à être payées par cartes ITunes, Google Play ou Paysafecard. Si le vendeur se trouve en Suisse comme il le prétend, pourquoi utiliser un service permettant de transférer des fonds à l’étranger ? En outre, l’acheteur pourrait recevoir un courriel avec un lien le dirigeant prétendument vers le site de Paypal, puis se faire soutirer ses données personnelles. Il vaut mieux préférer un virement bancaire. Si l’argent doit être versé sur un compte bancaire dont le détenteur n’est pas le vendeur, il faut demander des explications, voire renoncer à l’achat[25], [26], [27]

A quoi faut-il veiller dans tous les cas ?

Si l’offre semble trop belle pour être vraie, si le prix demandé pour le produit est étonnamment bas, ou si le faux acheteur propose une somme supérieure au prix figurant dans l’annonce, il est préférable de ne pas conclure l’affaire. Dans le premier cas, demander une preuve d’achat peut être une bonne idée, mais ladite preuve peut être falsifiée aisément[28], [29].

Auparavant, certains messages pouvaient être détectés facilement comme étant frauduleux, par leurs fautes d’orthographe ou leur mise en page étrange. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle permet aux personnes malintentionnées de rédiger des textes parfaits. Dès lors, il vaut mieux se référer aux exemples précités pour détecter une fraude et ne pas se fier à la qualité du texte[30].

Chercher des informations sur l’acheteur ou le vendeur sur Internet paraît une bonne idée, mails il faut savoir que ces personnes malintentionnées créent de faux profils sur les réseaux sociaux, avec photographies, listes d’amis, etc. De telle sorte, elles paraissent bien réelles[31].

Selon la police vaudoise (citée par LE BEC[32], les arnaques ont désormais lieu plutôt sur le « Marketplace » de Facebook que sur le site de petites annonces Anibis. Les mécanismes de contrôle de cette plateforme et, à l’inverse, le manque de contrôle sur le réseau social, ont en effet rendu « Marketplace » plus attractif.

Dans tous les cas, il faut communiquer seulement les données personnelles nécessaires et ne jamais fournir une copie de sa pièce d’identité. En cas de doute, il vaut mieux contacter l’administrateur du site Internet et/ou signaler l’annonce au Centre national pour la cybersécurité (https://www.report.ncsc.admin.ch/fr/)[33], [34], [35]

Que faire si je suis victime d’une arnaque ?

En cas de perte financière, il faut porter plainte auprès des autorités cantonales de poursuite pénale et informer les administrateurs du site Internet. Ces derniers pourront bloquer ou supprimer les faux profils et supprimer les fausses offres. Si une copie de la pièce d’identité a été fournie, il est recommandé de signaler l’incident au service des documents d’identité de sa commune[36].

En outre, il est conseillé de changer le mot de passe utilisé sur le site de petites annonces et d’informer sa banque[37].

Bonne nouvelle (tout de même)

Selon une idée largement répandue, le fait de fournir son nom, son adresse, son numéro de téléphone, une copie de la pièce d’identité et son numéro IBAN augmente le risque de voir son compte e-banking piraté. D’après le Centre national pour la cybersécurité (NCSC), cette idée est fausse[38].

Conclusion

Selon ROSSY & BORISOVA[39], « la rencontre, virtualisée, évite les contacts physiques, sources potentielles de risques, rend les déplacements inutiles, ce qui limite les efforts, s’abstrait de limites spatiales devenues redimensionnables, car virtuelles, et étend ainsi le nombre d’opportunités et les gains potentiels ». Mais cette facilité ne devrait pas endormir notre vigilance. En cas de doute, il vaut mieux renoncer à la vente ou à l’achat.

Il est surprenant que les sites de petites annonces ne fassent pas davantage de prévention auprès de leurs utilisateurs. Un message d’information lors de la publication d’une annonce, ou un avertissement sur la page d’accueil du site Internet serait sans doute judicieux. Mais peut-être qu’avec ce type de messages, ces sites seraient moins attractifs, et donc moins rentables. De quoi se demander si le manque de prévention n’est pas délibéré.

Dans ma situation, tout s’est bien terminé. J’ai été contactée par une personne sérieuse, se trouvant dans le canton voisin. Elle s’est déplacée pour voir le véhicule et pour l’essayer. Et nous avons pu conclure l’affaire. J’ai préféré le virement bancaire au paiement en mains propres, car comment aurais-je pu être sûre que les billets de banque étaient authentiques ?


[1] AL-ROUSAN, Suhaib, ABUHUSSEIN, Abdullah, ALSUBAEI, Faisal, COLLEN, Lynn, SHIVA, Sajjan, « Ads-guard: Detecting scammers in online classified ads », in 2020 IEEE Symposium Series on Computational Intelligence (SSCI) At: Canberra, Australia, 2020.

[2] ROSSY, Quentin, BORISOVA, Betina, « Escroqueries par Internet », in Fortin Francis (eds.), Cybercrimes et enjeux technologiques. Contexte et perspectives, Presses internationales Polytechnique, chap. 11, 2020, pp. 189-212.

[3] STENGER, Thomas, GARCIA-BARDIDIA, Renaud, BAILLY, Adrien, « The rules of trust between individuals: An ethnography of transactions on Leboncoin.fr », in Recherche et Applications en Marketing, Vol. 37(4), 2022, pp. 50–67.

[4] HOREL, Tangui, « Vente en ligne : comment reconnaître les arnaques ? », RTBF, 03.11.2020, https://www.rtbf.be/article/vente-en-ligne-comment-reconnaitre-les-arnaques-10621574 (consulté le 17.03.2023).

[5] Centre national pour la cybersécurité (NCSC), « Fraude aux petites annonces », 2021, https://www.ncsc.admin.ch/ncsc/fr/home/cyberbedrohungen/kleinanzeigen.html (consulté le 08.04.2023).

[6] Réf. 1.

[7] ALZGHOUL, Jamil R., ABDALLAH, Emad E., AL-KHAWALDEH, Abdel-hafiz S., « Fraud in Online Classified Ads: Strategies, Risks, and Detection Methods: A Survey », in Journal of Applied Security Research, 2022.

[8] BRAUCHER, Jean, ORBACH, Bark, « Scamming: The misunderstood confidence man ». In Yale Journal of Law and the Humanities, Vol. 27:2, 2015, pp. 249-292.

[9] Réf. 2.

[10] Centre national pour la cybersécurité (NCSC), « Mythe d’Internet : les cybercriminels peuvent pirater mon compte e-banking s’ils connaissent mon IBAN et mon adresse et disposent d’une copie de ma carte d’identité », 2023, https://www.ncsc.admin.ch/ncsc/fr/home/aktuell/im-fokus/2023/mythos-iban.html (consulté le 05.04.2023).

[11] Réf. 2.

[12] LOUIS, François, « Market place, Vinted, 2emain… De faux acheteurs veulent vider votre compte bancaire », RTBF, 20.01.2022, https://www.rtbf.be/article/market-place-vinted-2ememain-de-faux-acheteurs-veulent-vider-votre-compte-bancaire-10918788 (consulté le 02.04.2023).

[13] Police cantonale bernoise, « Escroquerie sur les plateformes de petites annonces (escroquerie à la commande) », https://www.cyber.police.be.ch/fr/start/aktuelle-phaenomene/bestellbetrug.html (consulté le 02.04.2023).

[14] Réf. 2.

[15] DHL, « Sensibilisation à la fraude », 2020, https://www.dhl.com/ch-fr/home/bas-de-page/sensibilisation-a-la-fraude.html (consulté le 07.04.2023).

[16] LE BEC, Erwan, « Comment les escrocs du Net essaient de vous avoir », 24heures.ch, 03.02.2023, https://www.24heures.ch/comment-les-escrocs-du-net-essaient-de-vous-avoir-608563392025 (consulté le 02.04.2023).

[17] Réf. 12.

[18] Prévention suisse de la criminalité (SKPPSC), « Escroquerie sur les places de marché en ligne », https://www.skppsc.ch/fr/sujets/internet/escroqueries-sur-les-places-de-marche-en-ligne/ (consulté le 05.04.2023).

[19] AutoScout24, « Conseils de sécurité d’AutoScout24 – Protégez-vous contre la fraude », 2022, https://guide.autoscout24.ch/fr/achat-d-une-voiture/conseils-de-securite/ (consulté le 17.03.2023).

[20] Réf. 18.

[21] Réf. 2.

[22] Police cantonale vaudoise, « Escroqueries aux petites annonces », https://votrepolice.ch/cybercriminalite/petites-annonces/ (consulté le 02.04.2023).

[23] Réf. 2.

[24] Réf. 4.

[25] Réf. 16.

[26] Réf. 13.

[27] Réf. 22.

[28] Réf. 19.

[29] Réf. 18.

[30] WASSMER, Pascal, « Les arnaques en ligne toujours plus crédibles grâce à l’intelligence artificielle », RTS Info, 27.03.2023, https://www.rts.ch/info/sciences-tech/13895482-les-arnaques-en-ligne-toujours-plus-credibles-grace-a-lintelligence-artificielle.html (consulté le 28.05.2023).

[31] Réf. 16.

[32] Réf. 16.

[33] Réf. 19.

[34] Réf. 12.

[35] Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) / Bureau fédéral de la consommation (BFC),« Données personnelles », Guide des achats en ligne, https://www.e-commerce-guide.admin.ch/ecommerce/fr/home/kauf/persdaten.html (consulté le 07.04.2023).

[36] Réf 5.

[37] Réf. 18.

[38] Réf 10.

[39] Réf. 2.

Manipulations de compétitions sportives : une coopération internationale impossible ?

mardi 20 Juin 2023

Par un étudiant du MAS LCE

Mots clés : match-fixing ; coopération internationale ; paris sportifs ; Convention de Macolin

Introduction

Le dernier rapport publié par les Nations Unies en 2021 estimait à quelque 1700 milliards de dollars par année le marché des paris sportifs illégaux[1]. Conscients depuis bien longtemps de l’ampleur du phénomène, les États membres du Conseil de l’Europe ainsi que les autres signataires se sont réunis dès 2014 à Macolin afin de dessiner les contours de la Convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives. Cette Convention[2], entrée en vigueur le 1er septembre 2019, s’inscrit dans une volonté de combattre la manipulation de compétitions sportives en protégeant l’intégrité du sport et l’éthique sportive, dans le respect de l’autonomie du sport. Ce traité offre ainsi une base légale internationale pour prévenir, détecter et sanctionner les manipulations dans le sport, ainsi que fournir un outil législatif en matière de coopération entre les entités impliquées. Le présent travail va dans un premier temps s’intéresser à la définition du phénomène, mais aussi à l’impact induit par ce traité sur les investigations et les divers protagonistes jouant un rôle dans la répression. La question traitée dans cet article sera d’évaluer si ces efforts suffisent à répondre de manière adéquate à la lutte ou si la coopération des acteurs impliqués serait illusoire ? Le dernier cas échéant, de nouvelles approches seront abordées pour tenter de répondre au mieux à cette problématique.

Définition du phénomène

Le Rapport explicatif de la Convention explique bien que le terme « manipulation de compétitions sportives » englobe plusieurs comportements, tels que le dopage ou l’arrangement de matchs. Cependant, le choix s’est porté sur l’utilisation du terme générique de « manipulation de compétitions sportives » pour désigner le dernier comportement cité[3]. Ainsi, l’article 3 chiffre 4 de la Convention propose la définition suivante pour la « manipulation de compétitions sportives » :

              « Désigne un arrangement, un acte ou une omission intentionnels visant à une modification irrégulière du résultat ou du déroulement d’une compétition sportive afin de supprimer tout ou partie du caractère imprévisible de cette compétition, en vue d’obtenir un avantage indu pour soi-même ou autrui »

En parallèle, la littérature différencie les cas de matchs truqués pour des motifs sportifs ou pour l’appât du gain. Dans la première catégorie, les corrupteurs se focalisent sur le résultat final d’une rencontre afin d’obtenir un avantage purement sportif. Dans le second cas, les auteurs visent uniquement à maximiser les gains issus des paris sportifs. Même si elle est attestée depuis longtemps, cette seconde catégorie a connu un essor considérable depuis une vingtaine d’années. Ceci s’explique essentiellement par la modification de l’offre des paris sportifs, qui permet aujourd’hui aux parieurs de faire du live betting, soit miser de l’argent sur des faits de matchs en direct (p. ex. nombre de cartons jaunes), alors qu’auparavant l’offre se limitait au dénouement de la rencontre. Cette innovation a ouvert une brèche pour les groupes criminels, les personnes corrompues ayant moins de scrupule à influencer des aspects anecdotiques du déroulement d’une partie. Cette forme de manipulation est celle qui retient particulièrement l’attention des différents acteurs face aux divers scandales survenus ces dernières années. En septembre 2013 par exemple, Eng Tan Seet à la tête d’une des Triades de Singapour ainsi que treize autres personnes étaient arrêtés. Ils étaient suspectés d’avoir truqué environ 500 matchs de football durant les dix dernières années, avec un chiffre d’affaires estimé à 90 milliards de dollars. L’enquête avait par ailleurs mis en lumière des liens très étroits entre les Triades de Singapour et des groupes d’Europe de l’Est et des Balkans pour mener à bien leur activité illicite[4]. Ce dramatique événement a pu dévoiler le caractère transnational du milieu des matchs truqués et a mis en exergue le besoin d’une collaboration efficace.

Impacts du traité sur les acteurs

Comme expliqué par Serby (2015), trois acteurs majeurs se démarquent du traité de Macolin et sont essentiels dans la lutte contre ce phénomène. Il s’agit des pouvoirs publics, des instances sportives ainsi que des opérateurs[5]. Concernant les pouvoirs publics, la ratification de la Convention implique une modification des bases légales pénales pour incriminer ce comportement déviant. En Suisse, cela s’est traduit par l’adoption de l’art. 25a de la Loi sur l’encouragement du sport[6]. Outre l’aspect répréhensible, les pays signataires ont dû se doter d’une plateforme nationale qui assure l’échange d’informations entre partenaires privés et publics, ainsi que nationaux et internationaux. Cette entité, nommée GESPA pour la Confédération suisse, constitue le point de signalements de tout soupçon de manipulation sportive en Suisse en vertu de l’art. 110 de l’Ordonnance sur les jeux d’argent[7]. Elle est l’entité principale qui coordonne l’échange d’informations au niveau national et international. Afin de compléter son appareil opérationnel, le Conseil de l’Europe a mis en place en 2016 un groupe consultatif de la Convention de Macolin, nommé Groupe de Copenhague. Il permet aux représentants des États signataires de se réunir et d’échanger sur l’aspect opérationnel ainsi que sur la détection de manipulations sportives[8].

S’agissant des opérateurs de paris sportifs, ceux-ci ont très rapidement identifié le risque que généraient les matchs truqués pour leur activité économique. En effet, au-delà du risque à court terme des pertes directes auxquelles ils peuvent faire face lors d’un événement sportif manipulé, l’impact à long terme sur la confiance des consommateurs vis-à-vis des plateformes ne doit pas être négligé. Ainsi, ces entités privées n’ont pas attendu la Convention de Macolin pour mettre en place des méthodes de détection de matchs truqués et initier la collaboration avec les organisations sportives[9]. De plus, afin de minimiser les risques, elles ont développé des systèmes de surveillance qui permettent d’analyser l’évolution des cotes dans le temps.  De cette manière, ces systèmes peuvent générer des alertes lorsqu’une suspicion de manipulation est détectée[10].

Finalement, les organisations sportives ont elles aussi rapidement pris conscience des répercussions que pouvaient avoir les matchs truqués sur leur réputation. Elles se sont alors dotées d’unités consacrées à l’intégrité dans le sport. Historiquement, les organisations sportives ont toujours vu d’un mauvais œil l’idée que les autorités publiques s’immiscent dans leur activité et se sont montrées peu enclines à collaborer. On a régulièrement recouru au caractère unificateur du sport pour justifier une autonomie, comme si une lex sportiva se suffisait à elle-même[11]. Outre les unités dédiées à l’intégrité dans le sport, diverses organisations sportives ont signé des partenariats avec des entreprises privées, telles que Sportradarqui collabore depuis 2005 avec l’UEFA et qui permet de mettre en place des détections de suspicions de matchs truqués basées essentiellement sur la variation des cotes[12].

Une coopération sans faille ?

Le caractère transnational des matchs truqués présenté précédemment démontre clairement la complexité du phénomène ainsi que la nécessité d’une coopération fonctionnelle pour pouvoir répondre au mieux à ces activités illégales. Certaines affaires ont pu mettre en lumière l’importance et la réussite de la coopération entre les entités. C’est le cas par exemple d’une affaire de matchs truqués dans le tennis qui concernait quelque 300 affrontements et qui s’était finalisée par l’arrestation de treize personnes impliquées dans le crime organisé, dont Grigor Sargsyan qui était à la tête d’un réseau international de 181 joueurs. Ce dossier avait pu être constitué grâce à la coopération entre les autorités belges, allemandes, slovaques bulgares, françaises et encore américaines qui avait été maintenue par la plateforme nationale belge[13].

Malgré cet exemple montrant l’intérêt de l’entraide, certains doutes quant à l’efficacité de cette coopération demeurent sur le long terme. Tout d’abord, certains policiers avouent être parfois méfiants à l’idée de collaborer avec les organisations sportives par crainte de tomber dans une spirale de corruption. Ceci impacte grandement la collaboration entre les entités, et donc le partage d’informations. Par conséquent, les interactions entre entités publiques et privées restent parfois limitées[14]. Cette confiance pourrait être améliorée en organisant régulièrement des conférences durant lesquelles toutes les entités représentées auraient l’occasion de se rencontrer et d’échanger.

