Le trafic transfrontalier d’argent liquide

mardi 22 Juin 2021

Par Gabriel Fauth, étudiant du CAS en Investigation Financière

1       Introduction

Ces dernières années, de nouveaux moyens de paiement ont pris leurs essors. Que ce soit le paiement sans contact, des fonctionnalités comme TWINT et Apple Pay ou encore les cryptomonnaies. Cependant, malgré leurs avènements, une large frange de la population continue à préférer régler ses dépenses aux moyens d’espèces sonnantes et trébuchantes[1].

Bien que l’économie souterraine ait amorcé, elle aussi, sa transition vers ces nouvelles méthodes de paiement. L’argent liquide reste très usité notamment parce qu’il est plus sûr. Les différents organes de contrôle de l’État ont en effet plus de mal à tracer un flux d’argent liquide qu’une suite de mouvement sur un compte en banque.

Les réseaux criminels, œuvrant comme des entreprises, se doivent de récupérer cette masse monétaire afin de pouvoir, couvrir leurs frais, le réinvestir, payer les « investisseurs » ou encore financer leurs causes, dans le cas des mouvances terroristes. Pour parvenir à ces fins, l’argent doit transiter jusqu’à des filières de blanchissement d’argent où il pourra ensuite être réintroduit discrètement dans le système.

Pour lutter contre le blanchiment d’argent, le Groupe d’Action Financière a émis des recommandations que les pays membres de l’Union Européenne ainsi que la Suisse ont mises en œuvre partiellement ou complètement en fonction de leur sensibilité.

2       GAFI

Le Groupe d’Action Financière (GAFI) est un organisme intergouvernemental qui a été créé en 1989 dans le but de lutter contre la criminalité économique en s’attaquant à la lutte contre le blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme ou tout ce qui pourrait menacer l’intégrité du système financier international. Le secrétariat se trouve à Paris au siège de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE)[2].

Les quarante premières recommandations historiques (datant de 1990) ont vu la lutte contre le blanchiment d’argent issu du trafic de stupéfiants être mise en avant. C’est seulement après les tragiques événements du 11 septembre 2001 que le volet lié à la lutte contre le financement du terrorisme a fait son apparition[3].

Les recommandations du GAFI ont très vite été reconnues comme étant des normes internationales par des organisations comme le Fonds Monétaire International ainsi que la Banque Mondiale. Outre l’élaboration et l’actualisation de ces recommandations, le GAFI déploie des moyens importants afin de surveiller et évaluer les progrès réalisés par ses pays membres. Il tient également à jour une liste grise et noire des pays représentant des risques en matière de criminalité économique. Ces pays sont sous surveillances soit, car ils présentent des lacunes dans le cadre de leurs lois sur le blanchiment d’argent soit, car ils ne sont pas coopératifs.

2.1      Recommandation 32 : Passeurs de fonds.

C’est par le biais de la recommandation 32 que le GAFI prie ses états membres de mettre en place un arsenal législatif permettant d’encadrer les mouvements de fonds entre les différents pays. Selon cet article, les cibles principales sont les espèces et les instruments négociables au porteur. Pour surveiller ce trafic monétaire, le GAFI conseille de mettre au point un système de déclaration et/ou de communication, tout en donnant la possibilité aux autorités compétentes de retenir ou de bloquer les espèces en cas de soupçon de blanchiment d’argent, de financement du terrorisme ou de fausse déclaration. Il est également suggéré de mettre en place des sanctions qui soient à la fois efficaces et dissuasives tout en restant proportionnelles.[4]

L’objectif recherché est de recenser tous les mouvements importants de capitaux afin d’en conserver une trace écrite et de faciliter ainsi le retraçage des montants. Cela faciliterait également les entraides judiciaires et administratives entre les différents partenaires.

3       Suisse

Depuis 1990, la Suisse est membre du GAFI[5]. Elle est donc tenue de mettre en application les recommandations émises par cette institution. En octobre 2016 a été adopté le rapport d’évaluation mutuelle et depuis, des rapports de suivi sont parus pour analyser les progrès réalisés. Dans sa dernière version, datant de janvier 2020, nous pouvons constater que la Suisse a réalisé d’importants progrès afin de se conformer aux prescriptions. En ce qui concerne la recommandation 32, qui nous intéresse dans cet article, la notation n’a pas progressé au-delà du « largement conforme » obtenu en 2016.

