Crédit COVID-19 et cautionnement solitaire. La faiblesse du système au profit des fraudeurs.

mercredi 20 Oct 2021

Par une étudiante du CAS IF de l’ILCE

Introduction

Le 25 février 2020, la Suisse annonçait son premier cas de Covid-19[1]. L’arrivée de la maladie, appelée également coronavirus, a mis le pays, non seulement dans une crise sanitaire immense, mais a également bloqué le système économique de manière drastique. Afin d’éradiquer la pandémie, le 16 mars 2020, le Conseil Fédéral a décrété l’état d’urgence dans tout le pays, et ce jusqu’au 19 avril 2020 au moins. Les conséquences de cette décision sont brutales : fermeture des écoles, restaurants, magasins, commerces non essentiels, lieux de loisirs[2]. Si les mesures semblaient avoir été bien acceptées par une majorité de la population[3] et si les assouplissements annoncés, prévus par étapes, laissaient présager une relance positive, l’économie du pays a été gravement impactée et les conséquences se sont vite fait sentir.

Cadre juridique

Le 25 mars 2020, une ordonnance a été mise en place pour l’octroi de crédits et de cautionnements solidaires liés au coronavirus[4]. Le but visé par le Conseil Fédéral était d’atténuer les conséquences économiques de la lutte contre la pandémie[5] et la mise en place de cette ordonnance devait ainsi garantir les crédits bancaires destinés à satisfaire les besoins courants en liquidités des entreprises[6].

Au sens de l’art. 3 al. 1 de l’Ordonnance sur l’octroi de crédit et de cautionnements solidaires à la suite du coronavirus, les entreprises individuelles, les sociétés de personnes ou les personnes morales ayant leur siège en Suisse, pouvaient requérir une aide financière, sous certaines conditions. En effet, elles doivent avoir été fondées avant le 1er mars 2020, et ne pas se trouver, ni en faillite, ni en procédure concordataire, ni en liquidation au moment du dépôt de la demande. Elles doivent également montrer qu’elles ont été affectées sur le plan économique en raison de la pandémie, notamment en ce qui concerne leur chiffre d’affaires et qu’elles n’avaient pas déjà obtenu des garanties de liquidités au titre des réglementations du droit d’urgence applicables aux domaines du sport et de la culture au moment du dépôt de la demande.

Rapidité, facilité… appel à l’illégalité

Pour l’obtention d’un crédit COVID-19, le Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche ainsi que le Département fédéral des finances ont mis à disposition des requérants une plateforme dédiée aux crédits transitoires pour les entreprises[7]. Celle-ci indiquait notamment que les crédits permettaient d’aider les entreprises concernées, de manière non bureaucratique, ciblée et rapide et que les crédits d’un montant inférieur ou égal à CHF 500’000.- étaient versés très rapidement et sans formalité excessive, avec un taux d’intérêt à 0 %.

Demande de crédit COVID-19 jusqu’à CHF 500’000. Source : https://covid19.easygov.swiss/fr/.

Afin d’aider de manière concrète et rapide les entreprises en difficulté, il était nécessaire que le législateur mette en place un processus simple et sans contrôle, par conséquent, basé sur la confiance. Il n’en a pas fallu plus pour ouvrir la porte aux tricheurs ! L’octroi facilité et sans contrôle de capitaux a incontestablement attiré les criminels économiques qui n’ont pas hésité à profiter des largesses du système. Serge Gaillard, en charge de l’Administration fédérale des finances lorsque les crédits COVID-19 ont été mis en place, a confirmé que la procédure facilitée présentait un risque de fraude assumé[8]. En effet, si entre le 26 mars 2020 et le 31 juillet 2020, plus de 137’000 demandes de crédits[9] ont été accordées par les institutions bancaires de notre pays, 1’306 cas ont fait l’objet de dénonciations auprès des autorités pénales. Alors qu’aucun canton n’a échappé au phénomène, plus de 163 millions ont été obtenus de manière délictueuse[10].

De plus, si le législateur a élaboré les bases légales pour réaliser les contrôles après coup [11], tout le monde s’accorde à dire qu’il est extrêmement difficile de rapatrier des fonds détournés.

Pas de pitié pour l’Etat

Si la mise en place du cautionnement solidaire avait pour but de faciliter l’accès au financement des entreprises impactées par la pandémie et permettre ainsi une relance de l’économie suisse, l’Etat s’est finalement trouvé lésé dans sa propre décision.

Alors que le principe de solidarité réside dans le fait d’agir dans un intérêt commun, il n’en est rien pour le criminel économique, centré sur lui, cupide et démuni de toute moralité. Si le mode opératoire de l’obtention des crédits demeure un acte malhonnête, l’usage des fonds l’est encore plus !