En outre, bien que les autorités publiques se munissent de plus en plus d’unités ayant des compétences spécifiques dans le domaine du sport, cette thématique demeure loin d’être une priorité pour ces entités[15]. Ce manque de ressource allouée par les organes étatiques dans la répression pourrait être un facteur limitant dans la constitution d’un dossier pénal. Les polices pourraient très rapidement se trouver submergées par les demandes et se verraient dans l’incapacité de répondre aux requêtes des partenaires. Ainsi, les mesures légales et techniques des autorités de poursuite qui offrent une latitude plus large que celles des entités privées, risqueraient de faire défaut à certains dossiers.

Finalement, le dernier facteur ayant une incidence sur la coopération réside dans le but poursuivi par les diverses entités. Comme expliqué précédemment, les organisations sportives et les opérateurs de paris sportifs ont connaissance de la menace que font planer les matchs truqués sur les activités économiques. C’est pour cela que des mesures ont été prises depuis longtemps pour détecter les potentiels matchs truqués. Néanmoins, que se passerait-il dans le cas d’un scandale qui pourrait entacher grandement l’image et/ou l’activité économique de ces entités ? Le risque serait que ces acteurs privés privilégient leur activité et renoncent à pleinement collaborer avec les organes publics pour éviter de trop grandes répercussions.

L’évaluation de cette coopération entre les entités n’est clairement pas une tâche aisée à effectuer. Néanmoins, en 2019, l’UEFA avouait à demi-mot l’échec de la lutte et émettait un appel à l’aide pour trouver des partenaires. De l’aveu du président de l’UEFA, l’organisation a reconnu qu’individuellement et collectivement, des efforts supplémentaires devaient être produits pour remédier à ce problème[16]. En outre, le dernier rapport annuel de Sportradar évoque que leur logiciel de détection a généré 1’212 alertes de suspicion de manipulation en 2022, soit une augmentation de 34 % par rapport à l’année précédente déjà record[17]. Bien que ce nombre soit considérable, il est nécessaire de prendre en considération divers facteurs qui peuvent l’influencer (nombre de matchs monitorés, nombre de faux positifs, affinement des patterns de détection). Néanmoins, il semble clairement refléter une tendance vers la hausse et témoigne du travail conséquent qui reste à faire pour endiguer ce phénomène.

Vers un modèle plus centralisé ?

Face à ces limites concrètes qui pourraient porter atteinte à la collaboration, et par extension au travail de répression, divers auteurs suggèrent de créer un organisme spécifique qui veillerait à la « gouvernance » du sport international. Cette idée n’est pas nouvelle puisque dès le début des années 2000, cette approche avait déjà été envisagée[18]. A l’instar de ce qui a été mis en place contre le dopage avec la création de l’Agence mondiale antidopage en 1999, cette nouvelle entité permettrait d’harmoniser aux niveaux mondial et régional les standards de gouvernance et vérifierait leur application auprès des organisations sportives. Verschuuren (2021) propose ainsi la création d’une « maison de l’intégrité du sport » qui possèderait un champ d’action extrêmement large. Divers rôles lui incomberaient tels que l’administration du système d’alerte, la prévention auprès des sportifs et arbitres et l’harmonisation des critères de gouvernance[19]. Cette autorité semble offrir une opportunité de gommer les limites citées précédemment. En effet, le problème de ressource ne serait plus à l’ordre du jour avec une entité consacrée uniquement à ce domaine. Par ailleurs, tout l’aspect relatif aux conflits d’intérêts des acteurs privés n’aurait plus autant d’importance et permettait de former un cadre de travail serein.

Conclusion

Ce travail a permis d’avoir un aperçu du phénomène de manipulation de compétitions sportives et de l’aspect coopératif entre les protagonistes de sa répression. Des efforts considérables ont été mis en place ces dernières années afin d’améliorer la collaboration entre les entités privées et publiques, notamment grâce à la Convention de Macolin. Néanmoins, divers facteurs intrinsèques à chaque partenaire peuvent faire douter de la viabilité de cette approche de travail. Adopter un nouveau modèle plus centralisé permettrait de répondre aux limites soulevées, mais nécessiterait un travail profond de réorganisation. Quoiqu’il en soit, les éléments montrent qu’il reste beaucoup de travail pour améliorer cette coopération.

Bibliographie

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[1] « Illegal bets add up to 1.7 trillion dollars each year: new UN report | UN News », 09.12.2021, https://news.un.org/en/story/2021/12/1107472, consulté le 07.05.2023.

[2] Convention du 18 septembre 2014 du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives (Convention de Macolin; RS 0.415.4). 

[3] Conseil de l’Europe, « Rapport explicatif de la Convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives », Série des traités du Conseil de l’Europe, Macolin : Conseil de l’Europe, 2014.

[4] « Calcioscommesse, a Singapore 14 arresti », Calcio: ultime news – Gazzetta dello Sport, //www.gazzetta.it/Calcio/Speciali/Calcio_Infetto/18-09-2013/calcioscommesse-singapore-14-arresti-boss-dan-tan-201187400519.shtml, consulté le 08.05.2023.

[5] Serby Tom, « The Council of Europe Convention on Manipulation of Sports Competitions: the best bet for the global fight against match-fixing? », The International Sports Law Journal, vol. 15, no 1, 2015, p. 83‑100.

[6] Diaconu Madalina et Kuhn André, « Match-fixing, the Macolin Convention and Swiss Law: An Overview », 2019 ; Loi fédérale du 17 juin 2011 sur l’encouragement du sport et de l’activité physique (Loi sur l’encouragement du sport; LESp; RS 415.0) .

[7] Autorité intercantonale de surveillance des jeux d’argent « Fr – gespa », https://www.gespa.ch/fr, consulté le 08.05.2023 ; Ordonnance du 7 novembre 2018 sur les jeux d’argent (OJAr; RS 935.511).

[8] Vandercruysse Louis et al., « Macolin and beyond: legal and regulatory initiatives against match manipulation », The International Sports Law Journal, vol. 22, no 3, 2022, p. 241‑258 ; « Réseau des Plateformes nationales (Groupe de Copenhague) – Sport – publi.coe.int », Sport, https://www.coe.int/fr/web/sport/network-of-national-platforms-group-of-copenhagen-, consulté le 16.03.2023.

[9] Van Rompuy Ben, « The role of the betting industry », in Sweeney Gareth (dir.), Transparency International Global Corruption Report: Sport, New York : Routledge, 2016, p. 236‑241.

[10] Ibid.

[11] Caneppele Stefano, « Prévention, détection et dissuasion des fraudes et de la corruption dans le sport professionnel », in Nouveau traité de sécurité, 2019, p. 223‑231 ; Vidal Laurent, Protecting the Integrity of Sport Competition – The Last Bet for Modern Sport, 2014.

[12] Boniface Pascal et alii, Paris sportifs et corruption: comment préserver l’intégrité du sport, Colin, 2012, 162 p. ; Van Rompuy, « The role of the betting industry », art. cit. ; Tak Minhyeok et alii, « The politics of countermeasures against match-fixing in sport: A political sociology approach to policy instruments », International Review for the Sociology of Sport, vol. 53, no 1, SAGE Publications Ltd, 2018, p. 30‑48 ; Sportradar Integrity Services, « Betting corruption and match-fixing in 2022 », Rapport d’activité, 03.2023, p. 32.

[13] Diaconu et Kuhn, « Match-fixing, the Macolin Convention and Swiss Law: An Overview », art. cit. ; « Matches de tennis truqués : le procès prévu en Belgique reporté », RTBF, https://www.rtbf.be/article/matches-de-tennis-truques-le-proces-prevu-en-belgique-reporte-11169306, consulté le 08.05.2023.

[14] Van Rompuy, « The role of the betting industry », art. cit. ; Caneppele et al., « Those who counter match-fixing fraudsters », art. cit.

[15] Caneppele et alii, « Those who counter match-fixing fraudsters », art. cit.

[16] UEFA.com, « UEFA kicks off feasibility study regarding the fight against match-fixing in European football | Inside UEFA », UEFA.com, 18.10.2019, https://www.uefa.com/insideuefa/protecting-the-game/news/0256-0f8e7103ae5d-43c274de29d9-1000–uefa-kicks-off-feasibility-study-regarding-the-fight-against/, consulté le 19.03.2023.

[17] Sportradar Integrity Services, « Betting corruption and match-fixing in 2022 », doc. cit.

[18] Chappelet Jean-Loup, « Une commission d’éthique pour la gouvernance du mouvement olympique », Éthique publique. Revue internationale d’éthique sociétale et gouvernementale, vol. 7, n° 2, Éditions Nota bene, 2005.

[19] Verschuuren Pim, « Les organisations sportives internationales doivent-elles déléguer la régulation de l’intégrité sportive ? », in Régulation du sport mondial, Lausanne : IDHEA, 2021, p. 262.

Blanchiment d’argent par abstention : condamnation possible ?

mardi 30 Mai 2023

Par Yasmine Gnädinger, étudiante du MAS LCE

Mots clés : blanchiment ; omission ; pression internationale

Introduction

Le blanchiment d’argent est principalement réprimé en Suisse par l’art. 305bis al. 1 du Code pénal suisse[1] (ci-après : « CP ») ainsi que par l’art. 305ter CP. Le présent article n’abordera pas les questions liées à l’art. 305ter CP dans la mesure où il s’agit d’un délit propre pur[2]. Ainsi et a contrario, selon le texte légal de l’art. 305bis CP, n’importe quel citoyen est susceptible d’enfreindre l’art. 305bis CP. La question qui se pose néanmoins est la suivante : Est-ce que réellement « n’importe qui » peut se rendre coupable de blanchiment d’argent par abstention ? C’est principalement ce qui sera analysé dans le présent article, étant précisé que nous aborderons la question en premier lieu sous l’angle du droit tel qu’il est en vigueur actuellement, puis sous l’angle de potentielles évolutions législatives.

L’acte de blanchiment

Rappelons en premier lieu que l’art. 305bis CP incrimine les actes propres à entraver l’identification de l’origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales issues d’un crime ou d’un délit fiscal qualifié. Constituent plus précisément des actes de blanchiment, les manœuvres visant à dissimuler le lien de provenance ou l’appartenance réelle des biens et qui sont, dès lors, propres à entraver le « tracing » et le séquestre des avoirs[3]. Peu importe que le résultat ait effectivement été atteint[4].

En ce qui concerne l’acte propre à entraver la confiscation, il se définit par rapport à l’art. 70 CP. Il s’agit d’un comportement susceptible d’entraver la mainmise des autorités pénales sur la valeur patrimoniale dans le but de la confiscation[5] ou, le cas échéant, de la restitution au lésé avant confiscation, sur la base de l’art. 70 al. 1 CP in fine.

Voici quelques exemples de blanchiment d’argent : le change d’argent[6] ; la dissimulation physique[7] ; la vente, l’achat, l’échange, le troc[8] ; le transfert à l’étranger[9] ; le virement de compte à compte[10]. Sur la base de ces exemples, on pourrait croire que seul celui qui adopte un comportement actif viole l’art. 305bis al. 1 CP. Ce n’est toutefois pas le cas.  

Le blanchiment par abstention

Le blanchiment peut être commis par omission, dès lors que les conditions de l’art. 11 CP ou 29 CP sont réunies.

Le blanchiment d’argent par abstention fondé sur l’art. 11 CP[11]

En vertu de l’art. 11 CP, une personne peut être condamnée pour blanchiment d’argent par abstention si elle reste inactive au mépris d’un devoir juridique spécial d’agir et que ce comportement ait pour conséquence le blanchiment d’argent.

C’est dans le domaine de l’intermédiation financière que les devoirs juridiques d’agir pour empêcher le blanchiment sont les plus nombreux et les plus détaillés, à commencer par ceux découlant de la loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dans le secteur financier du 10 octobre 1997[12] (ci-après : « LBA »).

Selon le Tribunal fédéral[13], la punissabilité de l’abstention peut se fonder sur la violation, par un intermédiaire financier[14], des devoirs de diligence et de communication découlant de la LBA, en particulier le devoir de clarification (art. 6 LBA) et le devoir de communication (art. 9 LBA) et des dispositions de l’OBA-FINMA[15].

La doctrine admet que, selon la LBA, les intermédiaires financiers sont, dans une certaine mesure, tenus de collaborer à la lutte contre le blanchiment et, dans cette limite, ont une position de garant[16]. La position de garant de l’intermédiaire financier peut également être déduite des articles 3 et 10a LBA qui les placent expressément dans une situation juridique particulière[17].

Cela étant, une violation des devoirs incombant à l’intermédiaire financier n’est constitutive de blanchiment d’argent par abstention qu’à condition que le lien de causalité hypothétique entre l’omission contraire au devoir d’agir et le blanchiment d’argent au sens de
 l’art. 305bis CP soit établi.

Ainsi, si l’intermédiaire financier a le moindre doute et qu’il n’a pas procédé aux vérifications nécessaires et/ou s’il n’a pas avisé le MROS alors qu’il disposait de doutes quant à l’origine des fonds, il pourra, pour autant que les autres conditions soient remplies (notamment celles décrites aux point I et II ci-dessus), être condamné pour blanchiment d’argent par abstention au sens des articles 305bis CP et 11 CP.

Le blanchiment d’argent par abstention fondé sur l’art 11 CP ne vise toutefois pas uniquement les intermédiaires financiers. Les négociants[18] sont également soumis aux obligations de diligence et de communication en vertu de l’art. 8a LBA, lorsqu’ils reçoivent un montant égal ou supérieur à CHF 100’000.-. Ils sont dès lors, au même titre que les intermédiaires financiers, considérés comme des « garants » et peuvent, par conséquent, se rendre coupables de blanchiment d’argent par abstention, aux mêmes conditions que citées supra concernant l’intermédiaire financier[19].

Le blanchiment d’argent par abstention fondé sur l’art. 29 CP[20]

En vertu de l’art. 29 CP, lorsque l’intermédiaire financier est une personne morale, telle qu’une banque, l’infraction de blanchiment d’argent au sens de l’art. 305bis CP pourra être imputée à une ou plusieurs personnes rattachées à la personne morale en question en raison d’un lien particulier. Plus particulièrement, selon la forme juridique de la personne morale en question, l’infraction pourra être imputée à l’un de ses organes, à ses associés, à ses dirigeants effectifs, ou encore à ses collaborateurs dirigeants. Précisons à ce sujet que tout employé considéré comme un « cadre moyen » – ne faisant ainsi pas forcément partie du « dernier échelon » dans la hiérarchie de l’entreprise – peut être considéré, compte tenu de la taille de l’entreprise et de l’organisation et la répartition des tâches au sein de l’établissement, comme étant un collaborateur dirigeant[21].

Certains auteurs estiment que seuls les responsables de l’obligation de communication au MROS conformément à l’organisation interne de la société morale en question, doivent être concernés par une telle imputation[22].

Cela étant, il ressort d’un arrêt du Tribunal fédéral[23] que, même lorsque l’employé (en l’occurrence il s’agissait du chef du service compliance d’une banque) n’est pas seul compétent pour effectuer une communication au MROS (dans le cas d’espèce, cette tâche revenait à un comité de due diligence dont l’employé en question était membre), celui-ci peut être individuellement recherché en cas de carences organisationnelles au sein de la société ayant entraîné la survenance de la violation du devoir de communiquer, et/ou lorsqu’il n’œuvre pas dans le sens d’une communication qui aurait dû intervenir[24].

Bien que l’arrêt du Tribunal fédéral susmentionné traite de la responsabilité de l’employé au sens des art. 37 LBA et 6 de la Loi fédérale sur le droit pénal administratif[25] (ci-après : « DPA »), nous estimons que le principe qui y est développé pourrait être transposé à une responsabilité fondée sur les art. 305bis CP et 29 CP, dans la mesure où l’art. 6 DPA est le corolaire de
l’art. 29 CP[26]. Dans une telle hypothèse, les membres du Conseil d’administration/les associés d’une petite structure (telle qu’une fiduciaire), dont les compétences et responsabilités de chacun sont de manière générale moins bien définies que dans les grandes structures (telles que les banques), devraient être d’autant plus vigilants dans le cadre de la répartition des tâches et des responsabilités notamment en cas de soupçon de blanchiment et de communication au MROS, afin d’éviter de se voir imputer une carence au sein de l’organisation de la société et, partant, une responsabilité pénale au sens des art. 305bis CP et 29 CP.

Compte tenu de ce qui précède, les intermédiaires financiers et négociants ne sont pas les seuls à pouvoir être recherchés pour blanchiment d’argent par abstention. Toute personne travaillant au sein d’une personne morale remplissant les conditions de l’intermédiaire financier au sens de l’art. 2 al. 2 LBA et ayant le statut de « collaborateur dirigeant » ou membre d’un organe pourrait l’être aussi.

L’évolution législative et ses conséquences sur d’autres corps de métiers

Nous savons que c’est en raison de pressions de normes internationales, et notamment des recommandations du GAFI[27] que la LBA et l’art. 305bis CP ont été modifiés à plusieurs reprises ces dernières années[28]. A titre d’exemple, c’est en raison des normes du GAFI que
l’art. 305bis CP a été modifié en 2016 pour y inclure certains délits fiscaux[29]. C’est en outre également en raison des recommandations du GAFI que la liste des personnes considérées comme étant des intermédiaires financiers au sens de l’art. 2 al. 2 LBA ne cesse de croître. On relèvera que lors de la dernière modification, datant du 1er janvier 2023, les gestionnaires de fortune et les trustees, ainsi que les essayeurs du commerce ont été ajoutés à ladite liste[30].

Il est ainsi évident, compte tenu du développement constant des techniques utilisées par les criminels pour blanchir leur argent sale, que les moyens de lutte contre le blanchiment d’argent continueront également d’évoluer[31]. Les normes suisses sont ainsi contraintes de s’adapter aux recommandations du GAFI et de plus en plus de professions se verront répertorier sur ladite liste.