Mais comment la législation a-t-elle été adaptée afin de remplir ces obligations internationales et obtenir une telle note ?

3.1      Pragmatisme helvète

Bien avant que cette obligation ne survienne, la Suisse avait déjà un œil sur les mouvements de capitaux à travers sa frontière. En effet, l’Administration Fédérale des Douanes (AFD), dans le cadre de ses tâches, annonçait déjà aux autorités policières compétentes les cas pouvant susciter des soupçons de blanchiment d’argent. Seule ombre au tableau, l’AFD n’avait pas les bases légales pour le faire[6].

Le législateur a donc ajouté un alinéa 1bis à l’art. 95 de la Loi sur les douanes[7]. Il stipule que « [l’AFD] soutient la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dans le cadre de ses tâches ». En vertu de l’art 130 LD, le Conseil Fédéral a arrêté, en 2009, l’Ordonnance sur le contrôle du trafic transfrontière de l’argent liquide (ci-après : l’Ordonnance)[8].

Mettre en place cette ordonnance n’a pas été aisé, car en 2008 la Suisse est entrée au sein de l’Espace Schengen, lequel vise à faciliter la liberté de mouvement des personnes ainsi que des capitaux. Afin de parvenir à remplir ces deux objectifs contradictoires, il a été décidé de l’obligation de renseigner à l’importation et à l’exportation de capitaux dès 10’000CHF ou un montant équivalent en monnaie étrangère. En procédant ainsi, l’Autorité douanière participe activement à la lutte contre le blanchiment d’argent tout en gardant une fluidité dans le trafic transfrontalier.

Mission est donnée aux agents sur le terrain de collecter un maximum d’informations (voir art. 6 de l’Ordonnance) et de les transmettre à la Direction générale des douanes. En vertu de l’assistance administrative (art. 8 de l’Ordonnance), ces données peuvent ensuite être transmises au Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS) et aux autorités de polices compétentes.

L’AFD peut provisoirement mettre en sûreté de l’argent liquide en vertu de l’art 104 LD. Cependant, l’argent doit être transmis immédiatement à la police cantonale qui prendra la décision finale d’ordonner le séquestre du montant ou sa restitution.

L’art. 5 de l’Ordonnance prévoit que le refus de fournir un renseignement sur l’importation, l’exportation et le transit d’argent liquide d’un montant d’au moins 10’000CHF ou d’un montant équivalent en monnaie étrangère – au sens de l’art. 3 al. 1 let. b de ladite ordonnance – ainsi que la fourniture d’un renseignement erroné, constituent une violation des prescriptions d’ordre au sens de l’art. 127 al. 1 LD. Le contrevenant encourt alors une amende pouvant aller jusqu’à 5’000CHF.

Le système mis en place est relativement simple et nous permet d’appliquer les différents traités qui ont été ratifiés tout en préservant le fédéralisme si cher à notre pays. En effet, les tâches de police sont des prérogatives cantonales et laisser une institution fédérale traiter intégralement une telle procédure ne manquerait pas de créer des tensions entre institutions fédérales et cantonales.

4       La France et l’Union Européenne

Afin d’avoir une vision différente de la nôtre sur cette problématique, voyons comment la France et l’UE combattent ce phénomène[9].

La France fait cohabiter deux lois ayant les mêmes buts, mais pas la même origine. Vis-à-vis d’un pays tiers comme la Suisse, elle appliquait jusqu’à récemment, le « Règlement (CE) NO 1889/2005 relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant ou sortant de la Communauté »[10] ainsi que le Code Monétaire Financier (CMF)[11] pour définir les sanctions à appliquer en cas de non-respect des prescriptions. Si le transit demeure intraeuropéen, seul le CMF est appliqué. Ces deux textes ne donnaient pas les mêmes prérogatives aux Douanes.

Le Règlement 1889/2005 a été abrogé le 3 juin dernier au profit du « Règlement (UE) 2018/1672 »[12]. Ce dernier et le CMF correspondent désormais totalement l’un à l’autre. À noter également que les articles du CMF traitant du mouvement des capitaux entre deux pays de l’Union européenne ont été réécrits.