Parmi les abus les plus fréquents, il a notamment été relevé la sollicitation de plusieurs crédits par le même requérant ou la reprise d’un chiffre d’affaires nettement supérieur à celui réalisé par l’entreprise, permettant ainsi l’obtention d’un prêt plus important[12]. Quant à l’usage des capitaux qui devaient servir au fonctionnement de la société, ils ont fini dans la poche des patrons pour leurs conforts personnels. Pour certains, il s’agissait de vacances au soleil, pour d’autres le financement d’une voiture ou d’un train de vie dispendieux[13]. En sus, leurs sociétés étaient, pour la plupart, déjà en difficulté financière avant l’arrivée de la pandémie, et les prêts obtenus, même de manière illicite auraient pu servir à payer les créanciers.

Les fraudeurs, auteurs présumés d’escroquerie et de faux dans les titres, ont souvent justifié leurs actions en minimisant les conséquences ou en estimant qu’ils étaient naturellement dans leur droit, l’Etat leur ayant mis de l’argent à disposition[14]. Il s’agissait principalement de microentreprises actives dans le domaine de la restauration, des travaux de construction et du commerce de détail[15].

L’Etat n’avait pas d’autre choix que de prendre le risque d’attirer les fraudeurs pour que la mise en place des crédits soit efficace. Si au regard de l’entier des prêts accordés, les fraudeurs ne représentent toutefois qu’une faible proportion, des capitaux à hauteur de plusieurs millions de francs provenant des caisses de l’Etat ont servi égoïstement aux entrepreneurs malhonnêtes, lésant par conséquent les PME en difficulté, principal poumon de l’économie suisse. In fine, l’Etat, qui n’est autre que chaque contribuable suisse, restera seul lésé dans cette escroquerie. Il aurait été naïf de croire que des personnes malintentionnées s’abstiendraient de profiter des largesses du système, mais il est tout de même difficile d’imaginer qu’en situation de crise telle que le monde la vit depuis bientôt 2 ans, des individus puissent avoir autant d’absence de morale.

Comme quoi la solidarité ne fait pas partie du vocabulaire de l’escroc… !


[1] RTS – Le Tessin a enregistré le premier cas de coronavirus en Suisse. (26.02.2020) https://www.rts.ch/info/suisse/11120027-le-tessin-a-enregistre-le-premier-cas-de-coronavirus-en-suisse.html.

[2] Ordonnance 2 du 13 mars 2020 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (COVID-19) https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2020/438/fr (consulté le 29.09.2021)

[3] RTS – sondage SSR sur les mesures de restriction de liberté prises par le CF: réaction de Laurent KURTH, conseiller d’Etat neuchâtelois en charge de la santé. (10.08.2021)https://www.rts.ch/play/radio/forum/audio/sondage-ssr-sur-les-mesures-de-restriction-de-liberte-prises-par-le-conseil-federal-reaction-de-laurent-kurth?id=11169311.

[4] RS 951.261 – Ordonnance sur l’octroi de crédits et de cautionnements solidaires à la suite du coronavirus (texte plus en vigueur depuis le 19.12.2020) consulté à l’adresse :  https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2020/194/fr

[5] RS 951.261 – Ordonnance sur l’octroi de crédits et de cautionnements solidaires à la suite du coronavirus, art. 1 al 2.

[6] RS 951.261 – Ordonnance sur l’octroi de crédits et de cautionnements solidaires à la suite du coronavirus, art. 6 al 1.

[7] Confédération suisse – Crédits transitoires, graphique de processus « Crédit Covid-19 ». https://covid19.easygov.swiss/wp-content/uploads/2020/04/process-500-v2-fr.png (consulté le 13.09.2020)

[8] RTS – Bilan des prêts Covid, un an après leur lancement (30.03.2021). https://www.rts.ch/info/suisse/12076597-alexandre-pretre-meme-letranger-nous-a-envie-les-prets-covid19.html.

[9] Nous faisons référence ici aux demandes de crédits sollicitées jusqu’à concurrence de CHF 500’000.-, ne reprenant pas les données relatives au crédits COVID-19 Plus.

[10] Confédération suisse – Crédits transitoires, signalement des cas d’abus (état au 25.08.2021). https://covid19.easygov.swiss/fr/#anchor-3 (consulté le 28.08.2021)

[11] RTS – Bilan des prêts Covid, un an après leur lancement (30.03.2021). https://www.rts.ch/info/suisse/12076597-alexandre-pretre-meme-letranger-nous-a-envie-les-prets-covid19.html

[12] Confédération suisse – Crédits transitoires, signalement des cas d’abus (état au 25.08.2021). https://covid19.easygov.swiss/fr/#anchor-3 (consulté le 29.08.2021)

[13] Nouvelliste – Comment des patrons valaisans ont joué avec les crédits Covid (article du 23.04.2021). https://www.lenouvelliste.ch/dossiers/coronavirus/articles/comment-des-patrons-valaisans-ont-joue-avec-les-credits-covid-1068261 (consulté le 20.07.2021)

[14] Il s’agit d’un constat personnel fondé sur les auditions réalisées dans le cadre de ma fonction d’inspecteur de police judiciaire à la section financière du canton du Valais.

[15] Confédération suisse – Crédits transitoires, signalement des cas d’abus (état au 26.08.2021) https://covid19.easygov.swiss/fr/#anchor-3 (consulté le 09.09.2021)