Nous pouvons néanmoins nous questionner sur les éventuelles répercussions des recommandations du GAFI. En effet, relevons que, lorsque le GAFI rend ses rapports d’évaluation, il fait fi d’autres normes fondamentales pouvant être ancrées dans certaines juridictions. Citons en particulier le secret professionnel de l’avocat, un principe fondamental ancré dans l’ordre juridique suisse.

La Suisse a été critiquée par la communauté internationale et, dans son rapport de décembre 2016,[32] le GAFI a blâmé la Suisse en raison du champ d’application trop limité de la LBA. Monsieur Eric MARTIN, président de Transparency International Suisse, estime que la LBA doit inclure les activités ne relevant pas de l’intermédiation financière, telles que la création de personnes morales et de trusts et la prise en charge du rôle d’organe, mais aussi le conseil en ingénierie financière et en placement ainsi que le négoce de biens immobiliers ou d’œuvres d’art et produits de luxe. Il estime dès lors que toutes les professions traitant ces domaines doivent être soumises à des obligations de diligence et de communication, notamment les avocats, les fiduciaires, les experts-comptables, etc[33].

Or, inscrire les avocats sur la liste de l’art. 2 al. 2 LBA porterait atteinte au secret professionnel de l’avocat, lequel est sérieusement ancré dans notre ordre juridique et nos mœurs. La Suisse n’a dès lors, jusqu’à présent, pas suivi les recommandations du GAFI. Cela étant, et notamment en raison des faits révélés dans le cadre de l’affaire des Panama papers (selon lesquels certains avocats auraient prêté leur assistance, dans le cadre de leur activité « standard » d’avocat (laquelle n’est pas soumise à la LBA) à la création à grande échelle de sociétés de domicile suspectes[34]), la Suisse se retrouve à nouveau sous pression[35].

Dans la mesure où une révision de la LBA est en cours auprès du Parlement suisse, on peut sérieusement craindre de voir la liste de l’art. 2 al. 2 LBA s’agrandir encore très prochainement pour y inclure toute personne ayant une activité dans le négoce de biens immobiliers ou d’œuvres d’art et produits de luxe, les notaires, employés de fiduciaires, conseillers financiers, et même les avocats[36].

En effet, il sied de rappeler que la Suisse tenait également profondément, il y a quelques années, au secret bancaire. Or, on peut aisément considérer que celui-ci n’existe actuellement plus. A tout le moins, il n’est plus ce qu’il était et ce, en raison justement de la pression internationale exercée sur la Suisse. Nous estimons ainsi qu’il n’existe aucune limite à la mise en œuvre, en Suisse, des recommandations du GAFI.

Conclusion

En conclusion, bien qu’actuellement les personnes pouvant être recherchées pour blanchiment d’argent par abstention sont limitées, il n’est pas impossible qu’in fine, « n’importe qui » – pour reprendre le terme utilisé dans notre introduction – touchant de loin ou de près le conseil financier et/ou le transfert d’argent (quel qu’il soit) puisse être concerné par cette infraction.


[1] RS 311.0.

[2] C’est-à-dire un délit ne pouvant être commis que par des personnes ayant une activité dans le secteur financier et qui, dans ce cadre-là, acceptent, gardent en dépôt ou aident à placer ou à transférer des valeurs patrimoniales appartenant à des tiers (art. 305ter CP ; message FF 1989 II, p. 988).

[3] U. CASSANI, in Commentaire romand, Code pénal II, 2017, n° 35 ad art. 305bis CP.

[4] ATF 127 IV 26.

[5] Précisons à ce sujet que le Tribunal fédéral considère que l’art. 305bis CP ne permet pas de réprimer des actes propres à entraver l’identification et la découverte de valeurs patrimoniales qui ne sont pas (ou plus) sujettes à la confiscation, par exemple du fait que la confiscation est prescrite (CASSANI Ursula, in Commentaire romand, Code pénal II, 2017, n° 34 ad art. 305bis CP).

[6] ATF 122 IV 215.

[7] ATF 119 IV 63 ; ATF 122 IV 215 ; ATF 127 IV 26.

[8] ATF 127 IV 20.

[9] Arrêt TF 6B_1013/2017 du 17 mai 2011.

[10] Arrêt TF 6B_217/2013 du 28 juillet 2014 ; TPF SK.2011.22, JdT 2015 IV 287.

[11] « Un crime ou un délit peut aussi être commis par le fait d’un comportement passif contraire à une obligation d’agir » (art. 11 al. 1 CP) ; « Reste passif en violation d’une obligation d’agir celui qui n’empêche pas la mise en danger ou la lésion d’un bien juridique protégé par la loi pénale bien qu’il y soit tenu à raison de sa situation juridique, notamment en vertu : a. de la loi ; b. d’un contrat ; c. d’une communauté de risques librement consentie ; d. de la création d’un risque » (art. 11 al. 2 CP).

[12] RS 955.0.

[13] ATF 136 IV 191 ; TF 6B_729/2010 du 8 décembre 2011, consid. 4.3.

[14] Voir l’art. 2 al. 2 LBA pour la définition de « l’intermédiaire financier ».

[15] Ordonnance de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dans le secteur financier (Ordonnance de la FINMA sur le blanchiment d’argent, OBA-FINMA; RS 955.033.0).

[16] Notamment B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. II, ad art. 305bis CP n° 23.

[17] Pour rappel, les intermédiaires financiers doivent vérifier l’identité du contractant lorsqu’une ou plusieurs transactions paraissent liées entre elles, lorsqu’elles atteignent une somme importante ou lorsqu’il existe des indices de blanchiment d’argent (art. 3 al. 2 et 4 LBA).

[18] Voir l’art. 2 al. 1 let. b LBA pour la définition du « négociant ».

[19] U. CASSANI, Evolution législatives récentes en matière de droit pénal économique : blanchiment d’argent et corruption privée, in Revue Pénale Suisse, Stämpfli, page 195.

[20] « Un devoir particulier dont la violation fonde ou aggrave la punissabilité et qui incombe uniquement à la personne morale, à la société ou à l’entreprise en raison individuelle est imputé à une personne physique lorsque celle-ci agit : a. en qualité d’organe d’une personne morale ou de membre d’un tel organe ; b. en qualité d’associé ; c. en qualité de collaborateur d’une personne morale, d’une société ou d’une entreprise en raison individuelledisposant d’un pouvoir de décision indépendant dans le secteur d’activité dont il est chargé ; d. en qualité de dirigeant effectif qui n’est ni un organe ou un membre d’un organe, ni un associé ou un collaborateur » (art. 29 CP).

[21] U. CASSANI, Droit pénal économique, Bâle 2020, N 6.88 ; K. VILLARD, Le compliance officer face au risque pénal découlant du dispositif anti-blanchiment, Revue suisse de droit des affaires et du marché financier, 2021, vol. 93, no. 2, p. 111 et 112.

[22] Voir notamment A. CONRAD HARI, Le blanchiment d’argent par omission, in RSDA 2012, p. 368.

[23] Arrêt 6B_1332/2018 du 28 novembre 2019.

[24] A. GARBARSKI, Y. CONTI, Système de communication MROS : quo vadis ?, in Développements récents en droit pénal de l’entreprise III, CEDIDAC, 2022, p. 42 ; N. BEGUIN, Blanchiment d’argent : Violation par un membre d’un organe collégial de l’obligation de communiquer, publié le : 13 janvier 2020 par le Centre de droit bancaire et financier, https://cdbf.ch/1108/.

[25] RS 313.0.

[26] A. GARBARSKI, A. MACALUSO, La responsabilité de l’entreprise et de ses organes dirigeants à l’épreuve du droit pénal administratif, in PJA 2008, p. 835,

[27] Le Groupe d’action financière (GAFI) est l’organisme mondial de surveillance du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme. Il définit des normes internationales visant à prévenir ces activités illégales et les dommages qu’elles causent à la société ; Groupe que la Suisse a décidé de rejoindre en 1990 (https://www.fatf-gafi.org/fr/countries/detail/Suisse.html)

[28] U. CASSANI, Evolution législatives récentes en matière de droit pénal économique : blanchiment d’argent et corruption privée, in Revue Pénale Suisse, Stämpfli, pages 179-180

[29] FF 2014 585

[30] FF 2019 5237

[31] https://www.fatf-gafi.org/fr/Sujets/Methodes-et-tendances.html

[32] Le rapport peut être téléchargé sur le site internet suivant : https://www.fatf-gafi.org/en/publications/mutualevaluations/documents/mer-switzerland-2016.html

[33] « Les profiteurs des lacunes du dispositif anti-blanchiment », Article paru le 25 juin 2018 dans le journal Le Temps.

[34] « Opacité fiscale : l’embarras suisse », Article paru le 4 octobre 2021 dans le journal Le Temps ; « Des avocats suisses jonglent encore avec des sociétés offshore », Article paru le 20 juin 2018 dans le journal 24 heures.

[35] Article de Public Eye le 5 mars 2022 que l’on peut retrouver sur le site internet suivant : https://www.publiceye.ch/fr/coin-medias/communiques-de-presse/detail/le-conseil-federal-sous-pression-etablir-un-registre-des-beneficiaires-reels-des-societes-devient-un-standard-international.

[36] Précisons à toutes fins utiles que nous faisons référence à l’activité « typique » de l’avocat, puisque l’activité « atypique » de l’avocat est déjà soumise à la LBA.

Blanchiment et marché de l’art : un problème d’encadrement ?

mardi 23 Mai 2023

Par une étudiante du CAS IF

Mots clés : blanchiment de capitaux ; marché de l’art ; biens culturels

Introduction

Vaste question que celle du blanchiment de capitaux dans le monde de l’art et des antiquités. Le marché lui-même représente plusieurs dizaines de milliards annuels[1]. Quels sont les risques de blanchiment de capitaux en la matière ? Quels moyens effectifs se donnent les Etats les plus concernés par la vente d’œuvres d’art et d’antiquités dans la lutte contre ce fléau des temps modernes ? La Suisse, cinquième acteur mondial en matière de commerce d’art, fait-elle partie des bons élèves ? En d’autres termes : si le problème est connu, la lutte contre ce phénomène est-elle prise au sérieux par nos autorités … ou plutôt reléguée aux Calendes grecques ?

Figure 1 : Chiffres du marché mondial de l’art en milliards, années 2009-2022 selon le rapport Art Basel UBS de Clare McAndrew « Art Market 2023 », figure 1.6, p. 29

Les risques du métier  

Le Groupe d’action financière (GAFI)[2] a publié le 27 février 2023 un rapport alertant sur les risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme dans le secteur de l’art et des antiquités[3]. Le texte souligne plusieurs vulnérabilités imputables au marché in se, à ses acteurs ainsi qu’aux objets culturels / archéologiques[4] dont :

  • le recours au marché secondaire et à des intermédiaires,
  • le manque de transparence des transactions,
  • la facilité de déplacement d’objets de grande valeur,
  • l’acceptation de montants importants en espèces,
  • la volatilité et subjectivité des prix notamment pour les biens uniques, et son corollaire, la manipulation des prix du marché par quelques acteurs mal intentionnés,
  • le prêt à des institutions publiques d’objets culturels sans provenance visant à leur procurer un pedigree,
  • le recours au stockage de biens dans des dépôts francs,
  • l’augmentation des ventes en ligne favorisant l’anonymat, notamment dans le domaine des biens culturels, permettant de contourner les législations en vigueur.

Le problème est donc connu et a déjà fait la une des journaux, lorsqu’une enquête instruite par les autorités italiennes visant la mafia napolitaine a mis la main en 2016 sur deux Van Gogh[5] dérobés une décennie plus tôt à Amsterdam et dissimulés sous le sol de la cuisine d’un boss de la Camorra[6] ou lorsque des agents fédéraux américains à Philadelphie firent la stupéfiante découverte, aux côtés de 2.5 millions de dollars en espèces et de 68 kilos de drogue, d’une quarantaine de tableaux de maître, dont des Renoir, des Dali et des Picasso[7]. L’homme visé par l’enquête avait acquis les toiles grâce aux revenus engendrés par la vente de marijuana … avec la complaisance d’un marchand peu scrupuleux[8].

Figure 2 : Tableau de Vincent Van Gogh intitulé « Congrégation quittant l’Église réformée de Nuenen », retrouvé durant l’enquête de la Guardia di Finanzia. Copyright : Giorgio/AGF/Rex/Shutterstock

La politique de discrétion propre à cet univers feutré permet effectivement de taire l’identité d’un acquéreur comme la provenance de son argent… et la taille de certaines œuvres permet de déplacer en toute simplicité l’équivalent de millions de francs.

De plus, s’il existe un risque relatif de dévaluation, notamment en cas de dommage, de nombreuses toiles et autres sculptures, particulièrement celles d’artistes reconnus, constituent au contraire un investissement intéressant[9]. Le marché de l’art, quoiqu’affecté par les grands événements de ces dernières années, crise des subprimes et pandémie en tête, reste extrêmement dynamique, conduit généralement par les acteurs les plus haut de gamme[10]. De quoi attirer les investisseurs dotés de ressources importantes, qu’elles soient d’origine légale ou non.

Enfin, last but not least, l’achat de biens culturels ou artistiques participe à augmenter le statut social de l’acquéreur, lui conférant somme toute à peu de frais une certaine respectabilité.

Mais que fait la police ?

Le rapport du GAFI souligne les difficultés rencontrées dans la lutte contre le blanchiment dans le secteur[11] et mentionne qu’elle figure souvent en queue de peloton dans les priorités des autorités de poursuite. Celles-ci seraient insuffisamment au fait des menaces et risques posés par le marché. Enfin, il est rare que les cas de blanchiment soient circonscrits à une seule juridiction, compliquant la poursuite de la vérité et la détection des schémas de fraude.

Le GAFI a par ailleurs édité un ensemble de Recommandations servant de socle à l’établissement de normes internationales en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et financement du terrorisme (LBC-FT)[12]. Nullum crimen, nulla poena sine lege, penchons-nous donc sur l’approche internationale en la matière.

Qui dit mieux ? Tour d’horizon des législations en vigueur

Chez nos voisins directs, le ton se durcit à l’égard des normes à instaurer dans la lutte contre le blanchiment dans le secteur de l’art[13]. L’Union européenne a ainsi étendu sa 5ème directive anti-blanchiment (AMLD5), entrée en vigueur le 10 janvier 2020[14] « aux personnes qui négocient des œuvres d’art ou agissent en qualité d’intermédiaires dans le commerce des œuvres d’art », aux galeries et maisons de vente aux enchères « lorsque la valeur de la transaction ou d’une série de transactions liées est d’un montant égal ou supérieur à 10 000 EUR »[15].

Figure 3 : Part de marché représentée par pays en 2022 dans le secteur de l’art, selon le rapport Art Basel UBS, « Art Market 2023 », fig. 1.4, p. 27

La Grande-Bretagne a quant à elle adopté The Money Laundering, Terrorist Financing (Amendment) Regulations 2019 (MLR19)[16], transposant l’AMLD5 à sa propre législation. Le texte, entré en vigueur le même 10 janvier 2020, requiert que les acteurs du marché s’enregistrent auprès du Département Recettes et Douanes de sa Majesté (HMRC)[17].

La majorité des mesures peuvent être résumées à la pratique du Know Your Customer (KYC) soit à un devoir de diligence accru à l’égard de l’acheteur visant à vérifier son identité et reconnaître les éventuels risques associés. En plus de leur enregistrement officiel, les galeristes et autres agents doivent consigner et enregistrer les informations obtenues dans le cadre de leur devoir de diligence, et dénoncer les irrégularités constatées auprès du National Crime Agency. Toute transaction supérieure à EUR 10’000.- est concernée par ces mesures.

Ces changements légaux ont été accueillis plutôt fraîchement par le monde de l’art, retranché derrière son sacro-saint principe de discrétion[18] et inquiet de se voir confronté à des écueils administratifs insolubles[19].

La 6ème Directive anti-blanchiment, (AMLD6)[20], approuvée le 28.03.2023[21], propose quant à elle de créer une autorité européenne chargée de lutter activement contre le phénomène de blanchiment de capitaux, qui devrait être fonctionnelle dès 2026[22]. Ces diverses étapes démontrent la volonté de l’Union européenne d’agir… Reste à ce que les mesures préconisées soient implémentées uniformément[23].

Pendant ce temps-là, à Washington

Aux Etats-Unis, autre son de cloche. Si la lutte contre le blanchiment de capitaux s’est élargie aux marchands d’antiquités[24] en 2020 avec The Anti-Money Laundering Act of 2020 (AMLA)[25], seuls ces derniers sont soumis à une régulation accrue du fait de leur catégorisation en « institution financière »[26]. Les transactions de plus de USD 10’000.- font ainsi l’objet de contrôles renforcés.

Le département du Trésor américain, via son bureau Réseau de lutte contre la criminalité financière[27] a aussi fait paraître, en janvier 2022, une Etude sur les risques spécifiques au blanchiment de capitaux dans le domaine de l’art[28]. Celle-ci conclut que diverses mesures peuvent être prises dans ce domaine… mais ne propose aucune régulation supplémentaire immédiate ou durcissement de la législation en vigueur[29]. La question de légiférer contre le blanchiment de capitaux dans le domaine de l’art (hors secteur antiquités) est repoussée à une date indéterminée, le rapport concluant que d’autres mesures doivent être prises en priorité[30]. La tentative de la Chambre des représentants de soumettre les marchands d’art à la législation anti-blanchiment, l’ENABLERS Act[31], a par ailleurs échoué au Sénat américain en décembre 2022[32].

Les autorités américaines semblent avoir ainsi, par une pirouette, évité de prendre le taureau par les cornes … et les 2.5 millions dépensés entre 2018 et 2021 par le lobby des marchands d’art[33] n’y sont peut-être pas étrangers.