4.1      Règlement 2018/1672 et le CMF: qu’est-ce qui a changé ?

Le premier changement que l’on peut citer est la mise à jour de la définition de l’argent liquide. Aux espèces en circulation et aux instruments négociables au porteur (art. 2 let. A et B du règlement 1889/2005) se sont ajoutées les marchandises servant de réserves de valeurs liquides (comme l’or) ainsi que les cartes prépayées (art. 2 al.1 let. A du règlement 1672/2018). Le CMF permettait déjà de traiter ces deux types de liquidité, en revanche, dans sa nouvelle version, il ne considère plus les jetons de casino.

Un autre changement est l’apparition, dans le règlement 2018/1672 et dans le CMF, de « l’obligation de divulgation d’argent liquide non accompagné ». Cette obligation apparait à l’art. 4 du règlement 2018/1672 et à l’art. de la L152-1-1. Le montant quant à lui demeure à 10’000 EUR. Autre innovation, il est désormais possible de retenir l’argent alors que le montant est inférieur au seuil des 10’000 euros si des indices de lien avec une activité criminelle sont constatés.

4.2      Les sanctions

En cas de découverte d’un porteur d’argent liquide sans déclaration, la somme peut être retenue pendant 30 jours. Le temps pour les Autorités de déterminer si le montant doit être retenu plus longtemps. En cas d’ouverture d’une enquête administrative ou en vue de l’ouverture d’une enquête judiciaire, la retenue peut se prolonger jusqu’à 90 jours par simple décision de l’Administration des douanes. Ensuite, l’argent doit être rendu ou être consigné sur autorisation du procureur.

Le contrevenant encourt une amende pouvant aller jusqu’à 50 % du montant transporté sans déclaration et une éventuelle confiscation de l’argent.

4.3      Blanchiment douanier

Le blanchiment douanier est prévu et réprimé par les articles 415 et 415-1 du code des douanes nationales (Français)[13]. Ces articles visent à lutter contre les personnes tentant de mener une opération financière entre la France et l’étranger avec des fonds qu’ils savent provenir directement ou indirectement d’un délit au présent code des douanes. Le blanchiment douanier et un délit douanier totalement autonome des manquements à l’obligation déclarative évoqués précédemment auxquels il peut se cumuler.

Aucun seuil concernant une somme d’argent relative à une opération financière entre la France et l’étranger n’est requis. Il est toutefois plus difficile aux douaniers de le constater, car, plus que de simples indices, ils doivent prouver que l’instrument financier en infraction est le fruit d’un délit douanier ou d’une infraction à la législation sur les stupéfiants.

Toutefois, le flagrant délit de blanchiment douanier permet des mesures très conséquentes que le manquement à l’obligation déclarative ne permet pas, la privation de liberté par le placement en retenue douanière (48 h maximum, visite domiciliaire, etc.).

En invoquant l’art 415 du Code des Douanes, Infraction de blanchiment douanier d’argent, les agents de terrain, en flagrant délit, et ensuite leur service d’enquêtes peuvent se saisir de l’affaire et la traiter jusqu’à son terme. Le contrevenant encourant alors jusqu’à 10 ans de prison, une amende jusqu’à 5 fois la valeur du montant transporté, une confiscation de l’argent incriminé ainsi qu’une confiscation des biens et avoir qui sont issus du produit de l’infraction ou qui ont servi à la commettre.

5       Conclusion

Le transport transfrontière d’argent liquide est une thématique très peu médiatisée, mais elle n’en demeure pas loin une réalité qu’il faut prendre un compte à la fois dans la lutte contre le crime organisé, mais également contre le financement du terrorisme. C’est pourquoi il est important de ne pas relâcher nos efforts et de moderniser continuellement nos lois et nos procédures.

Les bases juridiques que nous utilisons en Suisse ont certes fait leurs preuves, mais elles ne sont plus d’actualités. La définition que nous donnons à l’argent liquide n’est plus en phase avec l’air du temps. Il est également dommage de cantonner l’AFD à un seul rôle d’informateur pour les polices cantonales alors qu’elle a les effectifs et pourrait facilement développer le savoir-faire nécessaire pour lutter contre ce phénomène, à l’instar de ce que font les douanes françaises.