Figure 4 : Montants payés par le milieu de l’art entre 2018 et 2021 aux lobbyistes de Washington.
Source : https://news.artnet.com/news-pro/gray-market-art-lobbying-millions-2073386

Et en Suisse ?

La Suisse, hôte originel de la plus prestigieuse foire d’art[34], connue de longue date pour ses antiquaires[35] et ses ports francs[36] a successivement adapté sa propre législation pour contrer le blanchiment de capitaux.

S’appuyant sur l’art. 305 bis du Code pénal suisse (CP; RS 311.0) qui réprime le blanchiment d’argent, la Loi sur le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LBA ; RS 955.0)[37] constitue le fondement de ces efforts. Elle a été révisée à plusieurs reprises et contraint, depuis le 01.01.2016, tous les commerçants de Suisse, y compris les acteurs du marché de l’art, à contrôler l’origine des fonds des transactions faites en espèces dépassant la limite de CHF 100’000.- [38].

La Loi sur le transfert des biens culturels du 20 juin 2003 (LTBC ; RS 444.1) vise à protéger les antiquités et autres biens culturels[39]. Enfin, l’Ordonnance sur les douanes (OD; RS 631.01), entrée en vigueur le 1er mai 2007[40], contribue à plus de transparence dans les ports-francs, obligeant les entrepositaires à annoncer auprès des autorités douanières toutes les « marchandises sensibles » stockées, dont font partie les biens culturels et autres œuvres d’art, permettant leur contrôle[41].

Figure 5 : Source : https://www.reddit.com/r/AbstractArt/comments/fo8jdn/please_use_this_for_money_laundering_me_acrylic/_u/echterhans.
Compte Instagram : EinEchterHanschitz (@echterhanschitz)

Toutes ces mesures, pourtant louables, ont entraîné diverses critiques, qu’il s’agisse du niveau de contrôle effectué dans les Ports-Francs, jugé initialement trop bas par le Contrôle des Finances[42], ou du seuil de CHF 100’000.-, très élevé en comparaison internationale, pour le contrôle des transactions effectuées en espèces[43]. De même, les commerçants d’antiquités et d’art en Suisse ne sont pas soumis aux réglementations plus strictes appliquées aux intermédiaires financiers tels que définis à l’art. 2, al. 1 let. a de la LBA.

Ce point aussi pourrait évoluer : une motion déposée le 10.03.2022 au Conseil national[44] par le parti socialiste désire soumettre le commerce de l’art et les ventes aux enchères à la loi sur le blanchiment d’argent, s’inspirant de la directive européenne AMLD5. Bien que le Conseil fédéral reconnaisse qu’il puisse exister un « risque potentiel de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme lié au commerce de l’art et aux ventes aux enchères », il considère, s’appuyant sur un rapport du DFF paru en 2021 en matière de blanchiment de capitaux[45],  que le risque est modéré et que la législation en vigueur est suffisante. Par conséquent, il conseille de rejeter la motion.

Zèle de la gauche ou inaction de la droite ? Le débat reste ouvert… la finalité, un peu moins[46].

Le salut en matière de lutte anti-blanchiment de capitaux dans le domaine de l’art viendra-t-il donc du secteur privé ? Face à la lente mais implacable tendance des autorités à serrer la vis, les acteurs privés s’organisent et édictent des normes en matière de compliance[47], avec plus ou moins de succès[48]. C’est ainsi que certaines maisons de ventes aux enchères ont volontairement abaissé leur seuil de contrôle, dès CHF 10’000.-[49]. Citons surtout l’initiative Responsible Art Market[50], fondée en 2015, qui reprend les diverses prescriptions et les synthétise dans diverses guidelines destinées aux acteurs du marché[51]. ART BASEL a de même publié ses propres principes[52] destinés à renforcer l’éthique et assurer l’intégrité de ses galeristes, parmi les plus cotés de la planète.

Gageons que cette tendance n’est pas uniquement cosmétique et que la prise de conscience des risques bien réels de dégâts d’image suffira seule à contrer le gain financier engendré par une transaction douteuse.

Conclusion

Une chose est sûre : dans un monde globalisé où biens et devises s’échangent plus vite qu’une poignée de main, ce n’est qu’un effort commun et uniforme qui mettra un terme au blanchiment de capitaux lié au monde de l’art.

On l’a vu, de part et d’autre de l’Atlantique comme du lac Léman, les opinions divergent sur la priorité à donner au problème et la nature des actions et sanctions à entreprendre pour le supprimer. Pendant ce temps, les articles de presse dénonçant les abus se suivent[53] et se ressemblent[54]. Reste l’actualité pour maintenir l’intérêt – et la pression ? –  en la matière[55].


[1] Cf. Figure 1, Rapport Art Basel UBS de Clare McAndrew « Art Market 2023 » sur le marché de l’art : https://cdn.sanity.io/files/lvzckgdl/production/609618d93c005a5387de7049cd2ccac65c01c064.pdf . Dernière consultation le 03.05.2023.

[2] Selon ses propres termes, il s’agit de « l’organisme mondial de surveillance du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme », émanation de l’OCDE dont elle est pourtant distincte. Site internet : https://www.fatf-gafi.org/fr/home.html. Dernière consultation le 03.05.2023.

[3] https://www.fatf-gafi.org/en/publications/Methodsandtrends/Money-Laundering-Terrorist-Financing-Art-Antiquities-Market.html, dernière consultation le 03.05.2023.

[4] Ibidem, pp. 11 à 26.

[5] Cf. Figure 2. L’épisode a fait le tour des médias  internationaux : https://www.theguardian.com/artanddesign/2016/sep/30/italian-police-find-van-goghs-stolen-in-amsterdam-gallery-heist. Voir aussi l’article d’opinion https://www.theguardian.com/artanddesign/jonathanjonesblog/2016/sep/30/gangsters-use-of-paintings-as-currency-shows-profound-belief-in-art qui souligne l’attribution de vertus d’« Assurance » dudit art, stratégie apparemment adoptée par les malfrats. Voir également à ce sujet le documentaire de Stefano Strocchi «Tableaux volés» consultable sur la chaîne d’ARTE: https://www.youtube.com/watch?v=swrDZK_QVn0. Dernière consultation le 03.05.2023.

[6] https://www.mutualart.com/Article/Great-Art-Heists-of-History–Van-Gogh-an/89492A46948F1D10%20. Dernière consultation le 03.05.2023.

[7] Voir https://www.nytimes.com/2021/06/19/arts/design/money-laundering-art-market.html sur le contexte et https://www.justice.gov/usao-mdpa/pr/pennsylvania-man-sentenced-sixty-three-months-federal-prison-drug-distribution-and sur la condamnation du trafiquant. Dernière consultation le 03.05.2023.

[8] https://www.phillymag.com/news/2015/08/09/nathan-nicky-isen-art-philadelphia/ sur le galeriste à la douteuse déontologie. Dernière consultation le 03.05.2023.

[9] Voir, entre autres, https://caia.org/blog/2021/07/22/investing-art-market-17-trillion-asset-class et https://www.artmarketmonitor.com/2011/03/06/when-a-loss-is-really-a-profit/ . Dernière consultation le 03.05.2023.

[10] Voir le rapport « Art Market 2023 » d’Art Basel UBS : https://cdn.sanity.io/files/lvzckgdl/production/609618d93c005a5387de7049cd2ccac65c01c064.pdf  ainsi que  https://www.theartnewspaper.com/2023/04/04/global-art-market-grew-just-3-in-2022-according-to-latest-art-basel/ubs-report . Dernière consultation le 03.05.2023.

[11] https://www.fatf-gafi.org/en/publications/Methodsandtrends/Money-Laundering-Terrorist-Financing-Art-Antiquities-Market.html, pp. 36-37. Dernière consultation le 03.05.2023.

[12] https://www.fatf-gafi.org/fr/publications/Recommandationsgafi/Recommandations-gafi.html . Dernière consultation le 03.05.2023.

[13] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=PI_COM:C(2020)2800&from=FR . Dernière consultation le 03.05.2023.

[14]https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A32018L0843 . Dernière consultation le 03.05.2023.

[15] Art. 2, par. 1, point 3, let. i de la Directive (EU) 2018/843 (AMLD5) amendant la Directive (UE) 2015/849.  Voir également les Lignes directrices de TRACFIN, le service de renseignement français chargé de la lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme mais aussi contre la fraude fiscale, sociale et douanière, reprenant entre autres les conséquences concrètes de l’AMLD5 pour les acteurs du marché de l’art : https://www.douane.gouv.fr/sites/default/files/uploads/files/TRACFIN/lignes-directrices-tracfin-dgddi-marchands-d-art-novembre-2020.pdf Dernière consultation le 03.05.2023.

[16] https://www.legislation.gov.uk/uksi/2019/1511/contents/made . Dernière consultation le 03.05.2023.

[17] https://www.theartnewspaper.com/2021/09/03/art-world-rushes-to-conform-to-uks-anti-money-laundering-laws . Le gouvernement a également mis à disposition un guide édicté par la Fédération anglaise du marché de l’art (BAMF) : https://www.gov.uk/government/publications/art-market-participants-guidance-on-anti-money-laundering-supervision. Dernière consultation le 03.05.2023.

[18] https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/art-culture-edition/enquete-franceinfo-il-ne-faut-pas-casser-le-commerce-la-laborieuse-lutte-contre-le-blanchiment-d-argent-sur-le-marche-de-l-art_3500689.html Dernière consultation le 03.05.2023.

[19] https://www.gazette-drouot.com/article/art-basel-plonge-en-apnee-dans-l-aml/23220 Dernière consultation le 03.05.2023.

[20] https://finance.ec.europa.eu/publications/anti-money-laundering-and-countering-financing-terrorism-legislative-package_en Dernière consultation le 03.05.2023.

[21] https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20230327IPR78511/nouvelles-mesures-de-l-ue-contre-le-blanchiment-et-le-financement-du-terrorisme Dernière consultation le 03.05.2023.

[22] https://www.eesc.europa.eu/fr/news-media/news/le-cese-adopte-un-avis-sur-le-paquet-legislatif-lutte-contre-le-blanchiment-de-capitaux . Dernière consultation le 03.05.2023.

[23] https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2023-0151_EN.html . Un rapport paru le 14.04.2023 par les comités européens ECON and LIBE souligne ainsi la mise en œuvre inégale des Directives européennes déjà en place pour lutter contre le blanchiment de capitaux : « (…) divergent practices regarding its [Directive (EU) 2015/849 -AMLD4- ainsi que son amendement via la Directive (EU) 2018/843 – AMLD5] enforcement and the lack of correct implementation of minimum standards have led to a fragmented, incomplete and partially inefficient regulatory framework in the Union ».  Dernière consultation le 03.05.2023.

[24] https://www.federalregister.gov/documents/2021/09/24/2021-20731/anti-money-laundering-regulations-for-dealers-in-antiquities; cf. également https://www.nytimes.com/2021/01/01/arts/design/antiquities-market-regulation.html . Dernière consultation le 03.05.2023.

[25] https://www.fincen.gov/anti-money-laundering-act-2020 : Dernière consultation le 03.05.2023.

[26] https://www.mishcon.com/news/anti-money-laundering-and-the-art-and-antiquities-market-a-us-and-uk-perspective et https://www.federalregister.gov/documents/2021/09/24/2021-20731/anti-money-laundering-regulations-for-dealers-in-antiquities. Dernière consultation le 03.05.2023.

[27] Financial Crimes Enforcement Network abrégé FinCen : https://www.fincen.gov/

[28] https://home.treasury.gov/news/press-releases/jy0588 . L’Etude de FinCen fait suite à un rapport bipartisan du Sénat américain paru le 29 juillet 2020 ayant dénoncé clairement les risques de blanchiment dans le domaine de l’art : https://www.hsgac.senate.gov/wp-content/uploads/imo/media/doc/2020-07-29%20PSI%20Staff%20Report%20-%20The%20Art%20Industry%20and%20U.S.%20Policies%20that%20Undermine%20Sanctions.pdf. Dernière consultation le 03.05.2023.

[29] https://www.hhrartlaw.com/2022/04/u-s-treasury-study-rejects-immediate-need-for-new-regulation-of-art-market/ et https://www.nytimes.com/2022/02/04/arts/design/art-market-regulation.html. Dernière consultation le 03.05.2023.

[30] https://www.withersworldwide.com/en-gb/insight/read/us-treasury-s-aml-report-weighs-against-increased-regulations-in-art-market-for-now. Dernière consultation le 03.05.2023.

[31] https://www.congress.gov/bill/117th-congress/house-bill/5525 . La proposition, qui fait suite aux révélations des Pandora Papers, ne s’adressait pas qu’aux marchands d’art et visait à soumettre plusieurs catégories de « facilitateurs » à un devoir de diligence accru. Dernière consultation le 03.05.2023.

[32] https://www.icij.org/investigations/pandora-papers/us-senate-blocks-major-anti-money-laundering-bill-the-enablers-act/. Dernière consultation le 03.05.2023.

[33] https://news.artnet.com/news-pro/gray-market-art-lobbying-millions-2073386 ;  https://news.artnet.com/news-pro/gray-market-lobbying-part-two-2076432 et https://www.nytimes.com/2022/02/04/arts/design/art-market-regulation.html. Dernière consultation le 03.05.2023.

[34] https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/06/14/foires-d-empoigne-sur-le-marche-de-l-art_6130188_4500055.html. Dernière consultation le 02.05.2023.

[35] https://www.letemps.ch/culture/couverture-trafic-dantiquites-role-suisse : Dernière consultation le 03.05.2023.

[36] Les Ports-Francs et autres entrepôts douaniers ouverts sont des zones de stockage franches d’impôt où peuvent être entreposées de manière illimitée dans le temps, sous certaines conditions, toutes sortes de marchandises. Plus de cent milliards de valeur de marchandises y seraient enfermés. Erik Post and Filipe Calvao, « Mythical Islands of Value: Free Ports, Offshore Capitalism, and Art Capital » in Basel: MDPI AG.- Arts (Basel), 2020, Vol.9 (4), p. 100.

[37] https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1998/892_892_892/fr. Dernière consultation le 03.05.2023.

[38] Art. 2, al.1 let. b LBA en relation avec l’art. 8a, al. 1 LBA et art. 14 et 16 de l’Ordonnance sur le blanchiment d’argent du 11 novembre 2015 (OBA ; RS 955.01): Statut de négociants et obligation de diligence.

[39] https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2005/317/fr. Dernière consultation le 03.05.2023.

[40] https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2007/250/fr. Dernière consultation le 03.05.2023.

[41] https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2007/250/fr, art. 182 à 185 et Art. 182, al.2 et Annexe 2, ch. 5 et 14. Voir également à ce sujet https://www.bilan.ch/economie/le_blanchiment_cette_epine_qui_agace_l_art. Dernière consultation le 03.05.2023.

[42] https://www.efk.admin.ch/images/stories/efk_dokumente/publikationen/jahresberichte/2014/CDF_act_2014_fr_PDF.pdf , pp. 13-14. Depuis cette première évaluation critique parue en 2014, il a néanmoins été reconnu lors d’une nouvelle évaluation du CdF que les autorités avaient amélioré leur analyse de risques comme leur contrôles dans le domaine des Ports-Francs : https://www.efk.admin.ch/fr/publications/economie-administration/finances-publiques-et-impots/activites-de-surveillance-aupres-des-ports-francs-et-entrepots-douaniers-ouverts-administration-federale-des-douanes.html, pp. 4,-5 21, 25. Dernière consultation le 03.05.2023.

[43] https://www.swissinfo.ch/fre/culture/lutte-contre-le-blanchiment_transparence-du-march%C3%A9-de-l-art–la-suisse-peut-faire-mieux/41453588. Dernière consultation le 03.05.2023.

[44] https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20223104. Dernière consultation le 03.05.2023.

[45] https://www.sif.admin.ch/sif/fr/home/dokumentation/fachinformationen/bericht_kggt.html#documents__content_sif_fr_home_dokumentation_fachinformationen_bericht_kggt_jcr_content_par_tabs , cf. particulièrement les pages 30 à 32. Dernière consultation le 03.05.2023.

[46]https://hub.hslu.ch/economiccrime/art-and-money-laundering-in-switzerland/ , dernière consultation 03.05.2023. L’article explique que les divers durcissements législatifs dans le domaine du blanchiment de capitaux ont été perçus comme « problématiques » par l’association des marchands d’arts suisses (SAMA) et conclut que la motion actuellement au Parlement a peu de chances d’aboutir. Le site internet de la SAMA développe ainsi son positionnement :  « The SAMA is promptly following the problematic European development of an increasing tightening of the money laundering guidelines also in the art market and is trying to exert influence in order to prevent a legislative formulation of drastically tightened rules by informing about the reality of the profession of art and antiques trading. (…) » : https://kunstmarktschweiz.ch/startseite-en/ ; dernière consultation le 03.05.2023.

Voir également le rapport Deloitte Art & Finance 2019 dont l’article « Money Laundering in Arts, a Swiss Perspective », pp. 236-237, mentionne qu’aucune annonce n’a été faite au service compétent (MROS) par un commerçant d’art :  https://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/ch/Documents/privatemarket/deloitte-ch-private-art-and-finance-report-2019.pdf : dernière consultation le 03.05.2023.

[47] https://itsartlaw.org/2022/04/05/art-market-compliance-as-seen-from-switzerland/ : dernière consultation le 03.05.2023.

[48] https://www.letemps.ch/culture/marche-lart-occasions-manquees-lautoregulation : dernière consultation le 03.05.2023.

[49] Selon les arguments avancés par l’avis du CF du 18.05.2022 faisant suite à la motion 22.3104. : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20223104 : Dernière consultation le 03.05.2023.