La révision de la Loi du 18 mars 2005 sur les douanes a commencé en septembre 2020[14]. L’actualisation de l’ordonnance sur le contrôle du trafic transfrontière de l’argent liquide devrait donc normalement suivre d’ici peu.


[1] Banque National Suisse. (2018). Résultat de l’enquête sur les moyens de paiement 2017. Snb. [consulté le 27 mai 2021]. Disponible à l’adresse : https://www.snb.ch/fr/mmr/reference/pre_20180531/source/pre_20180531.fr.pdf

[2] Groupe d’Action Financière (GAFI). (2021). Accueil – Groupe d’Action Financière (GAFI). fatf-gafi. [consulté le 27.05.2021]. Disponible à l’adresse : https://www.fatf-gafi.org/fr/

[3] Groupe d’Action Financière (GAFI). (2017). Les recommandations du GAFI. fatf-gafi [consulté le 27.05.2021]. Disponible à l’adresse : https://www.fatf-gafi.org/media/fatf/documents/recommendations/pdfs/Recommandations%20GAFI_Nov-2017.pdf

[4] [4] Groupe d’Action Financière (GAFI). (2017). Les recommandations du GAFI. fatf-gafi [consulté le 27.05.2021]. Disponible à l’adresse : https://www.fatf-gafi.org/media/fatf/documents/recommendations/pdfs/Recommandations%20GAFI_Nov-2017.pdfF

[5] Groupe d’Action Financière (GAFI). (S. d.) Suisse. fatf-gafi [consulté le 12.06.2021]. Disponible à l’adresse https://www.fatf-gafi.org/fr/pays/#Suisse

[6] Administration fédérale des douanes. (2009). Commentaire du projet d’ordonnance sur le contrôle du trafic transfrontière de l’argent liquide. newsd.admin [consulté le 27 mai 2021]. Disponible à l’adresse : https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/14876.pdf

[7] Confédération Suisse. (2018). Loi sur les Douane du 18 mars 2005 (LD : RS 631.0). fedlex.admin. [Consulté le 27.05.2021]. Disponible à l’adresse : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2007/249/fr#a42

[8] Confédération Suisse. (2009). Ordonnance sur le contrôle du trafic transfrontière de l’argent liquide (RS 631.052). fedlex.admin. [Consulté le 27.05.2021]. Disponible à l’adresse : https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2009/118/fr

[9] En plus des bases légales, le chapitre 4 se base sur un entretien avec Aizin Bertand, adjoint à la Brigade de Surveillance Extérieure des Douanes de Pontarlier. (2021).

[10] Parlement européen & Conseil de l’Union Européenne. (2005). Règlement (CE) n o 1889/2005 du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant ou sortant de la Communauté. Eur-lex.europa [Consulté le 27 mai 2021]. Disponible à l’adresse : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A32005R1889

[11] République Française (2021). Code Monétaire Financier. Legifrance [Consulté le 27 mai 2021]. Disponible à l’adresse : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/texte_lc/LEGITEXT000006072026

[12] Parlement européen & Conseil de l’union européenne. (2018). Règlement (UE) 2018/1672 relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant dans l’Union ou en sortant de l’Union et abrogeant le règlement (CE) NO 1889/200. Eur-lex.europa. [Consulté le 27.05.2021]. Disponible à l’adresse : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32018R1672&from=FR

[13] République Française. (2021). Code des douanes. legifrance.gouv.fr. legifrance [Consulté le 27 mai 2021]. Disponible à l’adresse : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGITEXT000006071570/

[14] Département fédéral des finances. (2020). Le Conseil fédéral ouvre la consultation relative à la révision de la loi sur les douanes. Efd.admin [Consulté le 27 mai 2021]. Disponible à l’adresse : https://www.efd.admin.ch/efd/fr/home/das-efd/nsb-news_list.msg-id-80383.html

Piratage et logiciels malveillants : une mine d’or malgré une sensibilisation régulière

mercredi 09 Juin 2021

Par Renaud Zbinden, assistant HES à l’ILCE et étudiant MAS LCE

Sauvegarder, utiliser, protéger, équiper, réduire… S-U-P-E-R[1]. Il s’agit de la nouvelle sensibilisation consacrée à la cybersécurité mise en place par la Prévention Suisse de la Criminalité[2] en mai 2021. Cette sensibilisation, axée principalement sur les réseaux sociaux, démontre l’importance des enjeux des cybermenaces, mais surtout les risques constants de ce fléau. Pour mieux se rendre compte de l’importance du phénomène, il existe une carte interactive des cybermenaces en temps réel[3] développée par Kaspersky, société spécialisée dans la sécurité des systèmes d’information.

L’arrivée de la pandémie mondiale et toutes les conséquences pour les entreprises privées et publiques ont perturbé l’environnement de travail des employés. Les entreprises et les Etats ont-ils su s’adapter afin de maintenir un niveau de sécurité informatique adéquat ?

Ce présent article développe l’impact de la pandémie sur les cybermenaces, s’intéresse à l’efficacité de la prévention actuelle et ouvre la réflexion sur une opportunité de prévention dans le domaine après l’analyse d’une actualité récente.

Hacking et malware

Cette contribution présente deux volets de dangers liés à Internet et à l’informatique. Tout d’abord, le piratage informatique (hacking) qui consiste pour un pirate à accéder à un système informatique à l’insu de l’utilisateur afin d’avoir les pleins pouvoirs sur les données et l’infrastructure. Les cibles prioritaires des pirates pour le hacking sont les sites web et les adresses de messagerie afin d’obtenir des données commerciales ou des données bancaires. Non seulement d’énormes pertes financières peuvent avoir lieu, mais la notoriété de la victime (gouvernement, entreprise ou particulier) peut être entachée[4].

La deuxième cybermenace abordée concerne les logiciels malveillants (malware) qui exécutent de multiples opérations nuisibles sur une machine informatique ou un réseau[5]. Téléchargés et installés par l’utilisateur, ils peuvent prendre différentes formes et ne sont évidemment pas visibles. Les plus connues médiatiquement sont les chevaux de Troie (trojan horse), les rançongiciels (ransomware), les vers (worm) ou encore les logiciels espions (spyware)[6].

« Chaque mois, en Suisse, se produisent en moyenne 25 000 attaques de logiciels malveillants. »[7].

Cadre juridique suisse

Le Code pénal suisse[8] prévoit plusieurs dispositions luttant contre les cybermenaces. Un acte de piratage informatique ou la diffusion d’un logiciel malveillant est considéré, en droit suisse, comme une atteinte au patrimoine. De ce fait, dans chaque cas, au moins une des infractions suivantes est remplie :

  • Soustraction de données (art. 143 CP) ;
  • Accès indu à un système informatique (art. 143bis CP) ;
  • Détérioration de données (art. 144bis CP)[9].

Souvent, les pirates ne se contentant pas d’avoir accès aux données et/ou à la machine, d’autres infractions sont commises concomitamment, par exemple l’escroquerie (art. 146 CP), l’extorsion et chantage (art. 156 CP) ou encore le blanchiment d’argent (art. 305bis CP).

Influence de la Covid-19

Le Centre national pour la cybersécurité (National Cyber Security Centre – NCSC) est le centre de compétence de la Confédération en matière de cybersécurité[10]. Ce dernier est responsable de la mise en œuvre de la stratégie nationale de protection contre les cyberrisques. Le NCSC permet à la population et aux milieux économiques de communiquer les cyberincidents afin d’obtenir des recommandations, de sensibiliser les autres acteurs et d’améliorer la lutte.

La pandémie de la Covid-19 a malheureusement augmenté considérablement les cyberincidents depuis 2020. En effet, les cybercriminels ont su s’adapter très rapidement à la situation afin de profiter de toutes les vulnérabilités. Par exemple, l’obligation du télétravail a fragilisé la sécurité informatique des entreprises.

Statistique du nombre d’annonces de cyberincidents par semaine de mi-avril 2020 à mi-avril 2021[11]

Le rapport semestriel du NCSC du 10 mai 2021[12] traite des principaux cyberincidents du deuxième semestre 2020 en Suisse et sur le plan international. Il fait de la santé numérique le thème principal, car elle génère de nombreux défis en raison des cybermenaces actuelles. En particulier, de nombreux hôpitaux ont été victimes de ransomware depuis le début de la crise de la Covid-19, par exemple la clinique universitaire de Düsseldorf, l’hôpital de Wetzikon (Oberland zurichois) ou encore le groupe Hirslanden qui possède 17 cliniques en Suisse[13]. Cette menace est existante dans les autres secteurs, mais les conséquences dans le domaine de la santé sont bien plus importantes : une perte de données sensibles et/ou une panne informatique peuvent mettre en péril la santé, voire la vie des patients. Le contexte imposé par la pandémie, c’est-à-dire l’engorgement du système sanitaire et l’urgence de la situation, a malheureusement augmenté la motivation des pirates.