[50] http://responsibleartmarket.org/. Dernière consultation le 03.05.2023.

[51] Voir le « Country Guide Switzerland » qui reprend diverses recommandations schématisées sous forme de tableau : http://responsibleartmarket.org/wp/wp-content/uploads/2017/01/Country-Guide-Switzerland.pdf Dernière consultation le 03.05.2023.

[52] https://d2u3kfwd92fzu7.cloudfront.net/AB_Art_Market_Principles_and_Best_Practices.pdf Dernière consultation le 03.05.2023.

[53] https://www.nytimes.com/2013/05/13/arts/design/art-proves-attractive-refuge-for-money-launderers.html ; https://www.ft.com/content/a5beb8e2-5334-11ea-90ad-25e377c0ee1f ; https://www.acamstoday.org/?s=art ; Dernière consultation le 03.05.2023.

[54] https://www.imf.org/en/Publications/fandd/issues/2019/09/the-art-of-money-laundering-and-washing-illicit-cash-mashberg https://www.letemps.ch/search?keywords=%22blanchiment%20d%27argent%22%20AND%20%22march%C3%A9%20de%20l%27art%22&np8_section_all=All&sort_by=search_api_relevance&sort_order=DESC&page=0 ; https://www.lemonde.fr/recherche/?search_keywords=blanchiment+%2Bart&start_at=19%2F12%2F1944&end_at=23%2F04%2F2023&search_sort=relevance_desc

[55] https://www.theguardian.com/world/2023/apr/18/uk-imposes-sanctions-art-collector-accused-financing-hezbollah-nazem-ahmad, article paru au moment de la rédaction de ce texte. Dernière consultation le 03.05.2023. A noter que la motion a été adoptée par le Conseil national le 02.05.2023 par 111 voix favorables contre 80…  La balle est donc dans le camp du Conseil des Etats. Voir https ://www.parlament.ch/fr/services/news/Pages/2023/20230502185705574194158159038_bsf139.aspx ; dernière consultation le 12.05.2023.

Lutte contre le blanchiment d’argent : quid du négoce de matières premières ?

mardi 06 Déc 2022

Par une étudiante du MAS en Lutte contre la criminalité économique

Introduction

Le 24 mai dernier, le groupe Glencore, géant actif dans le négoce, le courtage et l’extraction de matières premières basé à Zoug, a annoncé avoir conclu des accords avec les autorités des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et du Brésil, plaidant coupable de faits de corruption et de manipulation de marché. Le montant de ces accords s’élève à plus d’un milliard de dollars US concernant les Etats-Unis et le Brésil, alors que les pénalités restent à définir avec les autorités britanniques. Des procédures sont encore en cours en Suisse et aux Pays-Bas.[1]

Souvent critiqué pour ses manquements notamment dans le domaine de la responsabilité sociale et environnementale, le secteur du commerce de matières premières est très exposé aux risques de corruption. Premièrement, parce que les contrats et octrois de licences d’exploitation interviennent souvent dans un domaine impliquant une entreprise étatique, ce qui augmente le risque que des pots-de-vin soient versés ; deuxièmement, parce que les matières premières sont souvent acquises dans des pays en voie de développement plus exposés à la corruption ; enfin, en raison de l’importance des montants et unités de vente échangés, qui facilitent la dissimulation de pots-de-vin.[2] Or, d’après un rapport du groupe interdépartemental de coordination sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (GCBF), la corruption constitue la principale menace de blanchiment d’argent en Suisse.[3] Les activités de négoce de matières premières sont-elles soumises à la loi suisse sur le blanchiment d’argent (LBA)?[4] Petit état des lieux.

Le négoce de matières premières en Suisse

La Suisse est l’une des plus importantes plateformes de négoce de matières premières au monde. On estime qu’un tiers de la demande globale de pétrole est négocié en Suisse, 60% des métaux et entre 35% et 60% des soft commodities.[5] Le secteur contribue de manière significative à l’économie du pays. Les recettes issues du commerce de transit correspondent à 4% du PIB[6] et l’activité représenterait respectivement 22% et 10% des recettes fiscales de Genève et Zoug.[7]

Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), la Suisse comptait en 2018 quelque 900 négociants employant environ 9’800 personnes, dont 44% dans le canton de Genève.[8] Il est à noter que ces chiffres varient en fonction des sources. En effet, dans un rapport publié en 2017, le lobby des matières premières avançait que le secteur employait quelque 35’000 personnes[9], alors qu’une analyse réalisée par l’ONG Public Eye la même année en dénombrait moins de 8’000 pour 500 entreprises. De son côté, le Conseil fédéral faisait état de 500 entreprises dans son rapport de 2018 sur le secteur.[10]

A ces chiffres, s’ajoutent ceux des fonctions de soutien nécessaires à l’activité telles que le financement, l’audit, le consulting, la certification, l’assurance, le courtage maritime ou les services de transport et de logistique, qui occupent quelque 2’000 employés.[11]

Application de la LBA

La LBA s’applique aux intermédiaires financiers et aux négociants. Elle les soumet notamment à des obligations de diligence, des mesures organisationnelles et des obligations en cas de soupçon de blanchiment. D’après l’article 2 al. 3 let. c, sont notamment réputés intermédiaires financiers « les personnes qui, à titre professionnel, acceptent, gardent en dépôt ou aident à placer ou à transférer des valeurs patrimoniales appartenant à des tiers, en particulier les personnes qui font le commerce, pour leur propre compte ou pour celui de tiers, de billets de banque ou de monnaies, d’instruments du marché monétaire, de devises, de métaux précieux, de matières premières ou de valeurs mobilières (papiers-valeurs et droits-valeurs) et de leurs dérivés ». Jusqu’ici, le négoce de matières premières semble parfaitement soumis à la loi, au même titre que les banques et gestionnaires de fortune, par exemple. Mais lorsque l’on se penche sur les règles d’application, on constate que cet article est quelque peu vidé de sa substance. En effet, l’Ordonnance sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (OBA)[12] définit, dans son article 5 al. 1 let. c-e, uniquement comme activité de négoce, le négoce boursier de matières premières pour le compte de tiers et le négoce hors bourse de matières premières à degré de standardisation élevé pour le compte de tiers.  Le négoce de matières premières pour compte propre n’est donc pas soumis à la LBA, hormis celui de métaux précieux bancaires.

S’agit-il d’un nombre négligeable de négociants ? La réponse est non, puisque d’après un rapport du Conseil fédéral publié en 2020[13], seule une vingtaine de négociants pour compte de tiers sont assujettis à un organisme d’autorégulation (OAR) et donc soumis à la LBA. La grande majorité des acteurs dénombrés plus haut fait donc du négoce pour compte propre, échappant à cette loi.

Le poids sur les banques

Reste alors une possibilité pour que ces sociétés hors du champ d’application de la LBA y soient soumises de manière indirecte : le financement. En effet, lorsqu’il est recouru à un financement bancaire, c’est à la banque qu’incombent les vérifications nécessaires concernant la transaction financée. Ceci est prévu dans une optique de gestion des risques, mais également à cause des obligations découlant de la LBA .

Il apparaît toutefois, en analysant les communications de soupçons en matière de blanchiment d’argent reçues par le MROS[14] pour des cas d’avoirs potentiellement criminels dans le négoce de matières premières, que seul un nombre limité de cas sont identifiés sur la base des transactions. La majorité de ces communications étant faites sur la base de sources externes, comme les enquêtes de presse.[15] La détection des cas suspects par les banques semble difficile. Ceci s’explique par la complexité des schémas financiers propres au secteur : de multiples transactions entre de nombreux acteurs, plusieurs juridictions impliquées, l’utilisation de structures peu transparentes et le recours aux services de plusieurs établissements bancaires, parfois à l’étranger, ce qui rend quasi impossible pour la banque d’avoir une bonne vue d’ensemble des activités de ses clients.[16] Cette difficulté de détection est également rencontrée par les banques qui ne sont pas impliquées directement dans le financement des transactions de négoce, mais fournissent des services de trafic des paiements, par exemple.

Conclusion

L’on constate qu’en Suisse, le négoce de matières premières pour compte propre, soit la majorité de l’activité, n’est pas soumis à la LBA. Si une transaction est financée par une banque, alors elle l’est de manière indirecte, mais l’exercice s’avère complexe. Si elle est financée par une banque étrangère ou par des fonds propres, alors elle ne l’est pas du tout. En la matière, le secteur ne reste donc soumis qu’à des directives et bonnes pratiques juridiquement non contraignantes adoptées sur une base volontaire. Cela dit, le blanchiment d’argent reste poursuivi d’office en vertu de l’article 305bis du Code pénal (CP), encore faut-il que les autorités en soient informées.[17]

Ce constat est plutôt étonnant à la lumière des sommes impliquées dans ce secteur et de la charge règlementaire de plus en plus pesante sur le secteur financier. Le sujet fait d’ailleurs régulièrement l’objet de motions, postulats et interpellations au Parlement. Parmi les plus récents, une motion du groupe des Vert-e-s pour une autorité de surveillance du négoce de matières premières indépendante[18] déposée en février de cette année et une autre déposée au mois de mars par le groupe socialiste, qui charge le Conseil fédéral d’édicter une loi propre au secteur, garantissant des standards analogues à ceux appliqués aux banques.[19]

Dans un rapport rendu en 2020, faisant suite à un postulat intitulé « La supervision bancaire est-elle suffisante pour juguler les risques de blanchiment dans le secteur des matières premières ? », le Conseil fédéral admet quelques possibilités d’amélioration du cadre existant, notamment via une harmonisation des lignes directrices (toujours juridiquement non contraignantes) et une clarification de l’étendue de l’obligation de communiquer des soupçons.[20] Il s’oppose toutefois systématiquement à l’introduction de nouvelles législations, estimant le cadre légal suffisant, se reposant sur les obligations existantes des banques et intermédiaires financiers qui interviennent dans le financement, et brandissant l’article 305bis du CP comme une mesure dissuasive.

La Suisse se veut une place financière compétitive et irréprochable et il semblerait que le premier qualificatif prime lorsqu’il s’agit du négoce de matières premières.


[1] Glencore Reaches Coordinated Resolutions with US, UK and Brazilian Authorities, 24 mai 2022. Glencore [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.glencore.com/media-and-insights/news/glencore-reaches-coordinated-resolutions-with-us-uk-and-brazilian-authorities

[2] Supervision des activités de négoce de matières premières sous l’angle du blanchimentRapport du Conseil fédéral donnant suite au postulat 17.4204 Seydoux-Christe du 14.12.2017. 26 février 2020.

[3] GCBF, Rapport sur l’évaluation nationale des risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme en Suisse. Octobre 2021.

[4] Loi fédérale du 10 octobre 1997 concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. (LBA, RS 955.0) Etat du 1er janvier 2022.

[5] STSA, Key figures. [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.stsa.swiss/know/key-figures

[6] Conseil fédéral, Le secteur suisse des matières premières : état des lieux et perspectives. 30 novembre 2018.

[7] Ibid n°3

[8] Office fédéral de la statistique, 2021. Près de 10 000 personnes et 900 négociants sont au cœur du commerce de matières premières en Suisse – Statistique des négociants en matières premières. Communiqué de presse. Office fédéral de la statistique [en ligne]. 8 mars 2021. Disponible à l’adresse : https://www.bfs.admin.ch/asset/fr/16144835

[9] EGGERT, Nina, FERRO-LUZZI, Giovanni, OUYANG, Difei, 2017. Commodity Trading Monitoring Report.

[10] Ibid n° 4

[11] Ibid n°6

[12] Ordonnance du 11 novembre 2015 sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (OBA ; RS 955.01) Etat du 1er août 2021

[13] Ibid n°2

[14] Money Laudering Reporting Office – Switzerland

[15] Ibid n°2

[16] Ibid n°2

[17] Code pénal suisse du 21décembre 1937, (CP ; RS 311.0). Etat le 1er juin 2022.

[18] Motion 22.3031. Rendre le négoce des matières premières plus responsable grâce à une autorité de surveillance indépendante. Mettre un frein à la corruption et au blanchiment d’argent. Le Parlement suisse, 28 février 2022. [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20223031

[19] Motion 22.3133. Commerce des matières premières. Pleine transparence pour éviter de répéter les erreurs que nous avons payées cher dans le secteur bancaire. Le Parlement suisse. 16 mars 2022. [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20223133

[20] Ibid n°2

Dropshipping – quand l’affaire est trop belle

jeudi 24 Nov 2022

Par une étudiante du MAS en Lutte contre la criminalité économique

Depuis l’expansion d’internet, l’offre de biens et services disponibles sur le web s’est diversifiée et est devenue de plus en plus accessible à tout un chacun. Ces deux dernières années, la pandémie a encore mis l’accent sur la facilité des achats en ligne et son importance en temps de crise.[1]

Aujourd’hui, peu de personnes peuvent encore se targuer de n’avoir jamais rien acheté par le biais du e-commerce. En Suisse, la majorité de la population âgée de 16 à 74 ans a déjà effectué au moins un achat en ligne sur internet.[2]

Ces dernières années, un nouveau mode de fonctionnement dans le commerce en ligne est apparu : le « dropshipping ». Qu’est-ce que c’est ? Comment cela fonctionne ? Pourquoi en parler ? Nous allons dans cet article aborder ces points et expliquer ce qui se cache sous cette méthode de vente en ligne.

Le Dropshipping – définition :

Lorsque l’on souhaite lancer sa boutique de vente en ligne, on n’a toujours pas les fonds nécessaires ni les connaissances pour gérer le stockage des produits que l’on souhaite vendre. Le dropshipping est l’un des moyens pour répondre à cette problématique.

Cette méthode consiste à faire sous-traiter la partie stockage et livraison des produits que l’on souhaite proposer sur son site. Le vendeur ne s’occupe ainsi que de la gestion de son site de vente et éventuellement sa promotion. Le client commande sur le site vendeur, qui transmet ensuite cette commande au fournisseur ou à l’entreprise s’occupant du stock qui va ensuite directement livrer la marchandise au client final. Par ce biais, le vendeur, aussi appelé dropshipper, évite les coûts de gestion de stock, de livraison, mais aussi la problématique du retour de marchandise par le client.[3] À ce jour, de nombreux sites de dropshipping proposent des articles disponibles sur des sites comme Aliexpress ou Wish pour les plus connus[4].

Cette manière de gérer une boutique possède de nombreux avantages, ainsi que des dérives.

Cadre légal du dropshipping et protection du consommateur

La pratique du dropshipping n’a rien d’illégal en Suisse pour autant que les conditions du contrat de vente soient respectées et que l’activité soit déclarée aux autorités fiscales. Les conditions concernant la validité d’un contrat de vente sont exposées dans l’art. 184 ss du Code des obligations (CO)[5]. Elles sont caractérisées par la présence d’une offre de la part du vendeur, l’acceptation de l’offre par l’acheteur, d’un accord de volonté manifesté par les deux parties qui doit être réciproque et concordant.[6] Ainsi, si chacune des parties remplit ses obligations découlant du contrat vente, le vendeur n’a pas l’obligation de posséder en stock la marchandise qu’il propose sur son site.

Lorsque l’acheteur confirme sa commande et effectue le paiement auprès du vendeur, celui-ci va transmettre la commande, ainsi que le montant du prix des articles (au prix fournisseur) de la commande à son fournisseur qui enverra la marchandise à l’acheteur. Le détenteur de la boutique gardera la différence entre le prix catalogue affiché par son fournisseur et le prix affiché sur son e-boutique.

En Suisse, un contrat de vente n’est pas soumis à une forme particulière. Il peut donc s’effectuer par oral tant que par écrit ou sous forme électronique. Dans le cadre du e-commerce, le contrat de vente est considéré comme conclu dès le moment où l’on clique sur « acheter » et que l’on finalise la commande en indiquant les données de paiement.[7]

Du côté du vendeur, celui-ci devra particulièrement faire attention aux conditions générales de vente qui doivent respecter le CO mais aussi la Directive relative aux droits des consommateurs[8], la Directive sur le commerce électronique[9] et le Règlement général sur la protection des données (RGPD)[10] si les potentiels acheteurs se trouvent également dans l’Union Européenne (UE).

Un propriétaire de e-commerce en Suisse doit également indiquer certaines informations sur sa boutique conformément à la Loi fédérale contre la concurrence déloyale (LCD)[11]. L’art. 3 al. 1, let. s LCD prévoit qu’il doit indiquer l’identité de sa société avec son adresse postale et électronique et les différentes étapes menant à la conclusion du contrat, permettre la détection ainsi que la correction des erreurs de saisie avant l’envoi de la commande et confirmer la commande sans délai au client par courrier électronique.[12]

Le vendeur devra également respecter les obligations indiquées dans l’Ordonnance sur l’indication des prix[13] ainsi que dans la Loi sur la protection des données (LPD). Les biens et services proposés sur la boutique en ligne suisse devra ainsi indiquer le prix en francs suisses et indiquer tous les frais qui pourraient s’y ajouter. Pour ce qui est de la protection des données, si des données personnelles ou sensibles sont collectées par la société, celle-ci devra respecter les principes de la LPD et du RGPD en cas de clients étrangers domiciliés dans l’UE.

Le respect et l’indication des éléments décrits précédemment sont des indicateurs du sérieux de la boutique en ligne ou du moins de la possibilité de réagir en cas de problème. En cas de litige, le consommateur ou le vendeur devra également prendre en compte le for découlant du contrat pour mener une action en justice. Celui-ci se situera au lieu de domicile de l’acheteur ou du vendeur.

Ainsi si le vendeur respecte les lois, règlements et directives suisses et européens exposés précédemment, qu’il ne propose pas des biens et services douteux tels que des contrefaçons ou de la marchandise illégale, que les commandes arrivent chez leurs destinataires et que le ou les fournisseurs sont bel et bien payés, alors le vendeur ne prend pas plus de risque qu’avec une boutique en ligne standard.