Tillie Kottmann, un cas d’école ?

Ce jeune lucernois de 21 ans a défié la chronique en mars dernier dans le cadre de l’affaire Verkada. Tillie Kottmann a profité d’une faille de sécurité de l’entreprise Verkada Inc. pour consulter en direct les flux de plus de 150’000 caméras connectées à Internet. Ces caméras filmaient diverses installations, notamment des prisons, des hôpitaux, des entrepôts et des usines de grandes entreprises, comme Tesla. Le 9 mars 2021, Tillie Kottmann publie sur le réseau social Twitter des photos de ses trouvailles accompagnées par des messages alarmants[14].

Image piratée d’une prison américaine publiée sur Twitter[15]

Le 18 mars 2021, le Ministère public de l’Etat de Washington l’a inculpé pour « complot, fraude électronique et vol d’identité aggravé », ainsi il risque 20 ans de prison aux Etats-Unis en cas d’extradition. En Suisse, Tillie Kottmann risque entre trois et cinq ans de prison[16]. Pourtant, selon ses dires, son groupe de pirates et lui auraient trouvé des identifiants administrateurs de l’entreprise publiquement exposés sur Internet, ce qui leur a permis d’accéder aux données. Ainsi, de par son esprit hacktiviste[17] et aucunement par un désir financier, il a publié les données confidentielles afin d’exposer les problèmes de sécurités des entreprises avant que d’autres personnes malintentionnées ne causent de plus grands dommages[18].

Dans cet exemple, d’un côté, les autorités américaines mettent tout en œuvre pour obtenir justice et envoient indirectement un message aux pirates informatiques concernant les conséquences de leurs actes. De l’autre côté, à l’image des White Hat[19], Tillie Kottmann démontre les problèmes de sécurité existants et le manque de prise en considération par certaines entreprises.

Conclusion

Les cybermenaces seront toujours un risque conséquent pour les entreprises privées et publiques. Dans la plupart des situations, l’ingénierie sociale, c’est-à-dire la manipulation psychologique, est la pratique la plus utilisée par les pirates informatiques pour arriver à leurs fins. Ainsi, comme l’humain est la vulnérabilité principale de ces cybermenaces et ayant connaissance de l’importance des dangers que cela représente, n’est-il pas important que chaque entreprise améliore sa propre sécurité ? De ce fait, il serait également intéressant de s’intéresser aux moyens mis en œuvre dans les entreprises pour la sécurité informatique.

Etant donné que les pirates informatiques n’ont pas de frontière dans leurs agissements, de nombreuses cybermenaces proviennent de pays étranger auxquelles les autorités suisses ne peuvent efficacement lutter. Malgré de grands moyens développés dans la sensibilisation et la lutte, la Confédération ne devrait-elle pas proposer une approche encore plus proactive pour réduire les dommages ?

A l’instar des sociétés d’audit[20] qui développent des conseils et outils pour améliorer la cybersécurité, il serait probablement efficace de mettre en place une entreprise étatique qui teste par mandat la sécurité informatique des acteurs économiques. Ainsi, cette idée, fortement inspirée par les White Hat, consiste à tenter par plusieurs procédés de pirater ou d’insérer un logiciel malveillant chez l’acteur ayant demandé le service. Les simulations et les exercices préventifs, effectués avec succès ou non, mettront en évidence les faiblesses spécifiques des acteurs économiques. Car au final, n’y a-t-il pas meilleur moyen pour être préparé à une situation que celle de l’avoir vécue auparavant ?


[1] Prévention Suisse de la Criminalité. (2021). SUPER – Sauvegarder Utiliser Protéger Equiper Reduire. https://www.s-u-p-e-r.ch/fr/ (consulté le 16.05.2021)

[2] Prévention Suisse de la Criminalité. (s. d.). Prévention Suisse de la Criminalité. Prévention Suisse de la Criminalité. Consulté 1 juin 2021, à l’adresse https://www.skppsc.ch/fr/ (consulté le 16.05.2021)

[3] Kaperski. (s. d.). CARTE | Carte des cybermenaces en temps réel. CARTE | Carte des cybermenaces en temps réel. Consulté 1 juin 2021, à l’adresse https://cybermap.kaspersky.com/fr (consulté le 16.05.2021)

[4]Prévention Suisse de la Criminalité. (s. d.). Piratage + logiciels malveillants. Prévention Suisse de la Criminalité. Consulté 1 juin 2021, à l’adresse https://www.skppsc.ch/fr/sujets/internet/piratage-logicielsmalveillants/ (consulté le 16.05.2021)

[5] Red Hat, Inc. (2021). Un logiciel malveillant, qu’est-ce que c’est ? https://www.redhat.com/fr/topics/security/what-is-malware (consulté le 16.05.2021)

[6] Kapersky Lab. (2021). How to get rid of malware? Www.Kaspersky.Com. https://www.kaspersky.com/resource-center/threats/malware-protection (consulté le 16.05.2021)

[7] Prévention Suisse de la Criminalité. (2021). SUPER – Sauvegarder Utiliser Protéger Equiper Reduire. https://www.s-u-p-e-r.ch/fr/ (consulté le 16.05.2021)

[8] Code pénal suisse du 21 déembre 1937 (RS 311.0)

[9] Prévention Suisse de la Criminalité. (s. d.). Piratage + logiciels malveillants. Prévention Suisse de la Criminalité. Consulté 1 juin 2021, à l’adresse https://www.skppsc.ch/fr/sujets/internet/piratage-logicielsmalveillants/ (consulté le 16.05.2021)

[10] Département fédéral des finances, D. (2021). Page d’accueil NCSC. Consulté 1 juin 2021, à l’adresse https://www.ncsc.admin.ch/ncsc/fr/home.html (consulté le 16.05.2021)

[11] Département fédéral des finances. (2021). Chiffres actuels. https://www.ncsc.admin.ch/ncsc/fr/home/aktuell/aktuelle-zahlen.html (consulté le 16.05.2021)

[12] Centre national pour la cybersécurité. (2021). Sécurité de l’information—Situation en Suisse et sur le plan international.

[13] Jaun, R. (2020). Cyberattaque contre les cliniques privées Hirslanden. ICTjournal. https://www.ictjournal.ch/news/2020-11-25/cyberattaque-contre-les-cliniques-privees-hirslanden (consulté le 16.05.2021)

[14] Vincent, J. (2021, mars 19). ‘Anti-capitalist’ Verkada hacker charged by US government with attacks on dozens of companies. The Verge. https://www.theverge.com/2021/3/19/22339625/tillie-kottmann-swiss-hacker-verkada-charged-us-government-verkada (Consulté le 19.05.2021)

[15] Seydtaghia, A. (2021, mars 16). Comment un Suisse a piraté Tesla et des prisons américaines. Le Temps. https://www.letemps.ch/economie/un-suisse-pirate-tesla-prisons-americaines (consulté le 16.05.2021)

[16] Atmani, M. (2021). Le hackeur suisse qui fait trembler les Etats-Unis | Illustré. L’Illustré. https://www.illustre.ch/magazine/le-hackeur-suisse-qui-fait-trembler-les-etats-unis (consulté le 16.05.2021)

[17] Contraction de hackeur et d’activiste

[18] Vincent, J. (2021, mars 19). ‘Anti-capitalist’ Verkada hacker charged by US government with attacks on dozens of companies. The Verge. https://www.theverge.com/2021/3/19/22339625/tillie-kottmann-swiss-hacker-verkada-charged-us-government-verkada (consulté le 16.05.2021)

[19] Hacker éthique ou expert en sécurité informatique qui teste les mesures de sécurité des entreprises.

[20] PricewaterhouseCoopers. (s. d.). Cybersecurity and Privacy. PwC. Consulté 1 juin 2021, à l’adresse https://www.pwc.ch/en/services/digital/cybersecurity.html (consulté le 16.05.2021)