Si pour l’instant la pratique du dropshipping semble claire et sans grand danger pour un consommateur attentif, nous allons voir dans la suite de cet article que tout n’est pas si simple.

Méthodes de vente agressive et de promotions douteuses

Le fait est que très peu voire aucune boutique de dropshipping ne va informer le client qu’elle pratique ce business model. En effet, pourquoi l’indiquer en imaginant que le client irait chercher ce qu’il souhaite acheter ailleurs ?

De plus, de nombreux sites de vente sur internet et non uniquement ceux pratiquant le dropshipping utilisent certaines méthodes de vente ou de promotion afin de tenter d’augmenter leurs ventes.

Certains d’entre ces sites proposent des promotions certes intéressantes sur le papier (ou la toile). Mais que penser du compteur affichant « une promotion à -50% pour le deuxième article si la commande se fait dans les deux minutes » ? N’est-ce pas une méthode pour pousser l’acheteur à une consommation peu réfléchie[14] ? Il n’est pas rare de voir ce type de promotion. Dans le cas du dropshipping, le prix de vente affiché sur le site est décidé par le dropshipper. Celui-ci ajoute la marge qu’il souhaite effectuer et rien ne l’empêche d’afficher un prix de base gonflé pour y apporter une réduction considérée comme très intéressante.[15]

Le prix des articles peut également mettre la puce à l’oreille afin de déterminer si un site de vente sur internet pratique le dropshipping. En effet, si l’on tombe sur une e-boutique proposant des articles considérés de luxe, ou tout du moins ayant un prix d’achat conséquent sur le marché « régulier », à des prix défiant toute concurrence, il faut s’en méfier. Il y a de grandes chances que l’article envoyé soit une contrefaçon, voire qu’il ne le soit pas du tout.[16]

Un autre point important auquel le client doit être attentif est la description d’un produit proposé sur une boutique en ligne et particulièrement sur celles pratiquant le dropshipping. En effet, bien qu’il soit légalement demandé que l’offre de vente soit clairement spécifiée, dans certain cas, la description du produit peut être incomplète ou laisser penser que le produit proposé n’est pas réellement celui qui sera réellement réceptionné par l’acheteur. Cette pratique flirt avec l’escroquerie, voire en est une, comme certains cas que nous allons aborder plus tard dans cet article.[17]

Deuxièmement, les sites de dropshipping, comme n’importe quelle autre boutique, doivent faire leur publicité. Quoi de mieux pour cela qu’utiliser les réseaux sociaux et les influenceurs pour profiter de la large audience que constituent leurs communautés ?

Fin 2018, un couple d’influenceurs français faisaient la promotion sur leurs réseaux sociaux de bijoux de luxe ou encore d’une box contenant des produits Apple. La valeur du contenu était censée être bien supérieure au prix d’achat de la box. Il s’est avéré que, pour les quelques clients livrés, les bijoux ne correspondaient pas à la qualité vantée lors de la promotion et sur le site. Il en était de même pour les produits Apple qui étaient des contrefaçons.[18]

En 2020, deux sœurs célèbres américaines ont fait la promotion de faux AirPods. Ayant vu cette promotion passer et pour arrêter ce phénomène de se répandre à toute la communauté d’abonnés, Apple a réagi en indiquant que les produits concernés par cette « bonne affaire » étaient des contrefaçons et que la structure de la boutique était en fait basée sur le dropshipping.[19]

À ce jour, en fonction des personnes que l’on suit sur les différentes plateformes, on peut se retrouver comme cible d’un contenu sponsorisé faisant la promotion d’un site de dropshipping.  Il est difficile de connaître toutes les célébrités et stars de télé-réalité dont les plus jeunes suivent le contenu sur les différents réseaux sociaux en vogue.[20]

Influenceurs, sont-ils responsables des sites dont ils font la promotion ?

Prenons le cas d’un consommateur ayant suivi le « bon plan » de son influenceur préféré, qui s’est avéré être du dropshipping et n’ayant pas reçu l’article qu’il pensait avoir acheté. Malgré la volonté du consommateur floué de porter la faute sur l’influenceur dont il a suivi les recommandations, celui-ci ne peut pas être accusé d’escroquerie s’il n’est pas le propriétaire du site de dropshipping. L’influenceur n’a la responsabilité que de faire la promotion d’un produit pour ce qu’il est réellement comme le ferait n’importe quel publicitaire. Ainsi, si le consommateur estime que l’influenceur est en faute, celle-ci se portera sur la publicité mensongère.

En droit suisse, la publicité mensongère est définie par l’art. 3 LCD. Les art. 9 et 10 LCD indiquent les actions possibles et quelle personne/institution possède la qualité d’agir afin d’interdire, faire cesser ou constater la pratique de concurrence déloyale. L’art. 23 LCD prévoit une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire pour l’auteur d’une pratique déloyale ayant agi intentionnellement. Il faut faire attention au caractère intentionnel de l’acte. En effet, il est probable, que pour se défendre, l’auteur plaide le fait de ne pas avoir été au courant que le site fonctionnait sur le principe du dropshipping et qu’il pensait réellement faire la promotion d’un produit authentique et non d’une contrefaçon. Prouver le contraire pourrait s’avérer difficile pour le consommateur.

Si l’influenceur se trouve hors du territoire suisse et y a commis les faits, il faut prendre en considération le principe de territorialité prévu à l’art. 3 du Code pénal (CP)[21] ainsi que des art. 6 et 7 CP qui concernent les crimes et délits commis à l’étranger. L’art. 21 LCD prévoit la collaboration entre les autorités fédérales compétentes et les autorités étrangères.

Dans le cas où l’influenceur a fait la promotion d’un site de dropshipping dont il est le propriétaire en vu de monter une escroquerie, celui-ci entre dans le champ d’action de l’art. 146 CP et peut être tenu pour responsable de l’escroquerie. Celui-ci aura peut-être usé d’une description d’article non-complète ou inexacte, la ligne de défense du vendeur se portera sur le fait que sa « technique » trompeuse n’est pas astucieuse. Notamment lorsqu’il est fait mention dans la description de l’article de mots ou phrases tels que « alternative à … », « produit comparable à … » ou encore « équivalent à … ».

De plus, pour se défendre de la tromperie astucieuse, le dropshipper va affirmer que le client devait avoir conscience ou du moins se rendre compte que le prix proposé n’est pas le prix du marché. Ou encore qu’un acheteur se doit d’être vigilant quant à ce qu’il achète et à sa description et ce encore plus sur internet quand celui-ci n’a pas la possibilité de voir réellement le produit. La pratique est certes malhonnête mais profiter de l’inattention ou de la naïveté du consommateur n’est pas nouveau et encore moins lors d’achats en ligne.

Comment éviter les pièges lors d’achats en ligne ? – Quelques conseils

L’une des premières recommandations est d’être un consommateur attentif et réfléchi. Le site internet sur lequel vous voulez acheter un produit est-il connu ? Si vous ne connaissez pas cette e-boutique, vous pouvez effectuer une recherche sur votre navigateur et voir si vous ne tombez pas sur des avis ou des forums informant d’un éventuel problème suite à une commande.[22]

Vérifiez également les informations concernant le site. En effet, les e-boutiques suisses et européennes doivent indiquer la raison sociale de l’entreprise, leur numéro identification, leur adresse postale et e-mail. Si vous arrivez jusqu’au stade du paiement, vérifiez que celui soit sécurisé.[23]

Si un article particulier vous intéresse, vérifier son prix et comparer avec les autres offres sur le marché. Un prix défiant toute concurrence n’est pas toujours bon signe, surtout s’il s’agit d’un produit de marque ou de luxe. Regardez si les autres boutiques en ligne plus connues font aussi une promotion sur ce produit. Si ce n’est pas le cas, demandez-vous comment une petite boutique en ligne arrive à proposer une réduction que des géants ne font pas.[24]

Méfiez-vous également des promotions sur des articles de marque qui ne font, en général, pas de réduction même durant les périodes de soldes. Ayez le même réflexe lors d’offres exceptionnelles dont le délai pour en profiter est très court.[25]

Faites une recherche inversée de l’image du produit disponible sur l’e-boutique ou recherchez ce produit sur les plateformes de ventes asiatiques d’où il pourrait provenir.[26]

Allez également jeter un coup d’œil du côté des avis liés au produit qui vous intéresse. L’absence de commentaires négatifs ou votes d’insatisfaction n’est pas toujours bon signe et peut révéler une modération de ce genre de commentaire. Le produit apparaît alors sous un jour plus favorable et donne confiance. Or un produit fait rarement l’unanimité chez tous les consommateurs.[27]

Pour terminer, à l’heure où de nombreux scientifiques tirent la sonnette d’alarme concernant l’avenir de la planète, demandez-vous si vous avez réellement besoin du produit que vous souhaitez acquérir. Si oui, ne vaut-il pas mieux acheter un bien de qualité avec le prix qui va avec et durera dans le temps plutôt qu’un produit de qualité moindre, voire médiocre qui pourrait casser après quelques utilisations et venant de pays aux conditions de travail obscures.


[1]. LA TRIBUNE, 2022. E-commerce : évolution et tendances. La Tribune [en ligne]. 20 janvier 2022. [Consulté le 4 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.latribune.fr/supplement/e-commerce-evolution-et-tendances-902384.html

[2] OFFICE FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE, 2022. E-commerce et e-banking. [en ligne]. 2022. [Consulté le 4 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiken/kultur-medien-informationsgesellschaft-sport/informationsgesellschaft/gesamtindikatoren/haushalte-bevoelkerung/e-commerce-e-banking.html

[3] Le dropshipping, c’est quoi et comment bien démarrer ?, 2018. Amarris Direct (ex-ECL Direct) [en ligne]. [Consulté le 4 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.expert-comptable-tpe.fr/articles/definition-du-dropshipping/

[4] Les meilleures alternatives AliExpress pour Dropshipping (Mai 2022) – Plateformes de commerce électronique, 2019. Ecommerce Platforms [en ligne]. [Consulté le 4 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://ecommerce-platforms.com/fr/ecommerce-selling-advice/aliexpress-alternatives

[5] RS  220 – Loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le code civil suisse (Livre cinquième: Droit des obligations), 2022. [en ligne]. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/27/317_321_377/fr

[6] TRAN, Manh, 2021. Guide dropshipping : Comment devenir un dropshipper ? Manh Tran Blog [en ligne]. 13 mars 2021. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https//www.icphs2015.info/comment-devenir-un-dropshipper/

[7] HÄMMERLI, Pascal, 2019. La vente en ligne et le droit suisse. Ethos Digital [en ligne]. 2 février 2019. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://ethos-digital.ch/integration/vente-en-ligne-et-droit-suisse/

[8] Directive 2011/83/UE

[9] Directive 2000/31/CE

[10] Règlement 2016/679/UE

[11] RS 241 – Loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la concurrence déloyale (LCD), 2022. [en ligne]. [Consulté le 6 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1988/223_223_223/fr

[12] ADMIN.CH, PME, 2021. Obligations légales: les lois suisses et européennes sur le e-commerce. [en ligne]. 2021. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.kmu.admin.ch/kmu/fr/home/savoir-pratique/gestion-pme/e-commerce/creer-son-site/obligations-legales-en-ch-et-dans-lue.html

[13] RS 942.211 – Ordonnance sur l’indication des prix du 11 décembre 1978 (OIP), état le 1er janvier 2022. [en ligne]. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1978/2081_2081_2081/fr

[14] WALRAVENS, Françoise, 2021. Dropshipping : arnaque ou bonne affaire ? RTBF [en ligne]. 31 mai 2021. [Consulté le 4 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.rtbf.be/article/dropshipping-arnaque-ou-bonne-affaire-10765754

[15] LE ROI DES RATS, 2018. LMPC17 – Le DROPSHIPPING : la nouvelle ARNAQUE ? [en ligne]. 30 novembre 2018. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=Kb13pjN0DKw

[16] MIRELLI, Anthony, 2022. Le dropshipping ou quand les influenceurs flirtent avec l’arnaque. RTBF [en ligne]. 5 janvier 2022. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.rtbf.be/article/le-dropshipping-ou-quand-les-influenceurs-flirtent-avec-larnaque-10667929

[17] ALBOUY, Agathe, 2021. « Dropshipping » : fausses promotions, produits nocifs… comment des influenceurs arnaquent des internautes crédules. ladepeche.fr [en ligne]. 6 mai 2021. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.ladepeche.fr/2021/05/04/dropshipping-fausses-promotions-produits-nocifs-comment-des-influenceurs-arnaquent-legalement-des-internautes-credules-9525116.php

[18] SIGNORET, Perrine, 2018. Revente de contrefaçons Aliexpress, argent volatilisé… : le business obscur des influenceurs. Numerama [en ligne]. 26 novembre 2018. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.numerama.com/pop-culture/442568-revente-de-contrefacons-aliexpress-argent-volatilise-le-business-obscur-des-influenceurs.html

[19] BAZOGE, Mickaël, 2020. Kylie et Kendall Jenner font la promo de clones d’AirPods. WatchGeneration [en ligne]. 3 août 2020. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.watchgeneration.fr/audio/2020/08/kylie-et-kendall-jenner-font-la-promo-de-clones-dairpods-10157

[20] Quels sont les réseaux sociaux les plus utilisés en France et dans le monde en 2022 ?, 2022. L’EMPREINTE DIGITALE [en ligne]. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://lempreintedigitale.com/podcast/classement-des-reseaux-sociaux-les-plus-utilises-france-monde-2021/

[21] RS 311.0 – Code pénal suisse du 21 décembre 1937, état le 1er juin 2022. [en ligne]. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/54/757_781_799/fr

[22] COLARUSSO, Iohan, 2019. 5 conseils pour se protéger contre les faux magasins en ligne. [en ligne]. 11 janvier 2019. [Consulté le 6 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.credit-conseil.ch/blog/5-conseils-pour-se-proteger-contre-les-faux-magasins-en-ligne/

[23] WALRAVENS, Françoise, 2021. Dropshipping : arnaque ou bonne affaire ? RTBF [en ligne]. 31 mai 2021. [Consulté le 4 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.rtbf.be/article/dropshipping-arnaque-ou-bonne-affaire-10765754

[24] DEMARCHESADMINISTRATIVES.FR, 2017. Achat sur internet : comment repérer et éviter les arnaques ? https://demarchesadministratives.fr/demarches/achat-en-ligne-comment-eviter-les-arnaques [en ligne]. 13 décembre 2017. [Consulté le 6 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://demarchesadministratives.fr/demarches/achat-en-ligne-comment-eviter-les-arnaquesFrance

[25] HERMAN-KASSE, Léandre, 2021. Arnaque en ligne: comment éviter le piège du dropshipping? Challenges [en ligne]. 23 juillet 2021. [Consulté le 6 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.challenges.fr/economie/consommation/arnaque-en-ligne-comment-eviter-le-piege-du-dropshipping_774494

[26] MIRELLI, Anthony, 2022. Le dropshipping ou quand les influenceurs flirtent avec l’arnaque. RTBF [en ligne]. 5 janvier 2022. [Consulté le 5 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.rtbf.be/article/le-dropshipping-ou-quand-les-influenceurs-flirtent-avec-larnaque-10667929

[27] LELOUP, Damien, 2019. Devenir riche sur Internet sans rien faire : les mirages du « dropshipping ». Le Monde.fr [en ligne]. 31 juillet 2019. [Consulté le 4 juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2019/07/31/devenir-riche-sans-rien-faire-les-mirages-du-dropshipping-sur-internet_5495194_4408996.html

L’application de l’UK Bribery act : une des lois internationales anti-corruption les plus répressives au monde. Une révolution ?

mardi 08 Nov 2022

Par Aïmi Reichenbach, étudiante du MAS en Lutte contre la criminalité économique

La loi américaine « Foreign Corrupt Practices Act » (FCPA) influence grandement la lutte contre la corruption internationale. Depuis 1998, les dispositions du FCPA s’appliquent aux :

  • entreprises qui émettent des titres sur le marché américain incluant également leurs employés, dirigeants, administrateurs, actionnaires, ou leur représentant (art. 15 USC §78dd-1) ;
  • aux citoyens, habitants et ressortissants des États-Unis ainsi que les entreprises sous l’égide de la législation américaine ou ayant leur hub principal sur le territoire américain, leurs employés, dirigeants, administrateurs, actionnaires ou représentants (art. 15 USC §78dd-2) ;
  • à toute personne physique ou morale, quelle que soit sa nationalité, qui a été impliquée dans un accord de corruption en provenance du territoire américain ou via l’utilisation du service postal américain ou de tout autre moyen ou outil de commerce interétatique (par exemple la devise américaine, les outils de communication américains tels que Gmail, Whatsapp, l’usage d’un iPhone, etc. …) (art. 15 USC § 78dd-3). [1]

La pierre angulaire de ces dispositions réside dans l’interprétation du lien, aussi ténu soit-il, entre l’acte de corruption et le sol américain. Ainsi, cette loi crée une hégémonie juridique difficile à rejeter de la part de tout pays étranger. [2] Effectivement, une corruption à l’international usant des infrastructures financières ou des données américaines peut se faire attaquer pas la FCPA. À titre illustratif, le FCPA a été mis en exécution dans l’affaire Alstom en 2019. La devise utilisée du pot-de-vin entre des agents publics indonésiens et un salarié d’une filiale Alstom U.K était le dollar. [3] Ainsi, l’amende FCPA infligée à Alstom s’est élevée à hauteur de 772 millions de dollars.[4]

Ces crimes sont passibles de lourdes peines, car les individus peuvent être condamnés à des peines allant jusqu’à cinq ans de prison en vertu du FCPA. Pour les personnes morales, elles sont passibles d’amendes pouvant aller jusqu’à 2 millions de dollars. Des frais supplémentaires peuvent être ajoutés, notamment les fausses déclarations, qui entrainent des amendes pouvant atteindre 25 millions de dollars.[5] Au total, les amendes pour violation du FCPA vont généralement de centaines de millions à 1 milliard de dollars. De plus, l’entreprise et ses employés peuvent être passibles de sanctions civiles et pénales.[6]

Un revenu conséquent, qui permet au gouvernement américain de multiplier les enquêtes de ce type et d’en faire la promotion tant au niveau national qu’international.[7]

Bien que les États-Unis aient longtemps été les protagonistes dans la lutte anticorruption extraterritoriale, le Royaume-Uni a fait trembler la place financière internationale en 2011 avec l’introduction de dispositions légales encore plus étendues « UK Bribery Act » (UKBA).[8]

Plus précisément, le champ d’application de l’UKBA est plus vaste concernant l’inaction ou le défaut de prévention face à des faits de corruption. Il est également plus vaste par rapport à l’exterritorialité. À titre d’exemple, une société étrangère peut être passible de sanctions pénales indépendamment du lieu de l’acte de corruption dans le monde à cause du seul fait d’avoir une présence commerciale au Royaume-Uni. Un individu peut également être poursuivi par l’UKBA dès lors qu’il entretient une relation étroite avec le Royaume-Uni. En outre, cette loi vise toutes les typologies de corruption.[9]

En vertu de la UKBA, les sanctions pénales pour les individus peuvent aller jusqu’à dix ans de prison ou/et une amende légale pouvant aller jusqu’à 5 000 livres sterling. Pour les personnes morales, la sanction maximale est une amende illimitée comprenant certaines conséquences collatérales pour les dirigeants, y compris la disqualification des administrateurs.[10]

Une révolution légale dans la lutte anticorruption à l’international. Cependant, qu’en est-il réellement de son application ?

En 2017 le comité de l’UKBA de la chambre des Lords a enquêté sur l’application de la loi réalisée par le Serious Fraud Office (SFO) ainsi que par leurs partenaires. Le SFO est un département non-ministériel du Royaume-Uni en charge de poursuivre les fraudes graves, les pots-de-vin et la corruption. Les recherches de cette enquête se sont basées sur son impact à l’égard des PME, sur le niveau de robustesse dans la poursuite des actes de corruption ainsi que sur le taux de corrélation avec les condamnations et les comportements illicites.[11]

Premièrement, peu de cas de corruption ont été poursuivis entre 2011 et 2017 malgré l’arsenal juridique du Royaume-Uni. À cet effet, plusieurs problématiques sous-jacentes ont été mises en exergue, à commencer avec les moyens de signalisations des faits de corruptions aux autorités compétentes. Au rang national, aucun mécanisme de signalisation centralisé n’a été mis en place pour remonter les actes de corruption.[12] Toutefois, un rapport d’activités suspectes (SAR) offre un outil supplémentaire pour détecter la corruption. Ce système oblige certaines entreprises et particuliers à soumettre des rapports à la National Crime Agency (NAC) s’ils savent ou soupçonnent qu’une personne est impliquée dans le blanchiment d’argent ou le trafic de biens criminels. Bien qu’ils ne soient pas spécifiquement concernés par la détection de la corruption, ils pourraient apporter leur aide dans ce domaine. Néanmoins, peu de ces rapports conduisent à une forme d’enquête de la part de la police ou d’une autre autorité compétente. Cependant, c’est une source précieuse qui contribue à lutter contre ces menaces. Ainsi, cet outil est plus d’usage préventif que répressif.[13]

Le manque de ressources financières du SFO est impliqué par la masse salariale des collaborateurs du SFO a historiquement été bas. Ceci entraîne un roulement du personnel qui perturbe la vitesse à laquelle les accusations sont portées jusqu’au jugement. Ainsi, le SFO mise sur de nouvelles technologies afin d’accélérer le traitement des dossiers complexes.[14]

La problématique de la dépendance financière du SFO a également été mise en lumière. Lors de requêtes de fonds supplémentaires, le SFO doit formuler une requête à la trésorerie. Ceci représente un risque émergeant des conflits d’intérêts qui est critiqué par l’OCDE. A titre d’exemple, le Gouvernement britannique pourrait refuser des déblocages de fonds pour certaines personnes physiques ou morales poursuivies par le SFO lorsqu’il ne voudrait pas qu’elles soient sanctionnées.[15] Ainsi, le budget du SFO est passé de 34.3 millions à 52.7 millions de livres sterling afin de palier en partie à cette problématique.[16]

Le manque de sensibilisation du public et des autorités est causé par les faits de corruption, qui sont souvent catégorisés par d’autres infractions, tels que l’abus de pouvoir ou encore l’inconduite dans la fonction publique. Ainsi, UKBA semble avoir été employée correctement seulement lors de délits mineurs relatifs à des pots-de-vin inférieurs à dix mille livres sterling. Cependant, cette tendance semble graduellement progresser vers de plus gros cas de corruption. Cet aspect résulte vraisemblablement d’une lacune de connaissance des forces de l’ordre à l’égard de la loi UKBA.[17] Ainsi, une formation des autorités compétentes est recommandée par le comité UKBA de la chambre des Lords afin qu’ils puissent mieux appliquer l’UKBA. Plus spécifiquement, il serait recommandé qu’au moins un officier supérieur par poste de police soit formé à l’application de l’UKBA.[18]

L’OCDE a émis une critique concernant le manque de coopération et de coordination du Royaume-Uni des nombreux organes impliqués dans les enquêtes et les poursuites pour corruption. La critique concerne en particulier le manque de sensibilisation et de communication entre les autorités répressives en Angleterre et au Pays de Galles et en Écosse.[19] Ainsi, le gouvernement britannique a créé en 2018 le National Economic Crime Centre qui réunit divers partenaires nationaux chargés de la réponse contre la criminalité économique en usant des informations du secteur privé ainsi que du gouvernement. Il est espéré que cette entité orientera de manière centralisée les questions sur la corruption.[20]

En finalité, l’application de l’UKBA est perturbée par un mécanisme de plainte décentralisé, un manque de sensibilisation des forces de l’ordre, par un manque de ressources financières et de coopération entre les organismes et les nations du Royaume-Uni.

Quels sont les nouveaux enjeux de l’UKBA ?

Bien que le texte UKBA comporte des lacunes dans son application, la loi est saluée au niveau international pour la lutte anti-corruption. Elle est également prise comme modèle de référence.[21]

Les faiblesses majeures de son application sont identifiées et en cours de résolution. Toutefois, ne nous sommes pas à la pointe de l’iceberg ? Qu’en n’est-il des strates précédentes telles que sa définition, sa sensibilisation ou encore de sa détection ?

Effectivement, rien que le stade de la détection est extrêmement complexe.[22] Elle dépend :

  • Des signalements spontanés ;
  • des lanceurs d’alerte et leur protection ;
  • des informateurs anonymes et collaborateurs de justice ;
  • des médias et journalisme d’investigation ;
  • des administrations fiscales ;
  • des cellules de renseignement financier ;
  • des autres organismes publics ;
  • des procédures judiciaires pénales et autres ;
  • de la coopération internationale ;
  • des conseillers professionnels (comptables…). [23]

Ne devrait-on pas tous les inclure dans la stratégie anticorruption transnationale ?

En outre, qu’en est-il d’autres facteurs intrinsèques tels que par exemple la pandémie du Covid-19, les cryptomonnaies et le Brexit ? De quelle manière ces facteurs peuvent-ils influencer le phénomène de la corruption et ainsi la stratégie à adopter face à celle-ci ?

Ceci nous rappelle à quel point le phénomène de la corruption est opaque et, de la même manière, omniprésent dans tout notre écosystème. Ainsi, il est primordial d’étudier chaque aspect de ce phénomène pour y lutter efficacement.


[1] Durfourq, Pauline, et Manon Krouti. « De nouvelles réflexions autour de l’extraterritorialité de la loi pénale américaine anticorruption – Droit pénal des affaires | Dalloz Actualité », 13 septembre 2019. https://www.dalloz-actualite.fr/flash/de-nouvelles-reflexions-autour-de-l-extraterritorialite-de-loi-penale-americaine-anticorruptio#.XwXy_5MzbQ0.

[2] Felardos, Mathis, Manon Fontaine Armand, Gaëlle Landru, et Astrid Lucet. « L’extraterritorialité Américaine : Une Superpuissance Juridique de La Lutte Contre La Corruption Mondiale ». Analyse, 20 janvier 2018. https://portail-ie.fr/analysis/1720/lextraterritorialite-americaine-une-superpuissance-juridique-de-la-lutte-contre-la-corruption-mondiale.

[3] idem nbp 1.

[4] Pfefferlé, Alexis. « Loi anticorruption américaine : une arme de déstabilisation massive ». Bon baiser de Suisse (blog), 7 février 2018. https://blogs.letemps.ch/alexis-pfefferle/2018/02/07/loi-anti-corruption-americaine-une-arme-de-destabilisation-massive/.

[5] TThe United States Department of justice. « Dispositions sur la lutte contre la corruption et sur les livres comptables et les archives de la Loi sur les pratiques de corruption à l’étranger en vigueur jusqu’à Pub. L. [Lois publiques] 105-366 (10 novembre 1998) ». Washington: United States governement, 22 juillet 2004. https://www.justice.gov/sites/default/files/criminal-fraud/legacy/2012/11/14/fcpa-french.pdf.

[6] Navex Global. « Conformité à la loi FCPA | NAVEX Global », 2020. https://www.navexglobal.com/fr-fr/r%C3%A8glements/conformit%C3%A9-%C3%A0-la-loi-FCPA.

[7] White & Case LLP – George J. Terwilliger III. « Foreign Corrupt Practices Act: Efficient and Effective Compliance Solutions in a Heightened Enforcement Environment ». Lexology, 7 mai 2008. https://www.lexology.com/library/detail.aspx?g=dd20c0d0-09e0-4c9a-a0f7-681416e9442d.

[8] idem nbp 2.

[9] Limbour, Alexandre, et Matthias Guillou. « Le UK Bribery Act ». Lexis Nexis, septembre 2011. http://web.lexisnexis.fr/newsletters/avocats/09_2011/2-jcp-g-uk-bribery-act-eq.pdf.

[10] Sohlberg, Marcus. « The United Kingdom Bribery Act 2010 – Anti-Corruption Legislation with Significant Jurisdictional Reach ». Web page. Library of Congress, 6 septembre 2015. https://www.loc.gov/law/help/uk-bribery-act/uk-bribery-act.php.

[11] Great Britain et Ministry of Justice. Government Response to the House of Lords Select Committee on the Bribery Act 2010, 2019.

[12] idem nbp 11.

[13] Select Comitee on the Bribery Act 2010. « The Bribery Act 2010: Post-Legislative Scrutiny ». London: House of Lords, 14 mars 2019.

[14] idem nbp 11.

[15] idem nbp 11.

[16] idem nbp 13.

[17] idem nbp 11.

[18] idem nbp 13.

[19] UK Parliament. « Bribery Act 2010 “an Exemplary Piece of Legislation”, Say Lords Committee – News from Parliament ». UK Parliament, 14 mars 2019. https://www.parliament.uk/business/committees/committees-a-z/lords-select/bribery-act-2010/news-parliament-2017/bribery-act-2010-report-publication/.

[20] idem nbp 13.

[21] idem nbp 13.

[22] «Bilan. « «L’acte de corruption est très difficile à prouver» ». Consulté le 16 mai 2022. https://www.bilan.ch/tv-bilan/_l_acte_de_corruption_est_tres_difficile_a_prouver_.

[23] OCDE. « The-Detection-of-Foreign-Bribery-FR », 2017. https://www.oecd.org/corruption/anti-bribery/The-Detection-of-Foreign-Bribery-FR.pdf.

Sanctions financières envers la Russie : obligations pour le système bancaire, possibilité de contournement au travers des cryptomonnaies ?

jeudi 06 Oct 2022

Par Carole Praz, étudiante du MAS en Lutte contre la criminalité économique

Le 24 février 2022, l’Ukraine se fait envahir par les Russes sur ordre de leur président, Vladimir Putin. Les raisons de cette démarche offensive proviennent essentiellement d’un conflit de longue date entre les deux pays. Ladite invasion n’est pas sans conséquence car l’Union Européenne réplique immédiatement en tentant de restreindre au maximum les possibilités d’agissements du Kremlin au travers de diverses sanctions. Ces mesures ont notamment une portée individuelle, économique et diplomatique.[1]

Quatre jours plus tard, la Suisse décide de se rallier aux décisions de l’Union Européenne et reprend les trains de sanctions édictés par cette dernière.[2] Par la suite, le Conseil fédéral émet, le 4 mars 2022, l’Ordonnance instituant des mesures en lien avec la situation en Ukraine. Ce texte législatif clarifie les questions concernant les restrictions commerciales et financières, ainsi que d’autres restrictions telles que le trafic aérien.[3]

Le présent article étant centré sur l’impact des sanctions financières dans le domaine bancaire et leur possible de contournement, il s’agit dans un premier temps de d’identifier les personnes touchées par la Section 3 : restrictions financières de l’ordonnance.

Qui est touché par les sanctions financières ?

L’ordonnance différencie deux catégories de personnes. Premièrement, les individus de nationalité russe disposant d’un permis de séjour de durée limitée ou illimitée en Suisse ou de la double nationalité ne sont pas concernés par les mesures financières. Autrement dit, pas de gel des avoirs et des ressources économiques ni de restrictions concernant les valeurs mobilières et les instruments du marché monétaire ou montant de dépôt.

Deuxièmement, l’ordonnance impose aux personnes et institutions détenant ou gérant des avoirs, l’obligation de déclarer au Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) la deuxième catégorie de personnes, c’est-à-dire celles domiciliées en Russie ou de nationalité russe au bénéfice de dépôts supérieurs à CHF 100’000. Cette liste était à fournir au SECO jusqu’au 3 juin 2022 et doit être mise à jour tous les ans.[4] Une violation de ces dispositions constitue une violation de la Loi sur les Embargos [5] et peut conduire jusqu’à une peine de cinq ans d’emprisonnement avec une amende d’un million de francs dans les cas les plus graves (art. 9 al. 2 LEmb). Les actifs gelés en Suisse s’élèvent actuellement à CHF 6,3 milliards. [6]

Quels sont les enjeux pour les banques ?

Au vu du caractère urgent de la situation, les banques ont dû s’adapter rapidement en sortant de leurs bases de données, tous les titulaires de comptes, ayants droit économiques et détenteurs de contrôle ayant un lien de près ou de loin avec la Russie. Étant donné que la loi, respectivement la convention de diligence bancaire (CDB 20)[7] ne donne pas d’instruction précise concernant le type de document d’identité nécessaire à l’identification des clients, certaines banques ont dû commencer par identifier les personnes bénéficiant d’un permis de séjour ou de la double nationalité. Puis, dans un deuxième temps, les établissements financiers ont dû analyser toutes leurs relations d’affaires existantes au cas par cas, à savoir : qui est le client selon le principe du KYC (Know your Custumer), se trouve-t-il sur la liste des personnes sanctionnées, quels types de biens sont détenus etc. Chaque nouvelle relation d’affaires impliquant un lien avec la Russie doit être étudiée en amont par le service Compliance ou un service similaire. La Confédération met à disposition sur son site internet un moteur de recherche concernant les destinataires des sanctions.[8]

Le plus grand défi pour les banques, outre le travail de contrôle supplémentaire mentionné, est de trouver un juste milieu entre la liberté contractuelle et le respect des dispositions légales en ce qui concerne les personnes et les biens sanctionnés ou, le cas échéant, un lien possible avec ceux-ci.

Transactions interdites et exclusion de SWIFT 

Une deuxième partie des mesures mises en place, notamment les articles 24, 24a et 27 de l’ordonnance citée ci-dessus, touchent directement les transactions depuis ou vers la Russie, ainsi que le service de messagerie financière.[9] Autrement dit, les transactions sont systématiquement bloquées, contrôlées et déclinées si elles proviennent de la banque centrale de la Fédération de Russie, de banques ou entreprises sises en Russie ou de banques ou entreprises sur le territoire suisse, mais majoritairement contrôlées par des banques ou des entreprises russes.

Un aspect important et impactant pour les Russes est l’exclusion de Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (SWIFT). En effet, le service de messagerie de SWIFT, a pour but la transmission sécurisée entre institutions financières d’informations au travers d’un système de codes standardisé.[10] Il s’agit principalement d’informations et d’instructions concernant les transferts de fonds à l’international. Malgré le fait que SWIFT n’effectue aucune transaction financière, c’est un outil essentiel dans le monde bancaire sans lequel énormément de portes se ferment pour les Russes, car ils ne peuvent pas effectuer de transferts à l’étranger.

Si nous partons du principe que le système bancaire applique contentieusement les mesures imposées, les Russes sont largement freinés dans leurs marges de manœuvre et la question est de savoir si les cryptomonnaies pourraient représenter un contournement des sanctions. 

Possibilité de contournement au travers des cryptomonnaies ?

Le monde des cryptomonnaie se définit par la décentralisation, le « pair à pair ». En d’autres termes, les transactions monétaires ont lieu sans passer par une banque centrale. Toutes les transactions sont inscrites dans un registre public appelé « blockchain » et sont vérifiées par les acteurs du réseau. Il n’y a pas d’intervention du gouvernement, ni d’identification effective des utilisateurs, ce que l’on nomme « pseudonymisation ».

Au vu de leur exclusion de SWIFT et de la perte de valeur du rouble, les Russes se sont instinctivement tournés vers les cryptoactifs. Dans les quelques semaines qui ont suivi le début de la guerre, on a pu observer un engouement particulier pour le Bitcoin. Il y a notamment deux raisons à cette réaction. La première est que ce comportement s’apparente à celui de l’investissement dans l’or comme valeur refuge.[11] La seconde, est due au caractère de pseudonymisation des transactions qui permet aux riches oligarques de continuer leurs activités sans être impactés par les sanctions les visant, car ils agissent en dehors du système traditionnel.[12] Depuis l’invasion russe en Ukraine, certains oligarques ont tenté de liquider leur fortune en l’investissant dans l’immobilier dubaïote.[13]

Toutefois, les spécialistes du monde économique ne craignent pas une possibilité de contournement des sanctions au travers des cryptodevises notamment pour les raisons suivantes :

  • Premièrement, il n’y a pas assez de cryptomonnaie en circulation en comparaison avec les millions en jeu; [14]
  • Ensuite, les grandes plateformes de crypto comme Binance ou Coinbase ont décidé d’appliquer des sanctions à l’encontre des Russes notamment par souci de crédibilité et d’équité ;[15] [16]
  • Pour finir, le système de blockchain est public, par définition. Un trop gros volume pourrait alerter les observateurs de baleines – investisseurs possédant un nombre si important d’actifs qu’ils peuvent influencer le cours de ce dernier. [17]

De plus, la société d’audit spécialisée dans la crypto, Chainalysis, offre, par exemple, un outil qui permet de voir si les entreprises dans le domaine font des transactions avec des comptes litigieux.[18]

Conclusion

Au vu des faits énumérés ci-dessus, le contournement des sanctions envers la Russie au travers des cryptoactifs ne semble pas être une menace pour l’instant. Cependant, il faut calculer les risques en prenant en compte le fait que c’est un monde en constante évolution.

De plus, les institutions financières doivent continuer à être vigilantes et à surveiller de manière accrue leurs relations d’affaires et les transactions en lien avec la Russie. Malgré le fait que les banques disposent de par la loi d’un programme de Name Matching soutenu par le système, il n’est pas exclu que des personnes non sanctionnées reçoivent des fonds de Russie dont l’origine n’est pas vérifiable (éventuellement un homme de paille). Il existe donc un certain risque lors de l’acceptation des fonds. Le blanchiment d’argent est au cœur de cette thématique et les criminels sont toujours plus créatifs.


[1] Conseil européen, conseil de l’Union européenne, Le point sur les sanctions de l’UE contre la Russie, consilium.europa.eu. [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/restrictive-measures-against-russia-over-ukraine/sanctions-against-russia-explained/

[2] Le secrétariat à l’Etat d’économie SECO, La Suisse reprend les sanctions de l’UE contre la Russie. seco.admin.ch [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.seco.admin.ch/seco/fr/home/seco/nsb-news.msg-id-87386.html

[3] Ordonnance instituant des mesures en lien avec la situation en Ukraine du 4 mars 2022 (Etat le 10juin 2022) (RS 946.231.176.72). Le Conseil fédéral suisse [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2022/151/fr

[4] Le secrétariat à l’Etat d’économie SECO, FAQ – Sanctions contre la Russie, seco.admin.ch [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.seco.admin.ch/seco/fr/home/Aussenwirtschaftspolitik_Wirtschaftliche_Zusammenarbeit/Wirtschaftsbeziehungen/exportkontrollen-und-sanktionen/sanktionen-embargos/sanktionsmassnahmen/faq_russland_ukraine.html

[5] Loi fédéralesur l’application de sanctions internationales (Loi sur les embargos, LEmb) du 22 mars 2002 (Etat le 1er janvier 2022) (RS ; 946.231). L’Assemblée fédérale de la Confédération suisse [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2002/564/fr

[6] Le secrétariat à l’Etat d’économie SECO, FAQ – Sanctions contre la Russie, seco.admin.ch [en ligne]. [Consulté au mois de juin 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.seco.admin.ch/seco/fr/home/Aussenwirtschaftspolitik_Wirtschaftliche_Zusammenarbeit/Wirtschaftsbeziehungen/exportkontrollen-und-sanktionen/sanktionen-embargos/sanktionsmassnahmen/faq_russland_ukraine.html

[7] Convention relative à l’obligation de diligence des banques (CDB 20), Swiss Banking, swissbanking.ch [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.swissbanking.ch/_Resources/Persistent/b/b/5/6/bb567395296e7938825156ac506c7319d6c9651b/ASB_Convention_CDB_2020_FR.pdf

[8] Le secrétariat à l’Etat d’économie SECO, Recherche des destinataires de sanctions, seco.admin.ch [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.seco.admin.ch/seco/fr/home/Aussenwirtschaftspolitik_Wirtschaftliche_Zusammenarbeit/Wirtschaftsbeziehungen/exportkontrollen-und-sanktionen/sanktionen-embargos/sanktionsmassnahmen/suche_sanktionsadressaten.html

[9] Ordonnance instituant des mesures en lien avec la situation en Ukraine du 4 mars 2022 (Etat le 10juin 2022) (RS 946.231.176.72). Le Conseil fédéral suisse [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2022/151/fr

[10] MA-NEOBANQUE, Swift : Principes et fonctionnement, 28 février 2022 par David, ma-neobanque.com [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.ma-neobanque.com/swift-principes-et-fonctionnement/

[11]  TV5 Monde, Ukraine-Russie : quels usages des crypto-monnaies pendant la guerre ? 25 mars 2022 par Benjamin Beraud, information.tv5monde.com [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://information.tv5monde.com/info/ukraine-russie-quels-usages-des-crypto-monnaies-pendant-la-guerre-450171

[12] Lémanbleu tv, Guerre en Ukraine: les cryptomonnaies mises en lumière, 15 mars 2022 par Julie Zaugg, lemanbleu.ch [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.lemanbleu.ch/fr/Actualites/Geneve/2022031592326-Guerre-en-Ukraine-les-cryptomonnaies-mises-en-lumiere.html

[13]  Le Monde, Cryptomonnaies et appartements à Dubaï, les nouveaux investissements des milliardaires russes, 15 mars 2022, lemonde.fr [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/03/15/cryptomonnaies-et-appartements-a-dubai-les-nouveaux-investissements-des-milliardaires-russes_6117625_4408996.html

[14]  France Inter, Le bitcoin part en guerre, radiofrance.fr [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-eco/la-chronique-eco-du-samedi-02-avril-2022-5286600

[15]  The Coinbase blog, Using Crypto Tech to promote Sanctions Compliance, 7 mars 2022, par Paul Grewal, Chief Legal Officer, blog.coinbase.com [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://blog.coinbase.com/using-crypto-tech-to-promote-sanctions-compliance-8a17b1dabd68

[16] Binance, Changes of Services to Users in Russia, 21 avril 2022, binance.com [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.binance.com/en/support/announcement/4887e569afdf4b1e89e024371d3a49b9

[17] Complyadvantage, Les sanctions vont-elles jeter la Russie dans les bras des crypto-monnaies ? 20 avril 2022, complyadvantage.com [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://complyadvantage.com/fr/insights/les-sanctions-vont-elles-jeter-la-russie-dans-les-bras-des-crypto-monnaies/#:~:text=Crypto%2Dmonnaies%20et%20contournement%20des%20sanctions&text=Aucune%20obligation%20de%20vigilance%20%C3%A0,et%20sans%20v%C3%A9rifi

[18] JDN, Sanctions contre la Russie : les grandes plateformes crypto face à la crise, 18 mars 2022 par Vincent Touveneau, journaldunet.com [en ligne]. [Consulté au mois d’avril 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.journaldunet.com/economie/finance/1510057-sanctions-crypto-contre-la-russie-le-dilemme-des-grandes-plateformes-crypto-face-a-la-crise/

Les risques dans le métavers

mercredi 21 Sep 2022

Par Alev Camyurdu, une étudiante du MAS en Lutte contre la criminalité économique

Introduction

Le « métavers », ce mot qui se trouve désormais sur toutes les lèvres ! En octobre dernier, lorsque la société anciennement appelée « Facebook » change de nom pour devenir Meta Platforms Inc., dit Meta, tout le monde s’interroge sur ce terme.

Si on remonte à son origine, c’est Neil Stephenson qui invente, en 1992, le terme de « métavers » paru dans son roman Le Samouraï Virtuel. L’histoire se déroule dans un univers futuriste parallèle accessible par un casque.[1] En 1993, la société de jeux Steve Jackson Games lance un MMO, qui est « un jeu en ligne massivement multijoueur qui fait participer un très grand nombre de joueurs simultanément, par le biais du système de réalité virtuelle basé sur du texte et à faible consommation de bande passante, appelé The Metaverse ».[2]

Depuis, le métavers a bien évolué. Bill Gates prédit même que dans les prochaines années, les entreprises organiseront leurs vidéoconférences dans cet univers.[3] Le métavers semble tout proche et son impact sur notre quotidien est grandement discuté. Nous proposons donc de passer en revue quelques risques dans le métavers, afin de mieux s’y adapter dans le futur. Pour cela, nous définirons le métavers, nous évoquerons quelques principaux risques et puis, nous conclurons brièvement par l’actualité.

Le métavers, qu’est-ce que c’est ?

Le mot « metaverse » ou « métavers » est une contraction de « meta » et « univers ». Il se décrit comme l’internet du futur, un monde dans lequel, grâce à un personnage virtuel (avatar) ou un hologramme, les utilisateurs peuvent se retrouver et interagir à travers un casque de réalité virtuelle accessible via une connexion réseau et une projection laser sur des lunettes.[4] Il s’agit là d’applications compatibles avec la blockchain décentralisée, basée sur une économie d’échanges en crypto-monnaies utilisés par les consommateurs.

C’est un lieu où les gens ont la possibilité d’échanger des idées entre communautés en ligne, d’écouter des concerts de stars, de faire des courses virtuelles, d’acheter, de vendre, de gagner et d’échanger toutes sortes de choses, telles que des biens immobiliers, des tickets sportifs, des vêtements pour son avatar, etc. et des articles sous forme de tokens non fongibles (non-fungible tokens ou NFT)[5]. Autant dire que le métavers est la nouvelle plateforme de négociation. Le flux financier y est aussi important que dans la réalité, ce qui ne laisse pas le système sans risques.

Les risques dans le métavers

Dans le métavers, le risque virtuel a supplanté le risque réel. Plus notre monde physique devient virtuel, plus les enjeux augmentent. Internet, devenu une sphère de consommation, est également une station de diffusion où les risques concrets pour l’individu doivent être réévalués, car la traçabilité des preuves n’est pas assurée. Les cyber-risques étant transnationaux et les risques pour les utilisateurs ne connaissant pas de frontières, les sociétés doivent régler les problèmes de sécurité et de réglementation pour protéger les utilisateurs.

Un des risques les plus importants est la soustraction de données, notamment le vol d’identité. Les identités numériques, qui se créent en un clic, fournissent des données personnelles gigantesques aux fraudeurs. Cette forme de collecte de données est très sensible. En Suisse, selon la statistique policière de la criminalité (SPC) de l’Office fédéral de la statistique (OFS), entre 2020 et 2021, la soustraction de données a augmenté de 35%, soit respectivement de 528 à 713 infractions.[6] Les entreprises doivent donc continuellement assurer la protection et la sécurité des données de leurs utilisateurs en suivant l’évolution numérique ainsi que celle de la cybersécurité.

Il convient évidemment de se questionner sur la situation fiscale des développeurs et des consommateurs. Ainsi, le système financier virtuel crée des avantages crypto-monétaires qui profitent aux personnes dans le monde réel. Par exemple : les designers peuvent lancer leurs créations sans frais de production ; en revanche, ils se feront livrer à domicile par un coursier ce qui a été acheté par le consommateur. Toutes les négociations, qu’il s’agisse de développements de la marchandisation, du futur cyberespace, des échanges e-commerce, des nouveaux emplois, de la consommation réelle, etc., établies ou échangées par un flux financier nécessiteraient de faire l’objet d’une réglementation fiscale, sans quoi une inégalité sociale ou financière se fera sentir parmi la communauté numérique.

Lorsqu’on parle de régulation, on pense également aux sanctions concernant les actes criminels virtuels. A l’heure actuelle, « les lois contre les actes criminels protègent les personnes réelles et vivantes »[7] et chaque plate-forme de réseaux sociaux définit ses propres conditions d’utilisations. Il n’y pas encore de lois pénales qui condamnent les actes criminels dans le monde virtuel. Dans les prochaines années, nous assisterons peut-être à des changements de la loi dans le monde physique pour une plus grande protection juridique ou pour l’obtention de la personnalité juridique de l’avatar.

La monnaie numérique n’est pas un thème moins risqué. L’utilisation de la monnaie numérique, telle que les crypto-monnaies, est très risquée et les fraudes y sont très fréquentes. « Les utilisateurs peuvent subir n’importe quoi de l’autorisation d’opérer (ATO), de la fraude multi-comptes, de la fraude d’affiliation, des rétrofacturations, etc., lorsqu’ils naviguent dans les paiements »[8]. De là découlent autant de projets dans le métavers comme les projets blockchain play-to-earn (P2E) et les projets immobiliers, qui promettent des gains aux investisseurs, mais dont les fonds sont finalement récoltés par des escrocs.

Autant dire que les risques se multiplient là où l’économie s’annonce florissante. Les prix explosent dans le métavers et tout le monde espère faire de l’argent.

Et l’actualité dans tout ça ?

D’après, Jensen Huang, le CEO du fabricant de puces Nvidia, « l’économie du metaverse pourrait même un jour éclipser l’économie réelle » [9]. Selon un rapport de Bloomberg en novembre 2021, le métavers pourrait engendrer un marché annuel d’environ 800 milliards de dollars.[10].

Conformément à l’étude de CBInsight en avril 2022, il y a plus de 90 entreprises qui ont investi dans le développement du métavers.[11] C’est dire que les entreprises y préparent déjà leurs places. En Suisse, en 2015, la start-up de l’EPFL Faceshift a été acheté par Apple et en 2016, c’est Meta (anc. Facebook) qui rachète la start-up suisse Zurich Eye. En 2022, l’entreprise Walmart annonçait qu’elle voulait lancer dans le métavers des centres commerciaux qui livreront à domicile par un coursier ce qui a été placé dans le panier virtuel du consommateur. Les consommateurs de produits de luxes feront leurs achats dans les boutiques virtuelles pour recevoir leurs produits physiquement. Sans compter, que ces activités virtuelles vont créer de nouveaux emplois tels que les stylistes de métavers, les concierges virtuels, les guides touristiques, les chief metaverse officer, etc.[12]

Conclusion

Toutefois, la transition vers le nouveau monde numérique ne pourra se faire sans la protection des personnes physiques ! Il ne s’agit pas de s’attaquer au fondement même de l’univers numérique, mais d’en solidifier sa structure afin qu’il perdure dans le temps, dans les règles politiques, sociales et humaines !


[1] Geschichtedergegenwart, Jonas Frick, 2021, Neal Stephenson und das Metaverse, [en ligne], [Consulté le 14.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://geschichtedergegenwart.ch/neal-stephenson-und-das-metaverse/

[2] Wikipédia, Moncetz, 2021, Métavers, [en ligne], [Consulté le 14.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Métavers

[3] PME, Kowalsky Marc, 2022, Pourquoi le metaverse restera longtemps du domaine de la fiction, [en ligne], [Consulté le 14.04.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.pme.ch/strategie/2022/04/11/pourquoi-le-metarverse-restera-encore-longtemps-du-domaine-de-la-fiction

[4] Orthodidacte le dictionnaire, Métavers, [en ligne], [Consulté le 15.05.2022]. Disponible à l’adresse : https://dictionnaire.orthodidacte.com/article/definition-metavers

[5] Cryptoast, Narozniak Blandine, 2022, Metaverse : comprendre ces mondes virtuels basés sur la blockchain et les NFTs, [en ligne], [Consulté le 22. 05.2022]. Disponible à l’adresse : https://cryptoast.fr/metaverse-comprendre-mondes-virtuels-blockchains-nfts/

[6] Office fédéral de la statistique (OFS), 2022, Rapport annuel 2021 des infractions enregistrées par la police, [en ligne], [Consulté le 24. 05.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/criminalite-droit-penal/police.assetdetail.22164351.html

[7] Techtribune, Linville Paillion, 2022, Les experts du métaverse révèlent si vous pouvez assassiner dans le monde virtuel, [en ligne], [Consulté le 06.06.2022]. Disponible à l’adresse : https://fr.techtribune.net/web3/les-experts-du-metaverse-revelent-si-vous-pouvez-assassiner-dans-le-monde-virtuel/291363/

[8] Techtribune, Linville Paillion, 2022, Le régulateur bancaire chinois met en garde contre les risques de fraude dans le métaverse, [en ligne], [Consulté le 11.05.2022]. Disponible à l’adresse : https://fr.techtribune.net/web3/le-regulateur-bancaire-chinois-met-en-garde-contre-les-risques-de-fraude-dans-le-metaverse/248121/

[9] Ibid nbp 3.

[10] Bloomberg, Intelligence, 2021, The metaverse is already now; Four surprising BI charts [en ligne], [Consulté le 06. 06.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.bloomberg.com/professional/blog/the-metaverse-is-already-now-four-surprising-bi-charts/?tactic-page=431091

[11] CBInsights, The metaverse could be tech’s next trillion-dollar opportunity: These are the companies making it a realtiy, [en ligne], [Consulté le 29.05.2022]. Disponible à l’adresse : https://www.cbinsights.com/research/metaverse-market-map/

[12] Ibid nbp 3.

Sources supplémentaires

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Cornell University, Yuntao Wang, Zhou Su, Ning Zhang, Dongxiao Liu, Rui Xing, Tom H. Luan, Xuemin Shen, 2022, A survey on metaverse : fundamentals, security, and privacy [en ligne], [Consulté le 06. 06.2022]. Disponible à l’adresse : https://arxiv.org/abs/2203.02662

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